• Aucun résultat trouvé

Chapitre III. Le lycée chinois vu par le chercheur : un univers familier et méconnu

2. Documents personnels et officiels de la communauté : des fenêtres ouvertes

2.1. Copies de devoir à la maison des apprenants : un lourd fardeau ?

Quand on parle du système scolaire chinois, on ne peut ne pas parler du devoir à la maison (parfois on dit « devoir du soir » en Chine) des élèves. Quand j’étais lycéen, je détestais cela et j’ai un souvenir assez désagréable de ce travail à la maison en raison de sa lourdeur d’une part, et de son manque de créativité d’autre part. À travers mon observation sur le terrain, je me suis rendu compte qu’après des dizaines d’années, la situation n’a pas beaucoup changé. Selon le règlement fixé pour les enseignants du lycée Guangming, le professeur de chaque matière est mis en demeure de donner un devoir à la maison aux élèves, et le responsable pédagogique de chaque section vient régulièrement dans le bureau du professeur pour inspecter le travail en consultant les cahiers de devoirs des élèves. Ces cahiers doivent être corrigés chaque jour et les cas de non-respect de ce règlement peuvent être critiqués pendant la réunion pédagogique.

Installé dans le bureau du professeur de français, j’ai eu toute facilité pour consulter les anciens cahiers des élèves et leurs devoirs. Ces cahiers sont déposés dans un placard, dans un coin du bureau, où l’on met les documents des anciens élèves. J’ai donc feuilleté avec curiosité quelques copies de devoirs de cours de français. À ma grande surprise, la plupart des devoirs consistent à faire les exercices structuraux qui figurent dans leur manuel scolaire. Et il y a un nombre important de cahiers où les élèves recopient le texte du manuel. J’ai sélectionné un exemplaire pour l’observer de près (voir annexe 4, page 6-8). Le devoir est en totalité lié au manuel. Pour simplifier la lecture, j’ai combiné la page du cahier de devoir avec l’extrait de manuel qui correspond.

15

40 Sur la première page de ce cahier de devoirs l’élève que j’ai choisi a recopié le dialogue entier de la leçon 1 (qui s’intitule « Les vacances ») de son manuel de français. Ensuite, dans la deuxième page, l’élève a traduit ce dialogue, phrase par phrase, en chinois. Il s’agit donc bien d’un devoir sur la traduction du texte du manuel. En consultant la suite de ce cahier de devoirs, j’ai remarqué, encore une fois, aux troisième et quatrième pages, un exercice qui consiste à recopier deux fois une liste de conjugaison de trois verbes irréguliers (conquérir, se jeter, vivre) proposée dans le manuel. J’ai pris au hasard un autre cahier, et de la même manière, il s’agit de recopier trois fois la liste de vocabulaire de la leçon 6 (qui s’intitule « Tribus de l’été »). Le texte de la leçon est suivi par une liste de vocabulaire avec la traduction en chinois dans leur manuel (voir annexe 4, page 9-11).On voit à quel point les enseignants ont mis l’accent sur la traduction et la répétition dans le devoir. Cela m’a rappelé mes propres devoirs à la maison, au lycée. Comme eux, on faisait la même chose pour le cours de mongol, le cours de chinois et le cours d’anglais. Quel que soit le type de langue, on recopiait toujours le texte, la liste de vocabulaire.

Au début d’un travail de recherche, on a continuellement besoin d’informations qui prennent en général la forme de conversations banales. Selon ce principe d’immersion, j’ai essayé de trouver tous les moyens possibles pour augmenter mes chances de mise en contact avec les élèves. Par conséquent, je les accompagne toujours pendant leur exercice matinal, je descends avec eux pour la cérémonie du lever du drapeau, je me promène dans la salle de classe pendant la récréation…Tous cela m’a permis d’avoir plus d’occasions de discuter avec eux et de consolider notre proximité. Ainsi, concernant le devoir à la maison pour les cours de langues, j’ai échangé, pendant une récréation, avec quelques élèves de mon groupe. Voici la remarque d’une de mes élèves qui s’appelle Marion16 :

Marion : Le devoir pour recopier le texte, nous l’avons fait depuis l’école primaire jusqu’à aujourd’hui. Je me souviens bien de notre prof de chinois dans mon collège. C’était en troisième. On était obligé de mémoriser par cœur le texte de la leçon. Si on n’arrivait pas à réciter le texte, on devait le recopier 10 fois comme punition. Du coup, mes camarades de classe ont cultivé une très mauvaise habitude. Ils commençaient à recopier le texte de la leçon plusieurs jours avant d’apprendre une nouvelle leçon, car ils pensaient qu’ils n’arriveraient pas à la mémoriser. Cela devenait donc un cycle infernal, dans la mesure où il ne fallait que recopier mécaniquement le texte et abandonner tout effort pour réciter le texte. Je ne vois pas l’intérêt de recopier les textes et le vocabulaire et de réciter la leçon pour un cours de langue. (Conversation du 27 septembre 2016 dans la salle de classe pendant la récréation).

Je ressens une vive critique de la part de cette jeune lycéenne sur la rigidité des méthodes d’enseignement, sur le recours au « par cœur » et au fait de « recopier » du système éducatif chinois. Inévitablement, cette méthode traditionnelle, cette façon d’exiger un devoir à domicile fait naître un phénomène d’« amotivation » chez les élèves dans leur apprentissage des langues. Pour comparer avec le système français, j’ai interrogé Simon sur le devoir à la maison dans le lycée français.

Simon : En France c’est vraiment différent. Les devoirs à la maison, souvent c’est plutôt des rédactions à faire, plutôt des exposés à préparer quelque chose comme ça, c’est vraiment un

16

41 travail personnel qui est donné, donc c’est à nous de créer, on va dire, notre devoir notre travail, donc on va pousser l’élève à créer quelque chose à travailler lui-même. Il ne s’agit pas de recopier ou de faire un exercice grammatical et donner des bonnes réponses. Bien sûr la grammaire et tout ça est évalué en même temps, mais ce qui est évalué est surtout la rédaction et la capacité à produire un travail dans la langue enseignée. Par exemple, pour mon devoir de LV2 anglais, on doit préparer des dialogues ou des exposés sur un personnage ou sur les événements, tout ce qui peut concerner un thème vu en cours, par exemple, un exposé sur un héros anglais. On va devoir faire un exposé sur sa vie et expliquer pourquoi c’est un héros, ou quelque chose comme ça. (Entretien du 21 septembre 2016 dans mon bureau).

Un commentaire qui met en évidence la différence entre les devoirs à la maison dans le lycée chinois et dans le lycée français, pour les cours de langues, présente deux systèmes radicalement opposés. En ce qui concerne le recours au « par cœur » et au fait de « recopier, répéter », je ne nie pas totalement une certaine efficacité à ce type d’exercice. C’est sans doute favorable, dans une certaine mesure, à l’amélioration et assimilation du contenu du cours. Cependant, cela peut dynamiter l’enthousiasme des apprenants. Une raison de plus pour appliquer une démarche interculturelle, une méthode beaucoup plus vivante pour dynamiser le cours.

Dans le dessein d’avoir une vision plus globale de la pédagogie, j’ai porté mon attention sur d’autres matières. Vu qu’il y avait une enseignante francophone, Élise, qui enseignait les mathématiques au lycée Guangming, et qui travaillait dans le même bureau que moi, j’ai communiqué avec elle, lors de notre entretien, sur son observation du devoir à la maison pour les mathématiques, en Chine et en France.

Élise : Au lycée Guangming, on m’a demandé de donner un devoir à chaque fin de cours, et il faut l’avoir corrigé pour le cours suivant. Pour moi, ça représente une quantité de travail énorme, parce qu’il y a au moins 40 élèves dans chaque classe. Après, j’ai observé ce que font mes collègues chinois qui enseignent les mathématiques. Très souvent, le travail donné, ce n’est pas énorme, c’est souvent des pointillés à compléter, des exercices dans le manuel, enfin bref, ce sont des toutes petites choses. Alors que, quand je donne un travail à la maison au lycéen français, soit je leur donne un travail à finir pour le lendemain – Dans ce cas-là, je ne relève pas forcément les cahiers, on va corriger ensemble dans le cours. –, soit je donne un travail plus consistant, c’est-à-dire, tu donnes un devoir à faire pour la semaine suivante, mais par contre c’est long à corriger quoi. Je peux passer parfois une heure sur une copie. Alors que là, au lycée Guangming, si on est obligé de corriger pour le cours juste après, ça ne peut pas être un travail long. Donc les devoirs ici sont plus réguliers, plus souvent contrôlés mais c’est souvent sur des petites choses, faciles à corriger. En plus, les élèves peuvent tricher, en copiant les uns sur les autres. (Entretien du 26 septembre 2016 dans notre bureau).

Cet échange est fructueux pour moi pour deux raisons : premièrement, j’ai compris que, à part l’enseignement d’une langue, même dans les autres matières comme les mathématiques, il existe une grosse différence entre les deux systèmes éducatifs. Comme pour le devoir de langue, les devoirs de mathématiques au lycée Guangming se concentrent également sur les exercices dans le manuel. Cet attachement aux manuels de toutes les matières enseignées et cette façon d’exiger un devoir ont montré, de nouveau, une culture d’apprentissage chinoise relativement traditionnelle.

42

Deuxièmement, à part la culture éducative qui préconise la répétition et la mémorisation par cœur, j’ai sans doute découvert un autre ferment à cette façon de travailler. Quelles que soient les matières enseignées, les enseignants sont contraints de donner un devoir et de l’avoir corrigé pour le lendemain. Il s’ensuit que la qualité du travail baisse, et les professeurs ont tendance à donner des devoirs relativement « simples » comme Élise l’a évoqué. Cette idée est compatible avec les cours de langues. Si l’enseignant de français doit corriger 40 copies ou même 80 copies (s’il a deux groupes de classe, par ailleurs, c’est toujours le cas), pour le lendemain, ce n’est pas facile d’envisager un devoir de rédaction ou un exposé comme l’a mentionné Simon pour ses cours de LV1 et LV2 en France. Apparemment, les exercices structuraux, grammaticaux dans les manuels et la copie de listes de vocabulaire sont beaucoup plus simples à corriger.

De ce fait, le règlement intérieur du lycée fixé pour l’enseignant et la culture éducative chinoise vont de pair et occasionnent une grande différence entre le lycée chinois et le lycée français au niveau des devoirs des élèves. Ayant à l’esprit la cause de cette différence, j’ai pu m’adapter dans ma propre pratique pédagogique. Il y a de bonnes choses à prendre dans chaque système, mais il faut trouver un bon équilibre pour que cela fonctionne mieux. Toujours est-il qu’une chose est certaine : mémorisation par cœur et retranscription du texte de leçon comme devoir principal dans l’enseignement de langue étrangère ne sont pas propices à une sensibilisation interculturelle.

Outline

Documents relatifs