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Une expérience de l’altérité avec une société autre : « La Semaine Française de Shanghai » 148

Chapitre VIII. L’interculturel dans une perspective actionnelle : la classe hors les murs

1. Une expérience de l’altérité avec une société autre : « La Semaine Française de Shanghai » 148

En tant que ville cosmopolite, Shanghai est composé d’importantes communautés étrangères. Les manifestations culturelles de différents pays et régions ont lieu tout au long de l’année. L’année de mon séjour sur le terrain, soit en 2016, s’est tenue la 15e édition de la « Semaine Française de Shanghai » organisée par l’ambassade de France en Chine et sponsorisée par de grandes entreprises françaises comme Le Coq Sportif, Lactel, etc. Cet événement s’est

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Article d’Amandine Belleville consulté sur le site :

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déroulé entre le 10 et le 16 octobre 2016. Depuis sa création en 2002, la « Semaine Française de Shanghai » est le rendez-vous annuel des Shanghaiens amoureux de la France qui se tient chaque année au cœur du centre-ville commerçant.

Cela dit, j’ai remarqué que « La Semaine française de Shanghai » était une manifestation à fort caractère commercial. Et l’aspect commercial de cette semaine a recours à certains stéréotypes (exposition de parfums, de vins, de fromages…), même le design du logo officiel de cet événement (couleurs bleu, blanc, rouge, avec la Tour Eiffel) est très stéréotypé. Par conséquent, j’ai gardé à l’esprit que, dans le cours de mise en commun de mon activité en classe, j’allais essayer de sensibiliser les élèves à ces stéréotypes et les aider à le dépasser à ma manière.

Selon les statistiques menées par le consulat général de France à Shanghai, cet événement a été relayé par 132 passages TV, 191 passages radio, et plus de 526 articles dans la presse écrite et sur Internet depuis 2002. Il accueille en moyenne 250.000 visiteurs qui viennent y trouver un coin de France gastronomique : pains, pâtisseries, chocolats, vins, fromages, cosmétiques, textiles. C’est un lieu de promotion du tourisme et de la langue française ainsi qu’un espace pour organiser des opérations de communication. De nombreuses animations sont prévues toute au long de la semaine. C’est une véritable vitrine de choix pour les produits de consommation et l’Art de vivre à la française. Dans une large mesure, c’est le seul événement « grand public » français récurrent à Shanghai depuis 2002.

De surcroît, cet événement se tient chaque année dans la rue piétonne Yandang finissant sur Huaihai Lu – le plein centre de la ville. Le lycée Guangming étant une des rares écoles qui se trouve au cœur de Shanghai et n’est pas loin de la rue Yandang. La situation géographique exceptionnelle est un véritable atout pour le lycée. De la porte de l’école jusqu’à l’endroit de cette manifestation culturelle, il suffit de marcher tout droit en suivant la rue Huaihai (rue très célèbre, un peu comme les Champs-Élysées de Shanghai) pendant 30 minutes. C’était donc une occasion favorable pour envisager une sortie culturelle, un rallye, en vue de contextualiser mon enseignement de français dans une situation authentique, dans une ambiance francophone. J’ai donc demandé l’autorisation du directeur du lycée de pouvoir sortir de la salle de classe. Monsieur Mu a accepté mon projet avec plaisir, et il nous a permis de sortir de l’école, vendredi après-midi, soit le 14 octobre 2016.

2. Conception d’une « feuille de mission »

Ayant reçu l’autorisation du proviseur, j’ai commencé à préparer la « feuille de mission » de manière à faire agir les élèves pendant la visite. La conception de cette mission s’inscrit en effet dans la logique de la perspective actionnelle proposée par le CECR, « si les actes de paroles se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification » (CECR 2005 : 15). Cette feuille de mission consiste à inscrire la mobilisation de la compétence linguistique des élèves dans une action sociale. Pour distinguer l’approche

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communicative et la perspective actionnelle, Christian Puren, fervent défenseur de l’approche actionnelle, a dit que :

« L’exercice de référence de l’approche communicative était la simulation, où l’on demande à l’apprenant en classe de faire comme s’il était un usager en société. La perspective actionnelle redonne de plein droit à l’enseignement/apprentissage scolaire une authenticité que l’approche communicative lui a déniée pendant trois décennies. (…) l’agir de référence annoncé dans le texte du CECR, dans une perspective actionnelle, est l’action sociale, c’est-à-dire un agir avec l’autre (par la langue ou autrement), dans lequel les actes de parole ne sont qu’un moyen » (Puren 2006 : 37-38).

« La Semaine Française de Shanghai » est donc un événement qui donne cette authenticité, cet aspect non simulé et bien réel de l’échange. La conception d’une « feuille de mission » permet de provoquer l’acte de parole chez les élèves, ce qui n’est pas un but en soi mais un moyen pratique pour accomplir leur action confiée par leur enseignant. Cette tâche actionnelle peut également ouvrir un terrain favorable à une éducation à l’interculturel. La tâche telle quelle est développée par CECR est

« Il y a une tâche dans la mesure où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui mobilise stratégiquement des compétences dont il(s) dispose(nt) en vue de parvenir à un résultat déterminée (…) Est défini comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé » (CECR : 15)

Dans cette perspective, la feuille de mission est donc conçue comme une tâche. Pour la conception de cette feuille, il a fallu que je visite l’endroit avant d’y amener les élèves. J’ai

donc consacré une matinée à l’observation attentive l’exposition de cet événement. Sur les deux côtés de la rue Yandang, les différents produits de France ont été présentés : la nourriture (pain, lait, baguette, croissant, fromage, dessert…), l’automobile, le vin, le vêtement (les marques comme Le Coq Sportif, Villebois représentée par Sophie Marceau…), la bijouterie (la marque Virginie Mosaic… la designer Madame Virginie, originaire de Paris, était là sur place), le parfum, le restaurant français, un terrain vague pour la pétanque, etc. La plupart des vendeurs étaient des francophones natifs avec quelques collègues chinois. C’était donc une bonne miniature de la culture française dans une rue de 1000 mètres au cœur de Shanghai.

En me baladant dans la rue Yandang et en observant les produits et les expositions, j’ai progressivement conçu mes questionnaires. Mes questions concernent les aspects linguistiques, culturels, interactionnels, interprétatifs… qui sollicitent l’observation, l’interaction verbale avec les francophones. Cette feuille est constituée de 13 questions (voir annexe) et pour une meilleure compréhension, les questions ont été rédigées en français et en mandarin. Pour les 11 premières questions, les élèves doivent se promener sur la rue Yandang et observer attentivement le lieu; ils sont obligés d’avoir une interaction verbale avec les vendeurs francophones sur certains sujets pour avoir les réponses. Par exemple, la question 5 : « Qui est le designer de la bijouterie Virginie Mosaic ? Que signifient les 3 représentations de la tour Eiffel sur le logo de cette marque ? Questionnez le vendeur à ce sujet », la question 6, « Quelle actrice française représente la marque de chaussure Villebois ? L’origine du nom de

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cette marque est intéressant, questionnez le vendeur à ce sujet ». En effet, pendant ma balade, j’ai discuté avec quasiment tous les vendeurs en vue de trouver des points intéressants à explorer à partir de leurs expositions. Ce contact préalable m’a aidé à construire mes questions qui favorisent une interaction approfondie. La communication interculturelle est donc inévitable à cette étape.

Le contenu de la mission contient non seulement la composante culturelle, mais aussi la compétence lexicale. Par exemple, la question 7, « Allez à la boulangerie DainelBakery et trouvez la traduction française de 可颂,法棍,巧克力可颂,苹果丹麦 ». Il s’agit de « croissant, baguette de pain, pain au chocolat, chausson aux pommes ». Les élèves peuvent apprendre de nouveaux éléments de vocabulaire en cherchant, en observant, dans une boulangerie, dans une situation authentique. Il y a également des questions en vue de stimuler la réflexion vis-à-vis de l’autre « Avez-vous pu discuter avec les Français en vous baladant dans la rue Yandang ? Si oui, de quoi avez-vous parlé ? Y a-t-il un changement d’attitude vis-à-vis des Français après avoir échangé avec eux ? ». Une tentative de repérer l’écart entre leur imagination initiale (toujours stéréotypée) avant de rencontrer des francophones et le sentiment réel après l’interaction avec eux est évidente ici.

Vu que cette manifestation culturelle est une vitrine, certes commerciale, de la société française, une réflexion pour une société autre a également été envisagée « Quel élément avez-vous aimé le plus durant cet événement ? Quelle est votre impression générale sur cette manifestation dans son ensemble ? La société française a-t-elle la même image que celle que vous imaginiez ? ». Cette question consiste à comparer leurs représentations antérieure et postérieure à travers un premier aperçu sur la société cible dans un événement connu, ce qui est important d’un point de vue interculturel.

En finalisant mes questionnaires, j’ai eu une bonne surprise ! Au bout de la rue Yandang, j’ai rencontré une amie française dont j’avais fait la connaissance à Grenoble. Ayant un père originaire de Chine et une mère originaire de France, l’identité de Sophie est donc un exemple du métissage culturel. Son père est le patron de la compagnie « Allô France, wines ! » qui vend son vin français dans le cadre de cet événement. Sur leur stand, les différents types de vins étaient présentés avec des desserts typiquement français. Sophie a proposé d’accueillir mes élèves lors de notre visite du vendredi pour leur faire goûter des biscuits français et du vin français. En tant que chanteuse amateur, elle m’a également promis d’interpréter une chanson folklorique française avec sa guitare pour mes élèves lors de notre visite collective. Ma visite a prioripour cette « Semaine Française de Shanghai » a donc été source de bonnes surprises. Je suis rentré au lycée, j’ai rassemblé mes questionnaires, puis j’ai conçu et imprimé la « feuille de mission » pour les élèves.

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