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développement des contraintes de croissance dans un

film mince : vers une extension des modèles actuels

L’objectif de ce chapitre est de proposer un modèle analytique permettant de reproduire les

évolutions de contrainte lors de la croissance de films minces métalliques déposés dans des conditions énergétiques. Il s’inscrit dans le cadre d’un travail en étroite collaboration avec l’équipe d’Éric Chason à Brown

University (Providence, E.U) et celle de Kostas Sarakinos à Linköping University (Suède).

Nous présenterons la stratégie expérimentale adoptée afin d’étudier et comprendre l’interdépendance entre les aspects cinétiques et énergétiques du flux incident, la microstructure des films minces et l’amplitude de la contrainte de croissance en régime stationnaire lors du dépôt par pulvérisation magnétron de films minces de faible mobilité atomique (Mo et Ta). En effet, ces métaux réfractaires constituent des systèmes modèles pour étudier les mécanismes d’incorporation de défauts en cours de croissance. La vitesse de dépôt et la taille latérale des grains sont les deux paramètres pertinents qui ont été systématiquement examinés. Une étude par DRX de l’état de déformation-contrainte des films sera proposée en complément des mesures MOSS en cours de dépôt. Cette approche permettra d’étayer les mécanismes de création-relaxation des défauts lors d’un dépôt d’énergie durant la croissance, qui serviront d’hypothèse de base à la formulation du modèle étendu.

Nous présenterons alors le nouveau modèle qui s’appuie sur la description cinétique développée antérieurement par E. Chason en l’absence de contribution due au bombardement du film par des particules énergétiques. L’adéquation avec nos résultats expérimentaux sera finalement discutée.

6.1 Introduction et stratégie expérimentale

6.1.1 Introduction

Comme nous l’avons déjà évoqué au chapitre 1, les contraintes prenant naissance durant la croissance d’un film mince [Koch, 1994 ; Sander, 2004a ; Janssen, 2007 ; Koch, 2010 ; Consonni, 2014] jouent un rôle majeur sur la fonctionnalité et la fiabilité des dispositifs technologiques intégrant des couches de dimensions nanométriques. Comprendre l’origine de ces contraintes a fait l’objet de nombreuses études, principalement menées à l’aide des techniques de mesure de courbure du substrat, tant pour des dépôts non- énergétiques (i.e. évaporation thermique, électrodéposition) [Doerner, 1988 ; Thompson, 1990 ; Koch, 1994 ;

Thompson, 2000 ; Floro, 2001 ; Chason, 2012a] que pour des dépôts énergétiques (i.e. pulvérisation (DCMS,

HiPIMS…), dépôts assistés pas faisceaux d’ions) [Thornton, 1989 ; Windischmann, 1992 ; Pletea, 2005 ; Pletea,

2006 ; Pletea, 2009 ; Fillon, 2010b ; Fillon, 2010c ; Koch, 2010 ; Abadias, 2014]. Ces études ont montré que les

évolutions de contraintes en cours de dépôt sont intrinsèques au mode de croissance et au type de matériaux et peu dépendantes de la technique de dépôt par elle-même. Une dépendance, entre autre, au

flux incident de particules et à la température homologue a été reportée, indiquant que des effets cinétiques jouent un rôle primordial sur la génération et relaxation des contraintes. L’évolution des contraintes avant la continuité du film mince a déjà été discutée dans les chapitres 1 et 3. Une fois le film continu, la contrainte

de croissance finit toujours par atteindre un régime stationnaire71. Lors de dépôts non-énergétiques, cette

contrainte de croissance en régime stationnaire est typiquement en tension pour les éléments de faible mobilité atomique ou lorsque la vitesse de dépôt est élevée et bascule en compression lorsque la mobilité atomique est plus élevée ou la vitesse de dépôt plus faible (cf. Fig. 6.1.1).

Figure 6.1.1 : Evolution de la contrainte de croissance en régime stationnaire (stade III) pour des éléments de différentes mobilités atomiques [Nix, 2014].

L’origine de la contrainte compressive lors de dépôts non-énergétiques est toujours sujette à débat

et fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses études (cf. §1.3.3). Néanmoins, un consensus semble se dessiner autour du rôle décisif des joints de grains, avec deux modèles qui permettent de rendre compte des derniers résultats expérimentaux [Chason, 2012a ; Yu, 2014c]. Toutefois, la très grande majorité de ces études, expérimentales [Chason, 2002 ; Koch, 2005 ; Leib, 2009 ; Shin, 2009 ; Koutsokeras, 2012 ; Magnfält,

2013a ; Yu, 2014c] ou par simulations numériques [Pao, 2007 ; Tello, 2007], se sont principalement focalisées

sur l’étude de métaux de forte mobilité atomique. Nous avons choisi d’utiliser pour cette étude le modèle cinétique de Chason [Chason, 2012a ; Chason, 2012b ; Chason, 2014] qui se focalise sur la description des contraintes générées au niveau de la jonction triple où deux grains adjacents se rencontrent pour former un nouvel élément de joint de grain pour décrire l’évolution de la contrainte de croissance dans le cas de dépôts non-énergétiques. Pour des dépôts énergétiques, le bombardement par les particules incidentes active d’autres mécanismes, comme l’ « atomic peening » [D'Heurle, 1970] à l’origine des contraintes compressives par densification et création de défauts (cf. §1.3.1c & §5.3.1). Lors du dépôt de films minces de Ta ou de Mo à faible pression (0,1 – 0,4 Pa dans notre bâti) l’énergie des particules incidentes peut aller jusqu’à ~ 100 eV, soit une énergie supérieure à l’énergie seuil de déplacement du Mo (60 eV) et du Ta (80 eV) entraînant ainsi la création de défauts de type interstitiels et l’implantation en excès d’atomes jusqu’à 1,5 nm sous la surface en cours de croissance [Magnfält, 2014]. Ce processus est également, dans certains cas, à l’origine du gonflement de la maille cristalline, comme observé lors du dépôt de films minces de Mo élaborés par pulvérisation ionique directe avec des ions Ar de forte énergie (1,2 keV) [Debelle, 2004].

Plusieurs modèles autres que celui de d’Heurle [D'Heurle, 1989] et son idée de densification des films ont tenté de décrire l’évolution de la contrainte de croissance lors de dépôts énergétiques. Nous pouvons citer les travaux de :

- Windischmann et al. [Windischmann, 1987] qui proposent une loi puissance pour expliquer la transition de tension à compression avec la diminution de la pression de travail ;

71 Sauf peut-être dans le cas de métaux de forte mobilité où la croissance de grains est activée [Yu, 2014b].

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- Müller [Müller, 1987] a utilisé des simulations numériques par dynamique moléculaire pour montrer comment le processus de densification du film dû aux collisions réduisait la porosité et donc la contrainte de tension ;

- Davis [Davis, 1993] reporte un modèle analytique basé sur l’équilibre entre la création et

l’annihilation des défauts permettant de décrire la dépendance des contraintes de croissance avec

le flux de défauts créés normalisé par la vitesse de dépôt, et ce à différentes énergies ;

- Knuyt [Knuyt, 2004] utilise le principe de minimisation de l’énergie pour estimer la contrainte de croissance dans le cas de dépôts assistés par bombardement aux ions en incluant le rôle des joints de grains et le nombre de défauts retenus dans le film.

Néanmoins, à l’heure actuelle, aucun modèle complet ne décrit comment les contraintes résiduelles

sont reliées aux phénomènes cinétiques sous-jacents et à la microstructure du film dans le cas de dépôts énergétiques. Pourtant, un tel modèle permettrait de prévoir et de contrôler la contrainte de croissance en

régime stationnaire qui se développerait pour différents systèmes en fonction des conditions de dépôts. L’absence d’un tel modèle est en grande partie due au manque de données expérimentales étudiant systématiquement la contrainte de croissance tout en caractérisant finement la microstructure des films et en contrôlant précisément et indépendamment les conditions de dépôt et la microstructure.

Enfin, Janssen et Kamminga [Janssen, 2004] ont suggéré, pour des films réfractaires, que la contrainte de compression induite par les particules incidentes énergétiques (« atomic peening ») et la contrainte de croissance en tension (sous-densité des joints de grains à cause de l’absence de diffusion des adatomes) sont

additives. Nous avons utilisé cette approche pour développer notre modèle cinétique étendu aux dépôts

énergétiques. Ce modèle tient compte à la fois des différents aspects du martèlement atomique, à savoir la production de défauts mais aussi leur possible annihilation et des mécanismes de diffusion thermiquement activés, initialement inclus dans le modèle de Chason.

6.1.2 Développement des contraintes lors de la croissance de films minces

dans des conditions non-énergétiques : modèle cinétique de Chason

L’approche utilisée pour bâtir notre modèle étendu au rôle de l’énergie déposée considère comme additives les contraintes décrites dans le modèle cinétique de Chason pour des dépôts non-énergétiques et les contraintes dues à l’énergie déposée en cours de croissance. Nous allons détailler dans un premier temps le modèle initial de Chason (i.e. le modèle de croissance) dont les grandes lignes avaient été évoquées dans le chapitre 1. Ce modèle est basé sur un système d’équations différentielles qui régit les processus de diffusion des atomes et permet de décrire la contrainte créée à la surface du joint de grain (i.e. à la jonction triple) au moment où celle-ci se forme entre deux grains adjacents (cf. Fig. 6.1.2). Le modèle prédit que la contrainte dans chaque nouvelle couche formée dépend de la vitesse à laquelle la jonction triple se déplace vers le haut. Cette vitesse correspond pour un film uniforme et continu à la vitesse de dépôt, R.

La contrainte de tension σT due aux forces attractives entre grains adjacents peut s’écrire d’après le

mécanisme de coalescence décrit par Hoffman (cf. §1.3.2b) selon :

�� =� ���� 1

2 (6.1.1)

Avec, Δγ : le changement d’énergie de surface entre la surface et le joint de grain [eV] ;

L : le diamètre moyen des grains dans le plan de la surface du film (i.e. la taille des grains) [m] ; α : une constante qui dépend de la forme et de la hauteur des îlots.

Figure 6.1.2 : Schéma décrivant l’action des différentes sources de contrainte à la jonction triple.

A cette contrainte de tension s’ajoute une contrainte de compression dans la ie couche due à

l’insertion d’atomes dans les joints de grains, ceux-ci y ayant diffusé depuis la surface avant que la ie couche

ne soit recouverte. La déformation induite par cette insertion d’atomes Δεi est prise proportionnelle au

nombre d’atomes Ni diffusant dans le joint de grain pendant cette période :

��� =−��� (6.1.2)

Avec, a : la distance entre deux plans atomiques dans la direction de croissance (cf. Fig. 6.1.2) [m].

La vitesse à laquelle les atomes s’insèrent dans les joints de grains peut être approximée à l’aide d’une analyse cinétique simple pour laquelle la diffusion est gouvernée par la différence de potentiel chimique Δμ entre la surface du film et la jonction triple :

�� = �µ�+���� (6.1.3)

Avec, δμs : l’augmentation de potentiel chimique en surface due aux conditions de dépôt hors équilibre (i.e. la vapeur sursaturée) [J] ;

σiΩ : provient de la contrainte dans la couche due à l’insertion d’un atome en excès de volume Ω à la jonction triple, avec �� =��� où �� est donnée par l’équation 6.1.2 [J];

Ω : volume atomique [m3].

Ainsi, le taux d’incorporation d’atomes à la jonction triple s’écrit :

��� �� = 4�� ���� �2 (1− � −�µ ��)≅ 4����� �2 �µ �� (6.1.4)

Avec, ���∝ �−���� : la diffusivité effective, liée à la fréquence d’essai de saut depuis la surface vers la jonction triple. Ea correspond à l’énergie d’activation du processus de diffusion [eV] ;

Cs : la concentration d’adatomes libres de sauter par diffusion dans la jonction triple72 ; k : la constante de Boltzmann [J.K-1].

La combinaison de ces équations permet d’aboutir à l’équation différentielle pour la contrainte dans la ième

couche, σi : ��� �� = 4���� ��� ���� � (�µ�+���) (6.1.5)

Avec, Mf : le module biaxial du film [Pa].

72 Cette concentration est considérée constante quels que soient T et R, c’est la diffusivité et le temps laisser à un

adatome pour sauter qui traduiront la dépendance du mécanisme d’incorporation avec T et R.

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La solution de cette équation est de la forme :

�� =��+ (��− ��)�−��−���� ���� �� ≡ −�µ� , 1≡ ������� , � ≡4������� (6.1.6)

Le temps pendant lequel les atomes de la surface peuvent s’insérer dans la jonction triple (t-ti) est

égal au temps mis pour recouvrir la jonction. Soit, pour une distance inter planaire dans la direction de croissance a et une vitesse de dépôt R, � − � = �

, d’où, on peut en déduire la contrainte de croissance en

régime stationnaire calculée avec ce modèle :

�� =��+ (��− ��)� −�����

�� (6.1.7)

Si, � �� � → ∞, ����� �→ � ; � �� � → 0, ����� ��→ ��.

La dépendance de la contrainte de croissance, calculée avec le modèle de Chason, avec la diffusivité (proportionnelle à la mobilité atomique) Deff et la cinétique de croissance R est explicitée sur la figure 6.1.3.

a) b)

Figure 6.1.3 : a) Evolution de la contrainte de croissance en régime stationnaire en fonction de R pour différentes diffusivités effectives Deff ; b) Ajustement par le modèle de Chason de l’évolution de σss en fonction de R dans le cas de films de Ni électrodéposés [Chason,

2012b].

Dans le cas de dépôt par pulvérisation magnétron, la vitesse de croissance est typiquement de l’ordre de 0,01 – 1 nm.s-1. Dans cet intervalle, nous pouvons voir sur la figure 6.1.3a que la contrainte de croissance

est extrêmement sensible à la vitesse de dépôt et ce d’autant plus que la diffusivité effective est faible. Augmenter le coefficient devant Deff revient artificiellement à augmenter la mobilité atomique par une

augmentation de la température ou par le choix d’une espèce plus mobile ou par une diminution de la densité de défauts en surface. Une transition de tension à compression est observée lorsque R diminue. En effet, plus la vitesse de dépôt sera faible, plus les adatomes auront le temps de diffuser vers les joints de grains et donc plus la contrainte de croissance sera compressive. A noter que pour les plus fortes diffusivités, dans la gamme de vitesses accessible par pulvérisation magnétron, la dépendance avec la vitesse est quasi inexistante car les adatomes ont toujours le temps de « remplir » les joints de grains et ce jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de différence de potentiel chimique (cf. Eq. 6.1.3) et donc plus de force motrice pour le remplissage. La figure 6.1.3b permet de montrer que ce modèle retrouve avec une grande précision l’évolution de la contrainte de croissance en fonction de la vitesse de dépôt dans le cas de la croissance de films minces de Ni par électrodéposition.

Sur la figure 6.1.4a, nous présentons l’évolution de la force intrinsèque en fonction de l’épaisseur pour différentes valeurs du paramètre τ. Nous pouvons voir que lorsque celui-ci décroît, la contrainte de croissance en régime stationnaire passe d’un régime en tension à un régime en compression. En effet, diminuer τ (cf. Eq. 6.1.6), la constante de temps caractéristique pour l’incorporation d’atomes dans les joints de grains, revient à augmenter la diffusivité, ou à diminuer la taille de grains (i.e. augmenter la densité de 185

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