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Chapitre IV. Culture chinoise et interculturel. Entre tradition et modernisation, patriotisme et

2. Le patriotisme chinois : un frein à une souplesse anthropologique ?

Cérémonie de levée du drapeau, affichage des valeurs centrales du socialisme dans la classe, hymne national, contenu du cours d’instruction civique, ces faits observés au lycée Guangming sont empreints d’une forte valeur patriotique. À ce sujet, j’ai déjà fait une description détaillée et présenté les visions des francophones de mon terrain dans le chapitre précédent. Je place donc maintenant cette omniprésence du patriotisme dans une frise

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chronologique en vue de capter la raison pour laquelle cet amour de la nation, de la Patrie est tellement valorisé dans les institutions scolaires et est incrusté dans les esprits des Chinois.

En revisitant l’actualité politique chinoise, je me suis très vite rendu compte du succès de deux notions de nature patriotique préconisées par le gouvernement chinois. « Le rêve chinois (zhong guo meng) », est un slogan politique qui a été énormément répété après avoir été lancé par le président Xi Jinping en mars 2013. Celui-ci est présent dans divers contextes : émissions de télévision, séries télévisées, discours, chants, affiches, et il fait écho au rêve américain dont il semble s’inspirer. Sans aucun doute, cela a l’ambition de renforcer le sentiment patriotique d’une nation promise à redevenir l’Empire du milieu23. Un an après l’apparition du « rêve chinois », une autre notion de même nature a été évoquée par le président Xi Jinping, le 24 février 2014, lors de la réunion du Bureau politique. Il s’agit de la « confiance culturelle (文化自信wen hua zixin) ».

Cette notion s’affirme par une affirmation positive vis-à-vis de la culture traditionnelle chinoise et c’est une mise en avant de la croyance en la philosophie et au système de système de valeurs chinois. Après avoir été abordée par Xi Jinping, on voit apparaître beaucoup d’émissions télévisées, sur les chaînes nationales ou régionales, qui ont l’intention de promouvoir la culture traditionnelle chinoise (concours de poésie ancienne, présentation des œuvres d’art des musées…).

Dans son discours sur la scène internationale, Xi Jinping a volontairement cité des histoires traditionnelles, des vers d’anciens poèmes ou des faits des classiques pour mettre en valeur le charme de la culture chinoise. En réécoutant ces discours du président, je me suis rendu compte qu’il accordait une grande attention à la culture chinoise dans le souci de revitaliser l’influence culturelle de son pays.

De plus, un an après l’apparition de la « confiance culturelle », en 2015, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie, Xi Jinping a déclaré dans son discours : « Cette victoire a mis fin à l’humiliation nationale de la Chine et à la série de défaites subies face aux agressions étrangères. ». Le discours sur l’humiliation nationale subie au contact du monde extérieur est récurrent.

À titre d’exemple, dans les manuels scolaires pour le cours de chinois, on évoque sans cesse l’histoire du saccage du Yuanmingyuan24par les troupes franco-britanniques. La génération de mes parents et ma génération ont appris exactement la même leçon sur ce sujet dans le cours de chinois. Avec l’ouverture forcée du territoire aux intérêts étrangers, imposée par les

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Zhongguo (中国), le terme Chine est composé de deux caractères qui signifient « centre » ou « milieu » et « pays ». Une représentation de l’ethnocentrisme. Avant l’invasion des pays occidentaux, la Chine se contente d’être une société d’autarcique et se considère comme toute puissante. Dans l’histoire chinoise, les dynasties des troupes étrangères, que ce soit les Yuan mongols ou les Qing mandchous, étaient soumises aux valeurs d’une culture chinoise dominante. D’où la perpétuation de l’idée de la supériorité de la civilisation chinoise.

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On l’appelle aussi l’ancien palais d’été. Il est aussi connu comme le « Versailles chinois ». Il fut saccagé et pillé en 1860, lors de la Seconde Guerre de l’opium, par les troupes franco-britanniques, et en 1990, il fut pillé et brûlé par l’Alliance des huit nations (Italie, États-Unis, France, Empire austro-hongrois, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Russie) et rien ne resta de ce second assaut.

67 guerres de l’opium25entre 1839 et 1860, les armées impériales sont défaites, et le mythe de la supériorité de l’Empire est brisé. De nombreux traités inégaux imposés par les puissances occidentales pendant les guerres de l’opium ont été considérés comme la honte absolue de l’histoire chinoise et le gouvernement d’aujourd’hui continue à qualifier le 19e siècle comme le « siècle de l’humiliation ». L’irruption des pays occidentaux, au milieu du 19e siècle, a donc été perçue comme un défi absolu. La réponse, face à ce phénomène, a été une tendance à un nationalisme xénophobe qui a laissé son empreinte jusqu’à aujourd’hui. Ce souvenir triste représente, dans une certaine mesure, l’origine du nationalisme contemporain de la Chine. En tant que chercheur ayant grandi en Chine, j’ai été imprégné de ce type de discours qui rappelle inlassablement cette triste période de l’histoire et la glorification de la patrie. Un rituel scolaire de mon adolescence m’est ainsi revenu à l’esprit. Quand j’étais collégien, chaque lundi matin après la cérémonie de la levée du drapeau, un élève choisi par le professeur principal récitait, avec émotion, un discours bien rédigé au préalable, devant tous les professeurs et les élèves de l’école. Les contenus des discours étaient quasi identiques chaque fois. Il s’agissait toujours de l’humiliation subie par notre pays lors de l’invasion occidentale, de la contribution du Parti communiste chinois pour le développement du pays, et il s’agissait ainsi d’inciter les élèves à aimer leur pays et à travailler dur pour l’avenir glorieux de leur mère patrie. À l’époque, du point de vue d’un jeune collégien chinois, ce type de discours me semblait tellement naturel, légitime, même nécessaire. En prenant du recul, et surtout après avoir vécu en France, je me suis aperçu de l’énorme différence dans la façon dont les habitants de ces deux pays conçoivent la notion de patriotisme, voire de nationalisme. Surtout en examinant le climat politique actuel de la France, j’ai l’impression de voir deux systèmes politiques, deux courants de valeurs diamétralement opposés.

Si je regarde la société chinoise actuelle, le formatage idéologique qui incite à aimer son pays et à aimer le PCC (Parti Communiste Chinois) est quand même un investissement rentable. Malgré l’existence de certains dissidents, le peuple chinois est relativement uni derrière son pays et derrière son gouvernement. La majorité des Chinois ont un vrai sentiment patriotique et ils font de leur mieux pour la gloire de leur pays. Faisons encore un parallèle avec mon vécu personnel, en tant que volontaire pendant les Jeux olympiques de Pékin26 ; en 2008, j’ai ressenti, du fond de mon cœur, les efforts que tous les volontaires et tous les habitants de Pékin ont fait pour montrer leurs plus beaux sourires et la meilleure image de leur pays aux amis étrangers. Malgré l’existence de nombreux problèmes dans ce grand pays, malgré les différences culturelles importantes entre les régions et les ethnies, je vois quand même une force centripète invisible qui est là pour réunir le peuple.

Cela dit, le patriotisme est une notion à double tranchant. Ce patriotisme exacerbé, ce manque de pluralité des visions, entraîne sans doute, si je puis dire, l’aveuglement d’une réflexion et

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Entre 1839 et 1860, l’Angleterre, d’abord seule (première guerre de l’opium, 1839-1842), puis associée à la France (seconde guerre de l’opium, 1958-1860), impose par la force des armes à la Chine l’ouverture au commerce pour leur propre intérêt, avec une drogue redoutable : l’opium. Cette guerre injuste déclenchée par l’Angleterre est décrite par le gouvernement chinois comme « le viol de la Chine par les puissances occidentales ».

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Je faisais mes études à Pékin lors des J.O. de 2008 et j’ai été sélectionné en tant que volontaire officiel de J.O. pour accueillir les étrangers.

68 une certaine étroitesse d’esprit. J’étais gêné par la moindre critique sur la Chine au début de mon séjour en France, et je remarque à quel point ce patriotisme exacerbé a influencé ma pensée. Il existe un idiome en langue chinoise « 坐井观天 zuojingguan tian » qui signifie « regarder le ciel du fond d’un puits ». Avoir une vue bornée n’est pas propice à une ouverture avec des regards croisés, selon lesquels la différence n’est pas envisagée comme une menace, mais comme un enrichissement culturel réciproque (Verbunt 2011 :12). Admettre la pluralité, aspect primordial dans l’optique de l’interculturel, sensibiliser à la différence à travers mon cours de français s’est donc affirmé de jour en jour.

Je n’ai pas la prétention ici de juger tel ou tel système de valeurs. Un regard diachronique et synchronique sur le patriotisme chinois, et quelques souvenirs rétrospectifs sur mon vécu me permettent toutefois de mieux comprendre le fonctionnement d’un lycée chinois qui n’est plus un objet isolé mais historicisé. Un objet qui stimule la mémoire profonde d’un chercheur en suscitant ainsi à la fois des réflexions distanciées et des souvenirs nostalgiques.

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