• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV. Culture chinoise et interculturel. Entre tradition et modernisation, patriotisme et

4. De la politique de l’ « enseignement pour l’examen » à celle de « l’éducation pour la qualité »

4.1. Coexistence contradictoire entre les deux formes d’enseignement

En évoquant l’histoire de la méritocratie, j’ai mentionné une épreuve symbolique, le fameux

Gaokao. Les études et les diplômes universitaires devenant des critères primordiaux pour le

futur des jeunes dans la société actuelle chinoise, faire étudier leurs enfants dans un bon lycée, dans un bon collège, une bonne école primaire, voire un bon jardin d’enfants devient la préoccupation principale des parents chinois. La compétition commence en quelque sorte dès la naissance ; une maxime est répandue en Chine : « Il ne faut pas perdre sur la ligne de départ ». On appelle cette situation « l’enseignement pour l’examen » (Wang 2014). Ainsi sont nées l’industrialisation et la commercialisation de l’éducation. À Shanghai, les frais liés au choix de l’école peuvent atteindre 60000 yuans, soit 5000 euros. Cette situation est inimaginable dans un contexte français.

Pour la plupart des parents chinois, la réussite scolaire de leur enfant constitue le souci numéro un de la famille. Ils n’hésitent pas à donner de l’argent pour faire réussir leur enfant dans les examens importants comme le Gaokao. On a donc tout de même une reproduction des classes dominantes par l’argent. Durant mes quatre années de licence à Pékin, j’ai accompagné un lycéen pendant trois ans, en tant que précepteur pour son cours d’anglais. Je me rendais chez lui trois fois par semaine le soir après ses études « officielles » quotidiennes dans son lycée. En échangeant avec lui, je me suis rendu compte qu’il avait également un professeur de mathématiques et un professeur de physique-chimie pour les quatre autres soirs de la semaine. J’étais encore plus étonné, quand sa mère m’a expliqué que la plupart des élèves de la classe de son fils avaient leur propre professeur personnel le soir et le week-end. La compétition entre les pairs et la pression de la sélection poussent loin cette commercialisation de l’éducation.

28

Considéré comme le premier « éducateur » de Chine, Confucius (551-479 av. J.-C.) est le philosophe et le personnage historique qui a le plus marqué la civilisation chinoise. Analectes, aussi connus sous le nom d’« Entretiens de Confucius », 论语 Lun yu en Chinois, est une compilation de discours de Confucius et ses disciples, ainsi que de conversations entre eux. Lun yu est l’œuvre la plus représentative du confucianisme qui exerce une grande influence sur le mode de pensée des Chinois.

72 L’apprentissage est ainsi extrêmement centré sur l’examen et l’accumulation des connaissances dans l’éducation de la Chine d’aujourd’hui. L’équivalent du mot « apprentissage » en chinois est constitué de deux caractères « 学 习 xue xi ». Selon l’étymologie, xue veut dire imitation, il signifie l’acquisition des connaissances par l’imitation, par la répétition. Le mot xi, quant à lui, traduit les révisions ou les exercices. Autrement dit, la consolidation des connaissances apprises par la révision. Ces deux mots xue xi (apprentissage) en chinois se centrent sur les savoirs et font appel à la pratique guidée par des exercices et à la mémorisation. L’éclaircissement de l’origine des mots met encore une fois en lumière la caractéristique de la culture chinoise d’apprentissage.

Le stress des élèves est donc énorme à cause de cette focalisation excessive sur les études. Même aujourd’hui, on est d’accord sur la définition du bonheur qui était formulée en quatre expressions dans l’ancienne société chinoise : la pluie survenue à la suite d’une longue sécheresse, le bon ami rencontré dans un pays étranger, la nuit de noces, la réussite au concours du mandarinat. Cette dernière est la plus importante. Je remarque à quel point l’éducation pour l’examen a influencé l’inconscient collectif des Chinois. Juste à titre d’exemple, le lycée Maotanchang de la province de l’Anhui, est connu comme « la plus grande machine à examen en Asie ». La gestion quasi militaire est réputée à l’échelle nationale. Les 20 000 élèves sans aucune autonomie et noyés dans une mer d’exercices structuraux subissent des formations scolaires toute l’année, sans vacances, et avec seulement deux heures de repos par semaine pour changer de vêtements. Pour les lycéens français, ce mode de vie serait un « enfer » difficilement imaginable.

Cependant, les membres de l’Éducation nationale n’ont pas été insensibles à l’énorme stress des jeunes Chinois. La politique pour la réduction du fardeau des élèves a donc été lancée et surtout concrétisée par la proposition d’un nouveau terme 素质教育 su zhijiaoyu, qui a émergé au début des années 1990. Cette expression chinoise signifie « L’éducation pour la qualité » qui vise à la réduction du fardeau et à l’amélioration de la qualité de l’enseignement ainsi qu’au développement personnel des élèves. Cette intention est sans doute une belle initiative. Cependant, d’après les recherches, sa mise en place n’a pas encore obtenu le résultat satisfaisant. Dans un article récent sur la recherche de l’éducation en Chine, écrit par une professeure de mon « alma mater » - l’École normale supérieure de Pékin, voici ce que cette dernière a déclaré :

« En visitant une école pilote en enseignement pour la qualité, on peut observer toute une série d’activités sur le plan de la danse, de la musique, de la technique manuelle, etc., en même temps que se déroulent l’enseignement et l’apprentissage focalisé sur l’examen. » (Wang 2014 : 4) Son observation et sa recherche sont très révélatrices, dans la mesure où on peut considérer que cette conception centrée sur la qualité et l’allègement de la charge scolaire ne différait pas fondamentalement des politiques précédentes. On ne peut pas facilement éradiquer l’influence de l’enseignement pour l’examen. La notion a été proposée il y a plus de trois décennies et tous les enseignants chinois sont au courant de cette belle initiative, mais elle n’a pas obtenu les résultats prévus. On entend souvent une sorte de dicton parmi les professeurs chinois, d’ailleurs, j’ai également entendu cette formule de la bouche de mes collègues du lycée

73 Guangming « Travailler avec ardeur à l’enseignement qualifiant, se préparer effectivement à passer l’examen. ». Une reformulation quasi figée qui illustre l’écart entre le rêve et la réalité. En réalité, en observant le mode de fonctionnement du lycée Guangming, toutes les activités extra-scolaires peuvent être considérées comme un enseignement qualifiant. Le lycée propose différents types d’association pour les élèves et on vise le développement personnel des enfants, mais cela n’arrive pas à alléger leur fardeau, vu que la pression de l’examen et la sélection est toujours aussi lourde à l’échelle nationale. Et cet objectif des parents fondé sur la quête de l’excellence dans tous les domaines semble encore très stressant pour les jeunes Chinois.

À ce propos, un livre a suscité une réelle controverse aux États-Unis, L’Hymne de bataille de

la mère-tigresse(2012) d’Amy L. Chua, professeure à l’Université de Yale, d’origine chinoise.

Dans ce livre, elle énonce les grands principes d’une éducation à la chinoise. Ses filles doivent obtenir les meilleures notes à l’école, il faut les inscrire aux cours de violon, piano, mathématiques et langues vivantes, après l’école. Cela va de pair avec l’évincement de certains amis et l’interdiction de la télévision et des jeux vidéo. Il est compréhensible que les Américains soient extrêmement surpris par cette méthode de mère-tigresse, alors que les Chinois y sont habitués. En plus, il ne faut pas oublier qu’à cause de la politique de l’enfant unique, l’enfant demeure la priorité familiale, et les parents placent un énorme espoir dans leur progéniture. Avec l’intention de faire gagner leurs enfants dès le début, mais sans prendre en considération les vrais intérêts de ces jeunes, il y a de plus en plus de « mères-tigresses » à l’échelle nationale.

Lors de la conversation sur le terrain, Simon était étonné par la charge scolaire des élèves chinois en exprimant son « admiration » pour le fait que ses camarades chinois se lèvent si tôt le matin pour se rendre à l’école. Il semble que le glissement total de l’enseignement de l’examen à l’éducation pour la qualité ne soit pas si facile ; si la compétition existe, si le

Gaokao subsiste, cette approche traditionnelle de l’enseignement ne devrait pas disparaître.

J’aurais tendance à dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu quant au cliché sur les étudiants chinois, qui sont habitués à la mémorisation, à la réception passive et aux manques d’esprit critique, d’initiative et d’autonomie. Évidemment, il ne s’agit pas de catégoriser tous les étudiants chinois…c’est plus une atmosphère. Il y a des étudiants brillants avec un esprit de créativité incroyable. Ce que je cherche à dire, c’est que ce phénomène n’est pas inhérent à la personne du fait de sa nationalité, mais il est plutôt dû au contexte environnant, et, accessoirement, à son caractère. Le système scolaire chinois est sans doute une sorte de catalyseur et possède un contexte très facilitant et facilitateur. Néanmoins, dans un pays où il y a un milliard quatre cent millions d’habitants, communiquer des connaissances aux élèves selon leurs différences d’aptitude et d’intelligence, et les faire entrer à l’université selon leurs compétences spécifiquesne me semble vraiment pas facile. Dans le contexte chinois, le

Gaokao, n’est-t-il pas un moyen relativement « juste et égal » par sa nature de sélection des

élèves sans distinction de classe sociale, de famille d’origine et de culture d’appartenance ? Comment peut-on développer la potentialité de chaque élève dans un enseignement basé sur

74 un examen, comment peut-on ménager la chèvre et le chou ? Des vraies questions qui méritent d’avoir une réflexion avancée.

L’enseignement basé sur l’examen, une atmosphère d’apprentissage remplie de concurrence et de sélection, l’idéalisation d’un enfant « polyvalent », tous ces aspects accordent trop d’importance aux notes, à la performance, et, de ce fait, peuvent inévitablement freiner la curiosité et l’esprit critique. Les élèves auront tendance à rester enfermés dans leur carcan, et ainsi l’ethnocentrisme s’aggravera. Dans l’optique de l’interculturel, l’éducation humaine est aussi importante que l’éducation académique. Intégrer une dimension interculturelle dans l’enseignement pour une ouverture vers l’altérité, pour une éducation aussi intellectuelle qu’humaniste, pour une transmission de savoir-être sans perdre le fil de la connaissance factuelle me semble donc essentiel.

Outline

Documents relatifs