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Chapitre 5 : Sur l’origine de la stabilisation de la phase Ta β lors de la croissance de films minces

5.4 Origine de la nucléation préférentielle de la phase métastable β

5.4.1 Description thermodynamique du processus de nucléation

Pour répondre à l’interrogation concernant la nucléation préférentielle de la phase métastable Ta-β sur substrats neutres à 25 °C, il convient d’examiner les conditions particulières conduisant à la nucléation- croissance de chacune des deux phases cristallines du Ta sur une couche de Ta amorphe. Nous allons adopter pour cette discussion une géométrie spécifique : celle de germes de forme hémisphérique67 (cf. Fig. 5.4.1).

Nous notons ���−���� la différence entre les énergies d’interface des phases a-Ta et c-Ta, tandis que ���−����� désigne la différence entre leurs énergies de surface, les symboles a et c se référant respectivement

à la phase amorphe et cristalline (α ou β).

Figure 5.4.1 : Représentation schématique d’un germe hémisphérique de Ta cristallin à la surface du Ta amorphe.

La variation d’enthalpie libre liée à la formation d’un germe cristallin hémisphérique de rayon r relativement à celle d’un amas amorphe de même volume s’écrit :

67 La croissance 2D du Ta est plutôt en faveur de l’utilisation d’un germe hémicylindrique. Néanmoins, cette géométrie

entraîne l’utilisation de deux variables r et h, ce qui complexifie grandement la description tout en impactant que quantitativement les résultats du modèle (i.e. pour les températures absolues du domaine de coexistence en température). Le choix a donc été fait de présenter le modèle pour un germe hémisphérique.

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∆��−���� =∆��−��� 23��3+��2���−���� + 2��2���−����� (5.4.1)

Avec, ∆��−��� : la force motrice de volume, correspondant à la différence entre les enthalpies libres des phases c-Ta et a-Ta, définies ici par unité de volume. Ce terme est négatif.

Les deux derniers termes représentent le coût lié à la formation de surfaces et d’interfaces lors de la formation du germe cristallin, ils donnent une contribution positive à ce bilan.

La stabilité d’un germe, et par conséquent sa croissance, ne sera possible que si, et seulement si :

�(∆��−����)

�� < 0 (5.4.2)

En annulant cette dérivée, on en déduit le rayon critique r* : ���∆��−�����

�� ��=�∗= 0 ⇒ �∗=

(2���−�����+���−����)

−∆��−��� (5.4.3)

Ainsi que la hauteur de la barrière d’énergie W* à franchir pour l’obtenir :

�∗=∆� �−����(� = �∗) =13� � ����−����+2���−������ 3 �∆��−��� �2 � (5.4.4) Plus la valeur de r* sera grande et plus évidemment la barrière d’énergie le sera (cf. Fig. 5.4.2b). En régime stationnaire, le taux de nucléation, Rnuc, définissant le nombre de germes stables formés par unité de

temps et de surface s’exprime selon :

����∝ �(−����)�( −�∗

��) (5.4.5)

Où l’on identifie deux facteurs, le premier, d’origine cinétique, caractérise l’aptitude des germes à capturer des atomes, il est caractérisé par une énergie d’activation EI, que nous supposerons faible lors d’une

croissance par pulvérisation. Le second facteur, d’origine thermodynamique, fait intervenir la barrière d’énergie W* et, à température fixée, Rnuc décroît d’une manière exponentielle avec cette quantité.

Quantitativement, nous ne disposons de données assez fiables que pour la phase d’équilibre Ta-α. Le terme ∆��−��−�� =∆��−��−��

��−�� peut être calculé pour une température T en se référant à la variation d’enthalpie

lors de la fusion (chaleur latente) à la température de fusion Tf. En supposant que les capacités calorifiques

des phases cristallines et amorphes soient peu différentes (hypothèse généralement acceptable pour les alliages métalliques), ∆��−��−�� s’exprime :

∆��−��−��=−∆���−���1 −� (5.4.6)

Avec ∆��−�� = 36,56 kJ.mole-1 [De Boer, 1988], T

f = 3290 K et T ~ 300 K, on a ∆��−��−�� ~ – 33,2 kJ.mole-1 (–

0,344 eV/at). Le volume molaire ��−�� étant égal à 10,8.10-6 m3, on en déduit ∆�

�−��−��= − 3,07.106 kJ.m-3.

Les données thermodynamiques relatives à la phase Ta-β sont évidemment moins bien connues. Nous savons qu’elle se transforme par recuit thermique en la phase d’équilibre bien en dessous de la température de fusion. Des calculs atomistiques (dynamique moléculaire et méthode ab initio) effectués par Klaver et Thijsse [Klaver, 2002] indiquent que la différence d’énergie de cohésion entre les deux phases serait de l’ordre de 0,08 eV.at-1 à 0 K. D’autres calculs réalisés par Nnolim et al. [Nnolim, 2003] utilisant une méthode

DFT dans l’approximation GGA (« generalized gradient approximation ») l’évalue, à 0 K, à 0,162 eV.at-1. A

l’aide de ces deux données, nous estimons des valeurs correspondantes de ∆��−��−�� à 25 °C de ~ – 26,0 kJ.mole-1 (– 0,27 eV.at-1) et ~ − 17,3 kJ.mole-1 (– 0,18 eV.at-1).

Dans le numérateur de l’expression de W*, apparaissent les deux termes ���−�����et ���−����. On peut

supposer que ���−�����≫ ���−���� puisque cette dernière quantité caractérise l’interface entre le Ta amorphe et le Ta cristallin. Diverses valeurs expérimentales d’énergie de surface ont été reportées dans la littérature pour la phase d’équilibre, elles varient de 2,91 à 3,15 J.m-2 [Wasserman, 1970 ; Tyson, 1977], et sont en

relativement bon accord avec celles déduites de calculs DFT qui sont comprises entre 3,084 et 3,40 J.m-2

[Vitos, 1998 ; Kádas, 2006]. L’énergie de surface de la phase Ta-β (plans (002)) n’est pas connue, néanmoins

en nous référant à un simple modèle de « liaisons coupées », nous pouvons prévoir qu’elle sera abaissée relativement à celle du Ta-α(110) puisque la densité atomique des plans (002) de la phase Ta-β est plus élevée (~ 17 %) que celle relative aux plans denses de la phase Ta-α : ��−��(002)= 4,9.1014 at.cm-2 >

��−��(110) =

4,2.1014 at.cm-2. L’énergie de cohésion de cette phase étant également plus basse que celle de la phase

d’équilibre (~ –10 % à −20 % selon la référence prise), nous pouvons considérer que son énergie de surface sera réduite d’un facteur au moins équivalent, elle se situerait donc à ~ 2,5 à 2,8 J.m-2. L’énergie de surface

de la phase amorphe, �−������, n’est pas précisément connue, elle devrait être légèrement supérieure à celle de la phase liquide, ���−������ = 2,15 J.m-2 [Martienssen, 2006], donc de l’ordre de 2,2 à 2.3 J.m-2.

En nous reportant à l’expression de W* (cf. Eq. 5.4.4), nous pouvons comprendre à l’aide des données précédentes, malgré le manque certain de précision pour la phase Ta-β, que le poids des termes de surface est tout à fait en mesure de renverser l’influence de la force motrice de volume, pourtant favorable à la formation de germes de structure Ta-α. Ainsi, pourrait-on expliquer la germination préférentielle de la phase Ta-β à 25 °C par l’abaissement de la barrière W* (cf. Fig. 5.4.2b). La dépendance de Rnuc en �(

−�∗

��) jouant évidemment le rôle déterminant.

On peut par ailleurs comprendre que la transformation d’un film Ta-β en Ta-α nécessiterait le franchissement d’une très forte barrière en énergie (faible force motrice couplée à une grande différence des énergies de surface entre ces deux phases). Ceci explique l’absence de transition de phase avec

l’épaisseur et également l’impossibilité d’induire cette transition par une irradiation aux ions lourds.

a) b)

Figure 5.4.2 : a) Influence des différents termes sur la forme de la barrière d’énergie pour la nucléation de germes d’Ta-α ; b) Evolution de la différence d’enthalpie libre entre les phases cristallines α et β et la phase amorphe.

En initiant cette étude sur les mécanismes de croissance d’un film de Ta, nous avons naturellement examiné les résultats de la littérature sur ce sujet, en particulier ceux pour lesquels la croissance des films était réalisée dans des enceintes à haut vide initial, voire ultravide. En variant les paramètres de dépôt 172

(pression, tension de polarisation, flux d’ions…), chacun des différents groupes [Catania, 1993 ; Ino, 1997 ;

Ren, 2008 ; Navid, 2011, 2012] mettait en évidence l’existence d’une étroite fenêtre en pression de travail

(Ar) ou en tension de polarisation, permettant la formation de la phase Ta-α. La conclusion avancée était qu’un apport d’énergie aux atomes, lors de leur condensation, était nécessaire à la formation de la phase stable. Mais, néanmoins, au-delà d’un certain seuil, les transferts donneraient lieu à la création de défauts qui déstabiliseraient la phase Ta-α. Il est important de souligner que malgré des tentatives [Catania, 1993 ;

Ren, 2008] aucun paramètre (transfert d’énergie cinétique ou de quantité de mouvement par atome) n’a

permis d’interpréter de manière convaincante, d’une part l’existence de deux seuils et, d’autre part, de rendre cohérent les divers résultats. Nos résultats sont en total désaccord avec ces différentes conclusions : en effet malgré la très large plage d’énergie déposée explorée nous n’avons jamais pu induire, même partiellement, une germination Ta-α sur un substrat neutre. Par ailleurs, malgré une très forte densité de défauts créés, aucune instabilité de la phase Ta-α/c-Mo n’a pu être détectée.

Face à ces contradictions, nous avons réexaminé attentivement les diverses conditions expérimentales (géométrie du bâti, puissance magnétron, vitesses de dépôt, flux d’ions…) utilisées par les différents groupes. Pour des raisons diverses (distance cible-substrat très faible, vitesse de dépôt très élevée couplée à de forts flux d’assistance ionique…), nous avons émis l’hypothèse que la température de surface atteinte par le substrat dans toutes ces expériences, par rayonnement de la cible et/ou par dépôt d’énergie trop intense, dépassait très largement la température annoncée (25°C). A l’appui de cette hypothèse, nous pouvons noter que le niveau de contrainte en compression induit dans leurs films [Catania, 1993] restait bien en dessous (~ – 1,8 GPa) des valeurs que nous avons pu atteindre pour des films de structure Ta-β (– 3 GPa).

5.4.2 Description thermodynamique à l’épreuve de la température et

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