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Les copies d’examens et le classement des élèves par les notes : noter, c’est classer ?

Chapitre III. Le lycée chinois vu par le chercheur : un univers familier et méconnu

2. Documents personnels et officiels de la communauté : des fenêtres ouvertes

2.2. Les copies d’examens et le classement des élèves par les notes : noter, c’est classer ?

Comme évoqué dans le chapitre précédent, la proximité avec ma communauté et le statut de chercheur chinois, m’ont permis d’avoir beaucoup de dérogations dans ma pratique pédagogique. Ainsi, j’ai assisté à la réunion à l’intention des enseignants, le jour de la rentrée, et j’ai retenu un aspect assez intéressant sur le plan de la culture d’enseignement de ma communauté enseignante. En France, l’année scolaire du lycée fonctionne en trimestres, alors qu’en Chine, c’est en semestres. Une année scolaire est divisée en deux semestres et chaque semestre dure environ un peu plus de quatre mois. Pendant la réunion, le responsable pédagogique a annoncé la fréquence de l’examen officiel obligatoire. Étant donné qu’il y a environ 4 mois pour un semestre, il faut un examen à la fin de chaque mois. Autrement dit, il y a 4 examens par semestre. Il a nommé ainsi ces 4 examens : examen mensuel 1, examen mi-semestriel, examen mensuel 2, examen final. L’examen mi-semestriel (ou examen intermédiaire) et l’examen final sont la préoccupation principale de tous les élèves du fait qu’ils constituent la base de leur bulletin de notes et que leurs parents accordent souvent une très grande importance à ces notes. Ces contrôles sont également importants pour les professeurs car l’institution évalue leur qualité d’enseignement en s’appuyant principalement sur ces notes.

Cette réunion a donc suscité ma curiosité et m’a incité à consulter les anciennes copies d’examens de français. Comme les contrôles conçus par les enseignants sont souvent ceux qu’ils considèrent comme étant les plus importants de leurs cours, faire une analyse de ces examens a été un bon moyen d’appréhender leurs convictions méthodologiques et leurs styles d’enseignement. J’ai eu la chance de consulter ces anciennes copies déposées dans notre

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bureau en obtenant l’autorisation de mes collègues. Ici, je vais faire l’analyse rapide d’une copie d’un examen final de 2015 (voir annexe 7, page 16-23) et d’une autre d’un examen mensuel de 2014 (voir annexe 7). Le système de notation est sur 100 points, il est donc différent de celui de la France.

En parcourant les deux copies d’examens, j’ai tout de suite remarqué la prépondérance des structures lexicales et grammaticales ainsi que de la traduction dans l’évaluation. Le premier contrôle (voir annexe 6), se compose de neuf grandes parties, et à l’exception du premier exercice (compréhension orale), du quatrième exercice (compréhension écrite) et du dernier exercice (expression écrite), les autres parties sont toutes étroitement liées à la phonétique (exercices 2 et 5), le lexique, la grammaire, la conjugaison (exercice 6) et la traduction (exercice 8). L’exercice 3, en particulier, est constitué de 17 questions de QCM (questionnaire à choix multiples)qui traitent uniquement de la grammaire. L’évaluation de la compréhension orale et de la compréhension écrite dans cette copie sont également sous la forme de QCM, et je n’ai pas trouvé de colonnes pour rédiger la justification de leurs réponses comme on le fait aux examens de DELF (Diplôme d’études en langue française) et de DALF (Diplôme approfondi de langue française). Il y a donc une forte proportion de QCM (51 au total !) dans cet examen. Les contenus purement lexicaux, grammaticaux et de traduction comptent pour environ 70 % de la note finale.

Pour la deuxième copie (voir annexe 8, page 24-29) que j’ai consultée, c’était à peu près le même principe. Cependant, il y a une différence. Vu que c’est le premier examen mensuel pour les élèves de seconde, il n’y a même pas d’exercices sur la compréhension orale, la compréhension écrite et l’expression écrite. Ce ne sont que des exercices structuraux concernant la phonétique, le lexique et la grammaire, la traduction, rien d’autre. La note totale de cette copie est pourtant de 80. J’ai donc échangé avec ma collègue, Émilie, une des professeures chinoise qui enseigne le français au lycée Guangming.

Émilie : Les 20 points qui restent concernent l’épreuve d’expression orale. 10 sur la capacité de répondre à la question de l’enseignant à l’oral, et 10 sur la qualité de mémorisation du texte d’une leçon 17 (Conversation du 25 septembre 2016 dans notre bureau).

Une fois de plus, j’ai constaté la mise en valeur de la mémorisation par cœur du texte dans l’évaluation des compétences des élèves concernant la langue. L’analyse de ces anciennes copies d’examen, de ces anciennes traces pédagogiques, m’a permis de mieux comprendre le style d’enseignement de mes collègues et de ma communauté pédagogique et la situation d’apprentissage de mon public. J’ai vu clairement que l’évaluation au lycée restait essentiellement grammaticale dans l’enseignement du français. Cela m’a fait penser à mes examens d’anglais de la même nature quand j’étais lycéen en Mongolie-Intérieure. Le souvenir de ma plongée dans la mer d’exercices structuraux pour mieux préparer mon examen et pour avoir une bonne note en anglais était encore très vivant. L’absence totale de dimensions culturelle et interculturelle dans ces traces pédagogiques a encore renforcé mon idée d’intégrer la culture francophone dans ma pratique en classe.

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44 Une bonne entente avec mes collègues de français n’aurait pas suffi pour une meilleure compréhension du système pédagogique. Aller vers les autres enseignants des différentes disciplines m’a semblé crucial pour approfondir ma connaissance. Au lycée Guangming, pour chaque classe, il y a un « professeur principal ». Son rôle de celui-ci est très important en Chine alors qu’en France il est plus limité. Par exemple, il lui est demandé d’être présent vers 7 heures du matin pour contrôler s’il y a des absents dans sa classe et il doit être au lycée jusqu’à la sortie de l’école pour accompagner sa classe. Les élèves doivent obligatoirement avoir l’autorisation du professeur principal s’ils ne peuvent pas se rendre à l’école pour une raison ou une autre. L’échange avec le professeur principal est donc une très belle occasion de saisir davantage le fonctionnement d’une classe. J’ai donc communiqué très régulièrement avec le professeur principal du groupe auquel j’enseigne (Monsieur Chen) et nous avons établi des relations amicales. Je me suis souvent rendu à son bureau pour discuter et c’était toujours très sympathique. Le premier document qu’il m’a montré a été « le bulletin de classement des élèves » de l’année précédente. La sélection est présente tout au long de la scolarité des élèves chinois, avec des enseignants pour lesquels les notes et la réussite aux examens sont absolument primordiales. J’ai examiné de près ce fameux bulletin de classement (voir annexe 8, page 30-32)pour dégager ses particularités.

C’est un document très intéressant du point de vue de l’anthropologie de l’éducation, car j’ai pu observer les matières enseignées, la nature du classement et son système de fonctionnement de ce classement à travers ce document. Pour une meilleure illustration de ce bulletin, j’ai traduit en français les 17 éléments qui constituent les entêtes des colonnes :

1. Numéro de l’élève

2. Nom et prénom de l’élève

3. Note du cours de chinois

4. Note du cours de mathématiques

5. Note du cours de français (anglais)

6. Moyenne de l’élève pour ces trois matières

7. Classement de l’élève pour ces trois matières dans la classe

8. Classement de l’élève pour ces trois matières pour les 7 classes de seconde

9. Note du cours de physique

10. Note du cours de chimie

11. Note du cours de morale etpolitique

12. Note du cours d’histoire

13. Note du cours de géographie

14. Note du cours de biologie

15. Note du cours d’informatique

16. Moyenne de l’élève dans ces 10 matières

17. Classement de l’élève pour ces 10 matières dans la classe

18. Classement de l’élève pour ces 10 matières pour toutes les secondes

À la base, c’est un document Excel qui est imprimé en version papier. J’ai constaté quelques particularités du système éducatif de mon terrain et de la Chine en général. Tout d’abord, en ce qui concerne la dénomination du cours. Au lycée chinois, le cours d’histoire et le cours de géographie sont séparés et ils sont assumés par des enseignants différents. C’est la même

45 chose pour les cours de physique et de chimie. D’autre part, on dit cours de « morale et politique » au lieu de dire « instruction civique ». Le cours de biologie correspond au cours de SVT (Sciences et Vie de la Terre) en France. Je ressens bien une forte empreinte politique dans la dénomination du cours d’instruction civique. Ensuite, les matières sont très hiérarchisées au lycée Guangming. Les trois cours les plus importants sont le chinois, les mathématiques et le français (ou l’anglais), et l’école fait un calcul spécifique des notes de ces trois cours pour chaque élève avant de faire un calcul global des 10 matières enseignées. Après chaque examen officiel que j’ai présenté précédemment, le professeur principal doit s’occuper de remplir un bulletin comme présenté ci-dessus.

Enfin, ce document montre bel et bien une caractéristique chinoise qui peut sans doute étonner les élèves et les professeurs français. Il s’agit bien de la question du classement. Chaque élève est classé de 3 façons : son classement pour chaque matière dans sa propre classe et pour toutes les classes de seconde, son classement sur sa moyenne pour les cours de chinois, de mathématiques et de français dans sa propre classe et pour toutes les classes de seconde, son classement sur sa moyenne totale pour les 10 matières étudiées dans sa propre classe et pour toutes les classes de seconde. Le système de classement est vraiment complet et strict ! Après l’examen, tous les élèves peuvent connaître leur place et celles de leurs camarades.

J’ai remarqué également un phénomène très intéressant lors d’une réunion de parents d’élèves : la réunion se tient dans chaque salle de classe et les parents s’assoient à la place de leurs enfants. Le proviseur du lycée donne un discours, par la radio du lycée, pour tous les parents présents, et la première chose qu’il annonce, c’est le classement des dix meilleurs élèves de seconde selon leurs notes d’examen. Cela se fait devant tous les parents du lycée. J’ai parlé avec Monsieur Chen dans son bureau, pour avoir son point de vue vis-à-vis sur ce système de classement.

Chen : Je pense que cette concurrence est pas mal, car ça peut éventuellement susciter, chez des élèves, une sorte de motivation pour avoir de bonnes notes dans les examens et pousser les élèves à avancer en permanence. Sinon, les élèves ne prennent pas les choses sérieusement. C’est une manière assez efficace pour faire travailler les apprenants. (Conversation du 28 septembre 2016 dans le bureau de Monsieur Chen).

Cette « conviction pédagogique » de Monsieur Chen sur la concurrence est partagée par la plupart des enseignants du lycée Guangming. Toujours est-il que, ma collègue francophone, Élise, également enseignante de mathématiques, prend une position opposée, selon l’entretien que j’ai mené avec elle.

Élise : Le sujet, pour une fois je ne suis pas partagée sur le système chinois. Je suis contre, complètement. Ça fait assez longtemps qu’on ne classe plus les élèves en France. Sauf peut-être dans certains établissements élitistes. Pour moi, c’est chacun a son rythme, il ne devrait pas y avoir de concurrence. Pour les premiers de la classe, ça crée une compétition qui n’est pas mauvaise, ça leur permet de se surpasser mais de toute façon, ce genre d’élève réussit toujours. C’est pour les autres que ce n’est pas bon, je pense, car cela leur revoie une mauvaise image d’eux-mêmes. Ils savent déjà qu’ils sont en échec et ça ne fait que les enfoncer un peu plus.

46 Donc pour moi, le classement n’a pas grand intérêt, il fait plus de mal qu’il ne fait de bien. Il est inutile. (Entretien du 29 septembre 2016 dans notre bureau).

« Complètement contre, inutile… », tels sont les mots utilisés par une francophone qui illustre bien son désaccord à l’égard du système de concurrence. Les commentaires des enseignants du lycée Guangming et la remarque d’une enseignante française traduisent deux visions opposées et deux façons d’interpréter la même chose. J’ai découvert deux modes de fonctionnement qui dépendent d’une perception différente de la réalité. Une personne marquée par une culture où les plus faibles sont mis en valeur ne comprendra pas vraiment le comportement d’un système empreint d’une culture où la sélection est privilégiée. Cela me sensibilise sans cesse à l’importance de la prise en considération de la pluralité des visions et de la culture des interlocuteurs dont ils sont issus.

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