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Chapitre 3 : Premiers stades de croissance de films minces métalliques

3.5 Contrôle de la microstructure et de la contrainte stationnaire lors de la croissance

3.5.2 Contrôle de la microstructure et de la contrainte par effets d’alliages

L’effet d’alliage sur le développement des contraintes dans le cas de la croissance d’un métal de forte mobilité atomique a été aperçu dans la section précédente. Nous présentons figure 3.5.4 une étude plus systématique avec des mesure MOSS, dans le cas d’une croissance sur a-SiOx de codépôts d’alliages Pd1-xGex

(0,16 Pa, 0,26 nm.s-1). En insert, nous pouvons voir que les premiers stades ne permettent pas de distinguer

clairement entre un saut de la contrainte de surface typique d’une croissance 2D et une coalescence pour une épaisseur d’environ 4 nm contre 6 nm lors d’un dépôt sur Si oxydé. Nous pourrions être ici dans le cas d’une croissance intermédiaire de type Stranski-Krastanov. Pour la contrainte de croissance stationnaire, nous pouvons voir qu’une augmentation de la teneur de l’alliage en Ge entraîne une augmentation notable de la contrainte de compression, celle-ci allant de – 0,16 GPa pour 0 % ou 5,7 % de Ge à - 1,00 GPa pour une concentration en Ge de 17 %.

Sur le diffractogramme de la figure 3.5.4b, nous pouvons voir que quelle que soit la concentration en Ge < 17%, les films sont de structure CFC texturés selon les plans (111) dans la direction de croissance. Le décalage du pic de diffraction par rapport à sa position d’équilibre vers les petits angles lorsque la concentration en Ge augmente est en accord avec l’état de contrainte des films. Sur les images de topographie de surface obtenues par AFM présentées en insert de la figure 3.5.4b, nous observons qu’une augmentation de la concentration en Ge entraîne une légère diminution de la taille des grains et de la rugosité des films. Pour une concentration en Ge de 17 %, la topographie de surface du film est similaire à celle d’un amorphe. Ceci est dû au caractère surfactant du Ge qui, pour cette concentration, forme continuellement une couche continue amorphe à la surface.

a) b)

Figure 3.5.4 : a) Evolution de la force par unité de longueur en fonction de l’épaisseur déposée de films minces d’alliages Pd1-xGex

pour 0 < x < 0,17 ; b) Diffractogrammes et images AFM (500 × 250 nm) correspondantes.

Nous montrons donc que par le dépôt de films à faible taux d’alliages, il est possible de contrôler la

contrainte stationnaire dans le film et dans une moindre mesure la microstructure, mais de nouveau cette

stratégie est présentée dans le cas d’un film à croissance 3D.

Dans le cas d’un film à croissance 2D, le Mo, les travaux de Fillon et al. [Fillon, 2010a] ont montré par

l’intermédiaire de mesures MOSS in-situ couplées à des caractérisations structurales et morphologiques ex-

situ, que le dépôt de films d’alliages Mo1-xSix permet, en retardant la transition de phase amorphe-cristal, de

contrôler la taille de grains et la microstructure des films obtenus (cf. Fig. 3.5.5). Sur la figure 3.5.5a, les images AFM nous montrent, après traitement numérique de l’image, que la taille des grains varie d’environ 60 nm pour un film de Mo pur à environ 600 nm pour une concentration en Si de 16 %. La figure 3.5.5b met 111

clairement en évidence, la forte dépendance de la taille des grains avec la concentration en Si pour des valeurs de concentration comprises entre 15 % et 17 %. Pour une concentration en Si inférieure à la concentration critique (x* = 19 %) le film obtenu reste amorphe.

a) b)

Figure 3.5.5 : a) Topographie de surface obtenues par AFM (1 × 1 µm) de films minces de Mo1-xSix de 100 nm d’épaisseur avec 0 < x <

0,16 ; b) Evolution du diamètre moyen dans le plan des grains en fonction de la concentration en Si. x* correspond à la concentration en Si à partir de laquelle la transformation amorphe-cristal ne se produit plus.

Suite à ce rappel des travaux de l’étude de Fillon et al., nous avons repris cette stratégie expérimentale en proposant de coupler les mesures MOSS à des mesures de résistivité électrique in-situ de manière à mettre en avant la complémentarité et la différence de sensibilité des deux techniques (cf. Fig. 3.5.6).

a) b)

Figure 3.5.6 : a) Evolution de la résistivité de films minces de molybdène et d’alliages Mo1-xSix. Les lignes pointillées correspondent

aux épaisseurs de cristallisations obtenues par les mesures MOSS et de résistivité, par couleur; b) Diffractogrammes de films de Mo (rouge) et MoSi16% (bleu) déposés avec le montage de résistivité.

La courbe noire représente les évolutions de la contrainte et de la résistivité d’un film mince de Mo pur déposé sur un substrat de Si amorphe (0,16 Pa, 0,06 nm.s-1). Une telle croissance a été décrite figure 3.3.3.

Les courbes vertes et rouges représentent des dépôts faits sur des alliages MoSi8% et MoSi16% respectivement

dans des conditions similaires. Les sauts de résistivité pour une épaisseur de 0,6 nm ne sont pas à interpréter, ils sont parfaitement reproductibles et liés à l’absence de filtrage de la source radiofréquence. Pour les premiers angströms déposés nous retrouvons l’évolution non monotone due au dépôt sur une sous-couche de Si amorphe.

Pour l’alliage MoSi8%, nous pouvons observer une chute de la résistivité pour une épaisseur de 4 nm

avant de tendre vers un régime stationnaire avec une valeur de résistivité plus élevée que pour le film de Mo pur. Cette évolution met en évidence un retard de la transition de phase amorphe-cristal en accord avec le saut de contrainte en tension visible sur les mesures MOSS associées.

Pour l’alliage MoSi16%, la transition amorphe-cristal est clairement visible sur les mesures MOSS pour

une épaisseur d’environ 10 nm, pourtant aucune évolution de la résistivité n’est observée. Pour expliquer ce résultat, deux hypothèses peuvent être envisagées. Le film n’a pas recristallisé à cause d’une stœchiométrie du dépôt altérée par le montage de résistivité, ou alors la variation de résistivité entre un film mince de MoSi16% amorphe et un film mince de MoSi16% cristallin n’est pas détectable. Les diffractogrammes de la figure

3.5.6b permettent de mettre en évidence deux pics de diffraction de Bragg, à 40,4° pour le film de Mo pur et à 41,2° pour le film de MoSi16%. Ces pics correspondent à une diffraction selon les plans (110) de la structure

cubique centrée du molybdène. Les films obtenus sont donc cristallins et texturés (110). Nous en déduisons donc que malheureusement la détection de la transition de phase entre un MoSi16% amorphe et un MoSi16%

cristallin ne modifie que trop peu la résistivité du film mince pour que celle-ci soit observable. Néanmoins, remarquons que plus la quantité de silicium dans l’alliage est élevée, plus la résistivité finale du film mince obtenu est grande, un résultat en accord avec les mesures faites ex-situ par Fillon et al. [Fillon, 2013].

Cette brève étude sur les alliages Mo1-xSix corrobore les résultats obtenus précédemment et permet

de montrer la complémentarité des mesures MOSS sur lesquelles la transition amorphe-cristal dans le cas d’un film de Mo pur est difficilement détectable et des mesures de résistivité pour lesquelles la transition de phase amorphe-cristal du film de Mo pur est évidente et c’est cette fois la transition amorphe-cristal du film de MoSi16% qui n’est pas détectable. Cette absence de détection de la recristallisation peut être attribuée au

fort désordre chimique et topologique qui persiste lors de la stabilisation de solutions solides CC métastables de Mo1-xSix (0 < x < 0,16) et à leur forte résistivité associée [Fillon, 2013]. De plus, elle permet d’exposer une

partie de la stratégie expérimentale (i.e. le contrôle de la taille des grains par une sous-couche cristalline) à la base des études du chapitre 6.

3.6 Conclusion et perspectives

Nous avons vu dans ce chapitre comment la complémentarité des mesures in-situ en temps réel (MOSS, SDRS et mesures de résistivité) permet de sonder avec une résolution inférieure à la monocouche les premiers stades de croissance d’éléments métalliques de diverses mobilités atomiques. Le fait d’avoir déposé ces différents matériaux dans un même bâti a permis une analyse quantitative des différents stades de croissance, marquée par une forte différence entre les métaux de forte et de faible mobilité atomique, avec pour résultat une mise en évidence de :

• pour les métaux de forte mobilité atomique (Ag, Au, Pd) :

- la croissance 3D sur un substrat de Si oxydé de films texturés selon les plans (111) ;

- les épaisseurs de percolation et de coalescence ainsi que le diamètre moyen des grains d’autant plus grands que la mobilité atomique est élevée ;

- le contrôle des épaisseurs de transition entre stades par l’intermédiaire d’un surfactant ;

- l’influence du codépôt d’un surfactant sur l’augmentation de la contrainte stationnaire de croissance en compression ;

- le bon ajustement de l’amplitude du pic de coalescence en utilisant le modèle de Freund et Chason dans le cas d’îlots hémisphériques répartis régulièrement sur un réseau carré ;

- le lien entre l’amplitude de la relaxation rapide à l’arrêt du flux et la mobilité atomique ;

- l’absence d’effet significatif d’une augmentation de l’énergie déposée sur la contrainte de croissance stationnaire ;

- la diminution de la contrainte de compression lorsque la vitesse de dépôt augmente. • pour les métaux de faible mobilité atomique (Ta, Mo, W) :

- la croissance 2D sur substrats neutres de films texturés (110) ou (002) dans le cas du Ta-β ; - le premier stade de croissance en phase amorphe et l’accord de l’amplitude du saut de la

contrainte de surface avec le modèle de Müller et Thomas [Müller, 2000b] ;

- la cristallisation des films vers la phase d’équilibre pour des épaisseurs de quelques nanomètres dans les cas du Mo et du W et vers la phase métastable β dans le cas du Ta ;

- l’absence de relaxation rapide à l’arrêt du flux. Avec, dans le cas du Ta et dans une moindre proportion du W une évolution en compression à l’arrêt du flux, attribuée à l’adsorption d’oxygène ;

- la forte dépendance de la contrainte de croissance en régime stationnaire avec l’énergie déposée ;

- l’évolution à l’opposé des modèles actuels de la contrainte de compression en régime stationnaire avec la variation de la vitesse de dépôt (cf. Chap. 6);

- la possibilité de contrôler la microstructure de films de Mo1-xSix par un effet d’alliage retardant la

transition amorphe-cristal.

Cette vue synthétique des différents métaux en fonction de la température homologue s’est montrée insuffisante pour prédire les différents stades de croissance des films minces d’Ir et de Fe. Le film d’Ir, bien qu’ayant une croissance 3D, a montré une dépendance de sa contrainte stationnaire de croissance à l’énergie déposée due à sa faible mobilité atomique, typique des métaux à croissance 2D, mettant en évidence un recouvrement des deux comportements ou archétypes précédents dans un domaine critique de température 0,10 ≤ Th≤ 0,16. Au paramètre de température homologue, la croissance de films minces de fer est venue

confirmer qu’il fallait aussi considérer la structure d’équilibre du film déposé (CFC, CC…) de manière à anticiper le type de croissance.

D’un point de vue technique, le couplage MOSS-SDRS a permis de montrer que le maximum du pic

de tension à la coalescence correspondait effectivement à l’épaisseur de continuité du film. Le couplage de la mesure de résistivité aux mesures MOSS-SDRS a permis de :

- déterminer les épaisseurs de percolation des films ;

- donner des informations sur la résistivité à l’échelle de la monocouche lors de changements de phases, avec une très bonne complémentarité avec les mesures MOSS lors de la croissance d’alliages Mo1-xSix ;

- de trouver un bon accord sur la détermination des épaisseurs de continuité à partir des trois techniques in-situ utilisées, remettant en question l’interprétation de l’instant de la courbe correspondant à la continuité sur les courbes d’ellipsométrie spectroscopique présentées par Patsalas et al. [Patsalas, 2003].

Néanmoins, certaines questions se posent toujours :

Comment interpréter les premiers stades complexes lors de la croissance de films minces de Pd sur Si ou Ge amorphe ? La réponse à cette question fait l’objet du chapitre 4. Pourquoi dans le cas du Ta une

phase métastable est-elle stabilisée ? Cette stabilisation dépend-elle des conditions de dépôt ? Du vide résiduel ? Y-a-t-il une transition vers la phase d’équilibre du Ta aux fortes épaisseurs ? Toutes ces questions trouveront une réponse dans le chapitre 5. Comment expliquer l’influence de la vitesse de dépôt sur la contrainte stationnaire pour les éléments de faible mobilité atomique à croissance 2D qui va à l’encontre des modèles actuels ? Cette évolution est-elle commune pour différents métaux de faible mobilité atomique ? Pour différentes techniques de dépôt ? Peut-on imaginer un modèle permettant d’expliquer cette évolution et ainsi être capables de sonder, comprendre et contrôler la contrainte stationnaire ? Toutes ces questions seront traitées dans le chapitre 6.

D’autres question se posent et se poseront toujours après la lecture de ce manuscrit :

Peut-on contrôler la microstructure lors de la croissance de films minces de W à la manière de ce que nous pouvons faire dans le cas du Mo ? L’utilisation de géométries de dépôts différentes entre la configuration MOSS et les mesures de résistivité électrique influence-t-elle l’énergie déposée et par voie de conséquence la formation préférentielle d’une phase dans le cas de la croissance de films minces de W ? Une étude systématique couplant les diagnostics MOSS et de résistivité en fonction des conditions de dépôt devrait permettre d’éclaircir ce point. L’étude de la croissance de films minces d’Ag et d’Au sur une sous- couche de Ge amorphe, en complément des mesures pour des films minces de Pd et d’Ir présentées ici, devrait nous permettre de tirer des informations quantitatives sur le contrôle de la mobilité atomique par un surfactant ? L’installation d’un cryostat dans le bâti « PUMA » proposée chapitre 2 pour des mesures de résistivité sur de grandes plages de température devrait permettre de pouvoir contrôler la microstructure et les contraintes lors du dépôt d’éléments de forte mobilité atomique. Pourrions-nous ainsi obtenir des films sans contraintes par le choix d’une température adaptée ? Pourrait-on expliquer la contrainte stationnaire de croissance qui persiste en tension dans le cas de la croissance de Fe par une étude plus poussée pour différentes énergies déposées et différentes températures ? Qu’elle est physiquement la source du rôle de la structure d’équilibre sur le mode de croissance : les orbitales d ? Les 2d voisins ?

Chapitre 4 : Croissance d’un système à forte réactivité

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