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Chapitre IV. Culture chinoise et interculturel. Entre tradition et modernisation, patriotisme et

4. De la politique de l’ « enseignement pour l’examen » à celle de « l’éducation pour la qualité »

4.2. Questionnaire sur le besoin pédagogique des élèves

En situant la culture d’apprentissage dans une dimension historique et stéréoscopique, je comprends mieux le style d’enseignement dans les établissements secondaires en Chine. La prédominance de « l’enseignement pour l’examen » se traduit, dans l’enseignement des langues étrangères, par une conception « chosifiante », si je puis dire ainsi, des langues de la part des professeurs, c’est-à-dire par une considération de la langue comme un « objet » statique, un ensemble de règles grammaticales, lexicales, phonologiques, etc. De ce fait, l’enseignement des langues vivantes, y compris le français, est essentiellement grammatical et orienté vers la compétence purement linguistique. L’observation du cours et la modalité d’évaluation au lycée Guangming de Shanghai ont bien dévoilé cette conception. Cette négligence pour la conception sociale des langues peut provoquer une grosse lacune culturelle chez les apprenants, et donc baisser leur niveau d’« alphabétisme interculturel » (Unesco 2013 : 10). Cette méthode entraîne une représentation stéréotypée des apprenants sur le pays de la langue cible.

Les apprenants aiment-ils vraiment cette méthode traditionnelle ? Quel est leur besoin pédagogique ? Sont-ils demandeurs d’une composante culturelle ? L’image des pays de la langue cible est-elle relativement neutre ou stéréotypée ? Ayant ces questionnements à l’esprit, j’ai élaboré, tout au début de mon séjour au lycée Guangming, un questionnaire destiné à mes élèves. La plupart des recherches en science humaines et sociales montrent l’avantage de « la complémentarité entre les démarches qualitatives et quantitatives » (Poutois, Desmet et Lahaye 2006 : 135). Malgré la forte empreinte qualitative traduite par l’observation, la conversation, les entretiens, etc., dans mon enquête, j’ai tout de même appliqué l’approche quantitative pour une compréhension approfondie de mon public.

Ce questionnaire a été préparé pour mon premier cours. Cela m’a permis d’avoir une connaissance rapide des élèves et de connaître le plus rapidement possible les besoins et l’intérêt de mon public, et de vérifier le degré de faisabilité de l’approche interculturelle. En tenant compte de leur niveau de français, j’ai rédigé le questionnaire en deux langues, chinois et français, et je les ai autorisés à répondre en chinois. Vu que c’était au tout début de mon intervention pour une connaissance rapide et globale de mon public, je n’ai pas élaboré une

75 enquête sophistiquée. En effet, proposer un questionnaire compliqué avec beaucoup d’interrogations n’était pas mon but.

Ce questionnaire est donc composé de 8 questions claires, simples et ouvertes (voir annexe 1), qui favorisent des réponses diverses. Je n’ai pas posé des questions de façon très explicite : « Aimez-vous apprendre la culture francophone dans le cours ? ». J’ai évité ce genre de question pour ne pas les orienter vers une seule direction. J’ai également posé quelques questions pas directement liées à mon sujet mais qui favorisent une connaissance plus large et un rapprochement avec les élèves. Par exemple, « par quel moyen avez-vous eu connaissance de la classe de français du lycée, et quelle matière aimez-vous le plus ? », Ce type de question peut moduler la couleur très « scientifique » de l’enquête et donner l’impression que leur professeur s’intéresse à ce qui les intéresse. Dans cette thèse, je n’ai pas voulu faire une analyse de données complètes pour chaque question, j’ai sélectionné les réponses à certaines questions qui sont significatives pour mon travail.

Pour la question 1: « Pourquoi choisissez-vous le français ? Avez-vous appris le français ? Si oui, où et combien de temps ? ». J’ai pu catégoriser 5 grandes raisons pour lesquelles ils ont choisi le français :

Aller en France et poursuivre leurs études

Apprendre une nouvelle langue et améliorer leur compétence personnelle La curiosité à propos de la langue française

Communiquer avec les Français et les francophones Découvrirune nouvelle culture

Ces réponses sont importantes dans le sens où elles justifient la légitimité de mon intention d’appliquer l’approche interculturelle. Le fait d’aller en France pour poursuivre leurs études universitaires après le lycée, et l’envie de communiquer avec les francophones, montre que la compétence interculturelle est encore beaucoup plus urgente pour eux. C’est cohérent avec le programme du lycée Guangming car « la classe de français » a un partenariat avec plusieurs établissements supérieurs comme l’École d’ingénieurs de Rouen, l’École de commerce de Lyon, etc. Les élèves vont directement dans ces établissements après leurs études secondaires. Cette mobilité géographique vers la France, au bout de trois années, demande une véritable démarche interculturelle dans le cours pour leur future intégration dans la vie universitaire et la vie quotidienne en France.

En plus, selon les réponses, j’ai constaté que seulement 6 apprenants (parmi 40 élèves) avaient déjà appris le français dans un centre de langue, mais pendant une très courte durée. J’ai donc été confronté à un public de vrais débutants de seconde, sans expérience d’apprentissage du français. L’étude au lycée Guangming représente le premier contact avec cette langue. Sensibiliser à l’interculturel dès le début de l’apprentissage d’une nouvelle langue me semble encore plus pertinent.

76 En analysant la réponse à la question 4 concernant leur biographie langagière, j’ai remarqué que tous les élèves avaient appris l’anglais, tous les élèves parlant shanghaien et mandarin, et 3 élèves avaient appris le japonais. Donc langagièrement parlant, c’était un public assez homogène. Cela m’a permis d’adapter mes choix linguistiques dans mon enseignement. Cela a donc impliqué de faire un parallèle avec la langue anglaise pour clarifier certaines notions grammaticales et linguistiques (vu que l’anglais est la langue la plus proche du français dans leur répertoire linguistique) et de mélanger avec le mandarin dans mon cours pour une transmission plus approfondie.

Les réponses à la question 5 « Quelle est votre impression sur la France ? Choisissez quelques adjectifs pour la définir » sont très révélatrices. J’ai constaté une vision très positive de la France à travers les divers adjectifs qu’ils utilisaient. Cependant, les deux adjectifs « romantique » et « élégant » sont apparus respectivement 38 et 35 fois ! Autrement dit, la quasi-totalité des apprenants avaient cette représentation idéalisée de la France. J’ai clairement vu que ce cliché sur la France était bien enraciné au point d’avoir influencé l’esprit des Chinois et encore les jeunes d’aujourd’hui. Le dépassement du stéréotype et du cliché constituant un aspect crucial de l’interculturel, j’ai consolidé ma conviction de revêtir mon cours d’une dimension interculturelle.

En lisant les réponses à la question 6 « Dans l’apprentissage de la langue française, quel aspect aimez-vous le plus ? », j’ai trouvé une particularité intéressante. J’ai fait un tableau qui récapitule leur intérêt.

Ceux qui aiment la culture francophone 32 élèves Ceux qui aiment la communication orale 29 élèves Ceux qui aiment la compréhension orale 12 élèves Ceux qui aiment l’expression écrite 10 élèves Ceux qui aiment la compréhension écrite 8 élèves Ceux qui aiment grammaire et vocabulaire 5 élèves

Comme je l’ai évoqué plus haut, les étudiants chinois sont habitués à la méthode traditionnelle d’apprentissage la langue qui met en valeur les aspects grammaticaux et linguistiques. Mais cela ne veut pas dire qu’ils les aiment vraiment, comme montré par le nombre d’élèves qui s’intéresse à la grammaire (5 élèves). D’après les réponses, je me suis rendu compte que mon public comportait de grands demandeurs pour la composante culturelle. Dans cette optique, les travaux de Jean-Claude Beacco peuvent être convoqués avec pertinence :

« Le souhait de s’approprier une langue ou l’intérêt qui anime les apprenants en classe de langue semble toujours présenter une composante culturelle. La curiosité culturelle qui se manifeste dans la volonté d’apprendre une langue étrangère est susceptible d’être interprétée plus radicalement comme une attirance pour une autre culture et celle-ci constitue leur motivation » (Beacco 2000 : 17).

77 Aborder les composantes culturelles dans une visée interculturelle me semble donc primordial. Comme les supports culturels sont de bons documents pour déclencher une discussion et une réflexion sur la différence culturelle, sur l’altérité, j’ai commencé à réfléchir, dès le début de mon cours, à la manière d’intégrer la composante culturelle sans perdre le fil de l’acquisition de compétences linguistiques proprement dites. C’est aussi pour ça que dans la question 7, je demande leur opinion concernant les aspects les plus attirants de la France et de la culture française afin de sélectionner les supports culturels selon leurs centres d’intérêt. Leur prédilection devient donc un de mes critères sur le choix du document pour la pratique interculturelle dans mon cours.

La prédominance de l’« enseignement pour l’examen », l’omniprésence de la méthode traditionnelle dans l’enseignement des langues, la pression de la concurrence, les diverses activités extrascolaires résumées par l’« éducation pour la qualité » alourdissent la charge des élèves. Cependant, en observant la culture d’apprentissage chinoise dans son ensemble et en analysant la première enquête réalisée auprès de mon public, je me suis sensibilisé à l’importance de la dimension culturelle dans l’enseignement-apprentissage des langues vivantes. L’enseignement de langue à travers la culture me semble important dans le sens où il correspond au besoin du public, qu’il est susceptible de motiver les apprenants et qu’il est propice à une sensibilisation interculturelle pour les jeunes adolescents chinois, qui ont été imprégnés, depuis longtemps, de la méthode traditionnelle.

En tenant compte de la différence entre l’Occident et l’Orient, en suivant le principe de détermination du juste milieu, j’aurais tendance à intégrer le meilleur de l’approche pédagogique empruntée de l’Occident avec la meilleure des méthodes traditionnelles chinoises. Autrement dit, je voudrais adopter une « créolisation » (Hannerz1987) des approches en visant à une meilleure efficacité, en transformant les importations pour les rendre miennes.

Pour conclure cette première grande partie, je reviens vers la philosophie chinoise. Le confucianisme, le taoïsme, et le bouddhisme constituent un système de pensée complète qui régit la Chine depuis plusieurs milliers d’années. La philosophie confucéenne exerce la plus grande influence. Le concept de ren 仁 (la traduction en français, bienveillance, la vertu d’humanité) est la quintessence du confucianisme. En tant que langue idéogrammatique issue de hiéroglyphes, il y a déjà, dans l’écriture même des mots chinois, une certaine signification, une morale, voire une sorte de philosophie.

Le mot 仁 est composé de deux parties. La partie gauche ressemblant à un profil de personne, désigne toutes les personnes sur la terre. La partie droite, qui ressemble au signe mathématique égal, représente l’égalité et l’équivalence. Les deux parties réunies ensemble, désignent le principe d’impartialité et le traitement équitable envers tous les gens quelle que soit leur identité. Ce qui est encore plus fantastique dans ce mot, c’est que les deux traits du « signe égal » de la partie droite n’ont pas la même longueur, car les personnes sont différentes en raison de leur genre, leur culture d’appartenance, leur origine ethnique, etc. Une sensibilisation et une acceptation de la différence avec l’altérité ont été reconnues par les ancêtres qui ont fabriqué le mot.

78 Ainsi, dans le ren du confucianisme, il s’agit de chercher, malgré la différence par nature, l’égalité et la fraternité de l’humanité. Ce concept de la philosophie confucéenne, se traduit, dans le cadre de la famille, par la préconisation d’être pieux pour les parents, et d’aimer ses amis et ses proches. Dans le cadre de la société, une recommandation de montrer de la sollicitude pour les faibles et une attitude d’empathie envers les gens qui sont différents de nous. Et pour une actualisation de ce concept à l’échelle internationale, ren signifie une cohésion sociale et une coexistence pacifique.

Je remarque, en puisant dans la signification des caractères chinois et dans la philosophie, un lien étroit entre l’interculturel et la pensée chinoise. Cela me permet d’aller plus loin dans la réflexion concernant le poids de la culture chinoise sur l’interculturel. Étant une doctrine essentielle à la fois morale et sociale, ces valeurs confucianistes continuent et continueront à jouer un rôle important sur le comportement des Chinois, sur leur inconscient collectif. Entre l’enracinement de la méthode traditionnelle et l’essai de la modernisation de l’éducation, entre le patriotisme exacerbé et l’ouverture progressive vers le monde, je remarque une forme d’ambiguïté et de complexité, une sorte de dandinement et de ballottement qui se met en place dans ce pays. Un certain degré d’ambivalence a sans doute émergé dans la conception chinoise en matière d’ouverture et de fermeture, de séparation et de lien, d’autorisation et d’interdiction.

Ethnographie de l’école et anthropologie de l’éducation se sont succédées dans l’aventure de ma recherche. Je précise à nouveau que je n’ai aucune prétention d’avoir une vision exhaustive de la relation entre la culture chinoise et l’interculturel, c’est plutôt un périple qui m’oblige à franchir les frontières, à toucher des domaines variés pour une recherche des éléments qui me semblent significatifs pour un éclairage plus approfondi sur mon objet d’étude. Il est maintenant temps pour moi de passer à un autre épisode important de mon histoire, l’aspect opérationnel de mon travail qui consiste à concrétiser l’interculturel dans ma pratique pédagogique, dans mon cours de français.

« Cette route, mythique et plurielle. Cette route, elle me caresse, elle me câline. Plonger dans tes récits, traverser tes paysages, te connaître un peu mieux, pour nous ouvrir les yeux, plus de murs, plus de barrières, je la rêve et la tisse à la soie »…Ces belles paroles, cette belle mélodie, ce bel air, continuent à bourdonner dans mes oreilles à travers la voix soyeuse d’un musicien français, Dantès29.

En prenant les paroles de cette chanson française sur la route de la soie, interprétée et composée par cet artiste talentueux Dantès lui-même et filmé par les caméras de la télévision centrale chinoise, au premier degré et au sens littéral, je voudrais dire que l’échange interculturel reflète mieux l’humanité et est beaucoup plus pertinent que la concurrence politique. Mon souhait est que comme le fil de soie reliait le continent de l’Europe et de l’Asie dans notre histoire, la langue française devienne, via mon enseignement, un trait

29

Cette chanson est consultable sur le sitehttps://www.youtube.com/watch?v=nst42DQKbcI. Dantès est connu en tant que « premier chanteur français qui écrit et chante en chinois ». J’ai eu la chance d’inviter cette personnalité interculturelle dans mon cours pour un échange fructueux avec mes élèves. Je vais expliciter cette partie dans le chapitre VI.

79 d’union, pour les jeunes chinois à l’égard du monde extérieur dans cette ère de la mondialisation. Un trait d’union entre les cultures au sein desquelles tous échangent, s’entraident, et discutent avec bienveillance (ren) avec l’altérité.

La Chine s’ouvre vers le monde et le monde s’ouvre à la Chine, et même si cette réciprocité reste encore majoritairement économique, elle conduit finalement à l’échange des mentalités et des cultures et aux contacts entre les humains. D’où l’importance de l’interculturel en didactique du FLE, en didactique des langues vivantes, car, au bout du compte, favoriser l’interculturel, c’est avant tout mettre l’humain à la première place.

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PARTIE 2

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Chapitre V. L’interculturel à travers le journal d’étonnement : rendre

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