• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Sur l’origine de la stabilisation de la phase Ta β lors de la croissance de films minces

5.2 Premiers stades de croissance de films minces de Ta

5.2.1 Croissance de la phase métastable Ta β sur substrats neutres à 25 °C

Dans cette partie, tous les dépôts de Ta sont réalisés à 25 °C, R ~ 0,075 nm.s-1. Les sous-couches d’a-

SiNx de 9 nm utilisées tout au long de ce chapitre ont été obtenues dans des conditions proches de celles

permettant d’obtenir une stœchiométrie Si3N4 ; tel que décrit dans la thèse de V. Antad [Antad, 2011].

• Influence de sous-couches neutres

L’évolution de la force intrinsèque en fonction de l’épaisseur déposée lors de la croissance de films minces de Ta sur a-Si, a-SiOx et a-SiNx est présentée figure 5.2.1a. Sur cette figure, il est clairement visible que

ces sous-couches, neutres, n’influencent pas la contrainte de croissance en régime stationnaire (hf > 10 nm).

Les premiers stades de croissance (hf < 10 nm) sont eux aussi qualitativement très similaires mais avec une

amplitude du saut de la contrainte de surface dépendante de la sous-couche. La sous-couche d’a-SiNx ayant

la plus forte énergie de surface (i.e. la plus faible différence d’énergie de surface avec le Ta), le saut de la contrainte de surface a la plus faible amplitude (cf. §1.3.2a). Pour les trois sous-couches neutres utilisées les films obtenus (hf = 100 nm) sont cristallins, de structure Ta-β et parfaitement texturés selon les plans denses

(002) (cf. Fig. 5.2.1b). La différence d’intensité diffractée pour le film déposé sur a-SiOx est liée à une plus

forte mosaïcité (~ 7° contre ~ 4,5° pour a-Si et a-SiNx).

a) b)

Figure 5.2.1 : a) Evolution de la force par unité de longueur en fonction de l’épaisseur déposée lors de la croissance de films minces de Ta sur des sous-couches d’a-Si, a-SiOx et a-SiNx ; b) Diffractogrammes correspondants (hf = 100 nm). Les lignes pointillées indiquent

les positions théoriques des pics de diffraction correspondant aux plans Ta-β(002) et Ta-α(110).

Dans la suite de ce chapitre, des sous-couches d’a-Si pour les dépôts à 25 °C et d’a-SiNx pour les dépôts

en température seront utilisées ; dans les deux cas nous parlerons indifféremment de sous-couches neutres. •

Premiers stades de croissance de films minces de Ta sur substrats neutres

L’évolution de la force intrinsèque en fonction de l’épaisseur déposée sur a-Si lors de la croissance de films minces de Ta déposés à des pressions allant de 0,12 à 0,75 Pa est représentée sur la figure 5.2.2a. Les courbes de force présentent une évolution en trois stades :

- le stade I (hf < 1,2 nm), est dominé par la formation de l’interface (i.e. la variation de la contrainte de

surface (cf. §1.3.2a). Ce stade est identique quelle que soit la pression de travail ;

- le stade II (1,2 < hf < hc = 2,2 nm), correspondant à un plateau sur la courbe de force à F/w ~ 3,5 N.m-

1 ; plateau traduisant une contrainte incrémentale nulle qui semble insensible à l’énergie déposée ;

- le stade III (hf > hc), où l’influence des conditions de pression sur la contrainte de croissance en régime

stationnaire du film est notable : à basse pression de travail celle-ci est compressive, alors qu’à haute pression (0,75Pa) celle-ci est en tension.

L’interprétation de ces courbes de force est facilitée en s’appuyant sur les résultats du chapitre 3. A la lumière de cette étude, il est fort probable que le plateau observé au stade II corresponde à l’obtention

d’une phase amorphe, jusqu’à une épaisseur critique de 2,2 nm, car il est généralement admis que la

contrainte en phase amorphe est peu sensible à l’énergie déposée à cause de la difficulté d’y nucléer des défauts. Puis, comme il n’y a pas de changement abrupt de la force intrinsèque entre les stades II et III, il est raisonnable de proposer qu’une transformation du Ta vers la phase cristalline ait lieu, sans variation de

volume et sans recristallisation de la couche amorphe. Pour rappel, nous avions aussi montré qu’aucune

variation de résistivité n’accompagnait la transition entre les stades II et III (cf. Fig. 3.3.3b). Concernant l’amplitude de la contrainte de croissance en régime stationnaire (stade III), la sensibilité à l’énergie déposée est bien connue et très caractéristique de la formation de défauts en phase cristalline (cf. §1.3.1c) : défauts de type interstitiels à basse pression (correspondant à une forte énergie des adatomes de Ta et Ar rétrodiffusés) et défauts lacunaires, interaction attractive entre grains colonnaires voire formation de nanovides, à haute pression (faible énergie des adatomes) (cf. §1.1.2b). La compétition entre ces différents mécanismes dictant l’amplitude de la contrainte de croissance en régime stationnaire.

a) b)

Figure 5.2.2 : a) Evolution de la force intrinsèque par unité de longueur lors de la croissance de films de Ta à différentes pressions sur une sous-couche d’a-Si. Les lignes pointillées verticales délimitent les différents stades ; b) Diffractogrammes correspondants.

Les diffractogrammes correspondants aux films étudiés en MOSS, obtenus en géométrie asymétrique

ω-2θ avec un décalage θ ω = 0,7°, sont présentés en figure 5.2.2b55. Ceux-ci révèlent la croissance du Ta

selon la phase quadratique Ta-β avec une orientation exclusivement selon les plans (002) parallèlement à la surface du substrat : en effet, sur l’ensemble de la gamme angulaire étudiée en θ (14 – 100°), seuls les pics de diffraction correspondant aux plans d’indices de Miller (00l) apparaissent. La distribution d’intensité observée en effectuant un balayage en ω sur le pic (002) du film de Ta-β déposé à 0,16 Pa est très étroite (cf. insert), indiquant que le film est fortement texturé et ceci a été vérifié quelles que soient les conditions de dépôt. L’ajustement à une gaussienne indique une largeur à mi-hauteur d’environ 4,6° centrée à la position

2θβ(002)/2. La largeur du pic en balayage ω diffère peu entre deux ordres de cette famille (00l), ce qui prouve

que celle-ci provient de la mosaïcité bien plus que de la taille latérale des domaines diffractant. Il est intéressant d’examiner plus finement à quelle structure exacte s’apparente la phase Ta-β obtenue par pulvérisation magnétron. Pour cela, des diffractogrammes ont été réalisés autour des différentes réflexions possibles (00l) d’un film de Ta déposé à 0,11 Pa et sous assistance ionique d’ions Ar de 100 eV (cf. Fig. 5.2.3). L’observation des réflexions impaires (001) et (003), même de faibles intensités, indique la formation d’une phase Ta-β selon la structure quadratique proposée par Arakcheeva et al. [Arakcheeva, 2002 ; Arakcheeva,

2003]. Ceci est en bon accord avec les observations de Jiang et al. [Jiang, 2005] pour des films déposés

également par pulvérisation magnétron. La valeur du paramètre c, ajustée sur les distances d00l= c/l est de

5,332 Å, légèrement plus élevée que la valeur théorique, 5,306 Å, mais il faut considérer ici que le film est soumis à une contrainte de compression.

55 Le film déposé à 0,75 Pa n’est pas montré car sa forte contrainte de tension (visible sur les courbes MOSS à plus forte

épaisseur) entraîne, lors de sa mise à l’air, une incorporation majeure d’oxygène qui se traduit par une position du pic de Bragg (002) qui ne correspond pas à son état de contrainte en tension mais plutôt à un état de contrainte quasi-nul.

156

a) b) c)

d) e)

Figure 5.2.3 : Diffractogrammes obtenus pour un film de Ta déposé à 0,11 Pa sous une tension de polarisation de – 100 V : a – d) Pics correspondants aux diverses réflexions (00l) ; e) Evolution de la distance inter planaire d00l versus l.

De manière à éliminer le rôle de l’O sur la croissance préférentielle de la phase β, des mesures par RBS à des énergies des He incidents permettant d’obtenir une section efficace de diffusion résonnante pour les atomes d’O ont été faites. Pour rappel, dans notre bâti, la pression partielle d’O dans le vide résiduel est inférieure à 1.10-8 Pa (cf. Fig. A.2). Les mesures par RBS en diffusion résonnante, sur des films recouverts d’une

couche protectrice de Si avant la mise à l’air et reportées en annexe E, mettent en évidence une concentration en O dans les films minces de Ta inférieure à 1 % environ, ce qui supporte l’idée selon laquelle la présence d’O n’est pas le facteur décisif contrôlant la nucléation préférentielle de la phase métastable. Un résultat déjà proposé par Croset et al. [Croset, 1972] et régulièrement remis en cause par la suite [Baker, 1972 ; Westwood,

1973 ; Sato, 1982 ; Knepper, 2006 ; Navid, 2011]. Les mesures par RBS ont aussi permis de révéler une

concentration en Ar maximale, pour les films déposés dans les conditions les plus favorables à son

incorporation (i.e. avec une forte tension de polarisation), inférieure à 3 %, dont l’origine provient du piégeage des Ar rétrodiffusés.

Validation de l’interprétation des premiers stades de croissance

L’étude bibliographique faite pour tenter d’étayer notre hypothèse d’interprétation des courbes de force intrinsèque en termes de transition de phase amorphe-cristal (i.e. du caractère amorphe du film de Ta déposé sur substrats neutres jusqu’à une épaisseur critique, hc ~ 2,2 nm) n’a fourni aucune information à ce

sujet : la croissance en phase amorphe du Ta n’a jamais été reportée et les caractéristiques de cette phase, tel que son volume spécifique, ne sont pas connues. Par conséquent, Il a été décidé de réaliser des expériences permettant de confirmer cette hypothèse.

La première approche consiste à déposer des multicouches Ta/a-Si avec des épaisseurs de Ta allant

de 2,1 à 10 nm, puis de les étudier par DRX. Dans tous les cas, l’épaisseur cumulée de Ta est de l’ordre de 60 nm. Cette approche est présentée figure 5.2.4a. Notons que la couche de Si amorphe ne contribue pas au diffractogramme dans la plage angulaire d’intérêt. Lorsque l’on regarde en détail ces diffractogrammes, présentés en échelle semi-logarithmique, il est possible de relever la présence :

- pour hTa = 2,1 nm, d’un pic très diffus, de très faible intensité, dont le maximum est situé à 2θ ~ 38,5°.

Cette contribution est tout à fait caractéristique d’une phase amorphe (sans pouvoir écarter la possibilité d’une phase nanocristalline ou très mal cristallisée)56 ;

- pour hTa = 3,3 nm, ce pic persiste avec cependant un léger déplacement vers les bas angles ;

- pour hTa = 4,6 nm, on voit apparaître de manière bien discernable le pic correspondant à la réflexion

(002) de la phase Ta-β, la contribution « amorphe » reste cependant présente ;

- pour une épaisseur de Ta de 10 nm, la réflexion (002) de la phase Ta-β présente un pic très intense

et plus fin accompagné de modulations de l’intensité tout à fait caractéristiques du profil de diffraction de couches cohérentes d’épaisseur finie (fonction de Laue) ; on note toujours la persistance de la contribution du Ta « amorphe ».

La présence d’un bosse liée à la diffraction par un amorphe ne peut être attribuée qu’aux couches de Ta puisque le Si amorphe donne un pic diffus à des valeurs 2θm ~ 29°, à peine détectable, non représenté sur

cette figure. La position de la bosse « amorphe » est très proche de la valeur 2θm ~ 38,47° caractéristique

d’une diffraction sur les plans denses (110) de la phase d’équilibre Ta-α, ce qui pourrait plaider pour la formation de cette phase sous une forme nanocristalline. Il semble cependant assez difficile de retenir cette hypothèse puisqu’à de plus fortes épaisseurs nous détectons sans ambiguïté l’apparition de la phase Ta-β, sans aucune transition visible sur les mesures MOSS ou de résistivité in-situ (cf. §3.3.3). Il est intéressant dans ce contexte de rappeler que dans les alliages métalliques amorphes la position du premier anneau amorphe coïncide avec la position angulaire caractéristique des plans denses d’une structure CC. En considérant une description de la phase amorphe selon un empilement désordonné de sphères dures, on peut en effet relier la distance entre atomes premiers voisins R1 à l’angle θm (cf. Eq. 5.2.1) [Guinier, 1994] :

�1=2sin (�1,23�) (5.2.1)

L’application de cette relation indique une valeur R1 = 2,875 Å, valeur très proche de la distance

caractéristique des atomes premiers voisins dans la phase Ta-α qui est de 2,863 Å, ce qui appuie l’idée d’une croissance initiale du Ta en phase amorphe lorsqu’il est déposé sur un substrat neutre.

a) b)

Figure 5.2.4 : a) Diffractogrammes de multicouches [Ta/a-Si]n d’épaisseur totale de Ta constante (60 nm) et d’épaisseur de bicouche

variable avec 2,1 < hTa < 10 nm ; b) Micrographie METHR sur une coupe transverse d’une multicouche [Ta/a-Si]n avec hTa = 10 nm.

La seconde approche consiste en l’observation par METHR d’une coupe transverse d’une

multicouche [Ta/a-Si]x6 avec hTa = 10 nm à l’aide du microscope JEOL3010-ARP (cf. §B). La micrographie de la

figure 5.2.4b est orientée de telle sorte que la direction de croissance de l’échantillon est verticale vers le

56 Aucune rocking-curve n’a été mesurée sur ces échantillons. Le caractère amorphe de cette couche est validé par MET.

158

haut, ainsi les couches de l’empilement sont facilement identifiables. Un grain de Ta-β est correctement orienté pour l’observation des plans cristallins, son orientation correspond à un axe de zone de type <110>. Une forte dissymétrie est observée entre les interfaces Ta/a-Si et a-Si/Ta, sûrement liée à la différence d’impact à la surface du film entre les atomes de Ta, plus lourds et énergétiques, et les atomes de Si, plus légers et moins énergétiques. Le contraste de numéro atomique Z permet de révéler les couches riches en Si (clair) et de constater que l’épaisseur de Si amorphe « pur » n’est que de 1,5 nm, contre 2,5 nm déposés nominalement. S’ensuit un contraste plus sombre d’une couche toujours amorphe d’environ 1,8 nm d’épaisseur, correspondant à la partie amorphe de la couche de Ta déposée, possiblement alliée à du Si57. Cet

alliage peut être une cause de la non rétro cristallisation de la partie amorphe lors du basculement en phase cristalline du film de Ta. Notons que la largeur des colonnes de la partie cristalline est d’environ 5 nm, avec une forte désorientation entre deux grains adjacents et que chaque colonne s’étend sur toute l’épaisseur de la couche de Ta. La croissance du Ta en phase β est donc colonnaire.

Ces deux approches nous permettent donc de conclure que le second stade identifié lors du suivi de l’évolution de la force intrinsèque lors de la croissance de Ta sur substrats neutres correspond bien à la

croissance d’une couche de Ta en phase amorphe sur environ 2 nm, celle-ci étant sans doute favorisée par

une ségrégation dynamique du Si en cours de dépôt. Cette couche d’a-Ta est suivie par la croissance d’un

film de structure métastable Ta-β sans rétro cristallisation de la couche amorphe.

Outline

Documents relatifs