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A — Problématique de l’étude

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 44-49)

47. — Dans la conclusion de sa thèse, Jean-Jacques ISRAËL se satisfaisait de la stricte défini- tion « des conditions d’intervention de l’acte administratif de régularisation », inspirée de la volonté du juge « d’assurer la protection des droits de l’individu » ². Aujourd’hui encore, le

1. Groupe de travail constitué sous la présidence de Daniel LABETOULLE, Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, rapport remis au ministre de l’Égalité des territoires et du logement le 25 avr. 2013, La doc. fr., mai 2013, p. 3.

développement de la régularisation est accueilli avec beaucoup de réserve par une partie de la doctrine de droit administratif. D’une part, les techniques correctrices compromettraient la juste lutte contre les irrégularités. Ainsi, Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS parlent d’une « atteinte [réelle] faite au principe de légalité » ¹. Dans le même sens, Pascale GONOD conclut ses développements sur la régularisation de l’acte par le juge administratif de la maniè- re suivante : « La régularisation de l’acte se fait au prix d’une entorse au principe de légalité […] » ². D’autre part, ces techniques se rattacheraient à l’exercice d’un inquiétant « pouvoir administratif de régularisation des actes illégaux » ³, témoin de l’archaïque inégalité entre de vulnérables administrés et une administration « forte de ses prérogatives de puissance publique et du pouvoir d’action unilatérale » ⁴. Le but de ce travail pourrait ainsi consister à examiner la tension entre le principe de légalité et l’existence de mécanismes correcteurs, ou à recher- cher si un pouvoir général de régularisation existe. Nous ne suivrons pas ces pistes pour trois raisons.

48. — Premièrement, la régularisation ne représente une menace pour la garantie de la légalité que si l’on conçoit la disparition de l’objet irrégulier comme le seul moyen d’assurer le respect du principe de légalité. Or si la nullité est le principal mode — le mode « intuitif », pourrait-on dire — de sanction des vices, elle n’est pas le seul : l’abrogation ⁵, la réformation ⁶, l’interdiction d’appliquer la mesure irrégulière ⁷ ou encore la condamnation à verser des dommages-intérêts lorsque l’agissement illégal a causé un préjudice ⁸ sont elles aussi des manières de sanctionner les violations du droit. La régularisation ne constitue donc pas une atteinte au principe de légalité mais, à l’inverse, une technique de rétablissement de la

1. Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation… », J.C.P. Adm., 2015, nos 30 – 34, 2245, p. 43, no 9 in fine.

2. Pascale GONOD, « La régularisation de l’acte administratif par le juge administratif », in Alix PERRIN (dir.), La régularisation, op. cit., p. 231.

3. Vincent DAUMAS, « Le pouvoir de l’administration de régulariser ses actes illégaux : la jurisprudence en chantier », D.A., mars 2017, étude 4, no 3.

4. Jean-Jacques ISRAËL, op. cit., p. 243.

5. C.É., Ass., 3 févr. 1989, Compagnie Alitalia, req. no 74052 ; Rec., p. 44 ; R.F.D.A., 1989, p. 391, concl. Noël CHAHID-NOURAI ; ibid., p. 417, notes Olivier BEAUD, Louis DUBOUIS ; A.J.D.A., 1989, p. 387, note Olivier FOUQUET.

6. Cf. Hélène LEPETIT-COLLIN, Recherches sur le plein contentieux objectif, Paris, L.G.D.J., 2011, coll. « Biblio- thèque de droit public », t. 269, p. 204 et s.

7. C.É., Sect., 14 nov. 1958, Sieur Ponard ; préc.

8. C.É., Sect., 26 janv. 1973, Ville de Paris c. M. Driancourt, req. no 84768 ; Rec., p. 77 ; A.J.D.A., 1973, p. 245, chron. CABANNES, LÉGER ; R.A., 1974, note Franck MODERNE.

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légalité. En somme, le développement des procédés correcteurs invite à repenser la sanction du principe de légalité, laquelle implique, selon une conception compatible avec la garantie de la sécurité juridique, non pas la disparition des objets irréguliers mais seulement celle des irré- gularités.

49. — Deuxièmement, la faculté correctrice n’est pas exorbitante du droit commun puis- qu’elle appartient tant à l’administration qu’aux particuliers. En d’autres termes, la régularisa- tion en droit administratif n’est pas exorbitante en elle-même mais seulement en tant qu’elle vise une action exorbitante de l’administration.

La régularisation des actes est une technique très répandue en droit civil et en droit com- mercial ¹. La régularisation est très nettement encouragée en droit des sociétés. Les articles L. 235-3 et L. 235-4 du code de commerce prévoient que l’action en nullité formée contre l’acte constitutif de la société ou contre un acte pris dans son fonctionnement « est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en pre- mière instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social » et que « le tribu- nal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour per- mettre de couvrir les nullités ». Les parties à un contrat civil sont également en mesure de signer un avenant de régularisation. En effet, Alain GHOZI explique qu’« en supprimant la cause de la nullité, qui infecte l’acte originaire, en recourant à la modification, l’acte devient conforme au modèle abstrait protégé par la loi. C’est pourquoi il n’est plus susceptible d’être critiqué » ² . Le code civil consacre également le rachat de la lésion, c’est-à-dire la régularisa- tion de la vente lésionnaire d’un immeuble par le versement d’un supplément de juste prix par l’acheteur ³.

La régularisation peut également bénéficier à un particulier dans ses rapports avec l’admi- nistration. Celui-ci pouvait régulariser sa situation fiscale ⁴ ou sociale ⁵ ; il dispose aujour- d’hui, d’une manière générale, d’un « droit à régularisation en cas d’erreur » ⁶. Le droit de

1. Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome II : L’objet et la cause – Les nulli- tés, op. cit., p. 1053 et s. Cf. également Christian DUPEYRON, La régularisation des actes nuls, op. cit.

2. Alain GHOZI, La modification de l’obligation par la volonté des parties. Étude de droit civil français, Paris, L.G.D.J., 1980, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 166, p. 153. Cependant, l’effet correcteur de l’avenant « n’est pas admis en toutes circonstances » : cf. Jacques GHESTIN et al., op. cit., p. 1063.

3. Art. 1681 du code civil.

4. Art. L. 62 du livre des procédures fiscales. 5. Art. R. 243-10 du code de la sécurité sociale.

l’urbanisme permet également au propriétaire qui a réalisé une construction sans permis de demander la délivrance d’un permis régularisant sa situation. Sur le fondement de cette auto- risation délivrée a posteriori, le propriétaire pourra valablement demander un permis pour modifier la construction initialement illégale ¹.

50. — Troisièmement, l’existence de la régularisation tient au caractère dynamique des systèmes juridiques, c’est-à-dire au fait que, selon les mots de Hans KELSEN, le droit « règle sa propre création » ². En droit, lorsque l’illégalité d’une norme ou d’une situation n’affecte pas ses caractéristiques essentielles — c’est-à-dire lorsqu’il est envisageable que l’acte, la norme ou la situation illégale puissent exister légalement —, un nouvel acte juridique peut être pris pour lui donner une base juridique valide. En d’autres termes, parce que les systèmes juridiques ne sont pas figés ³, parce qu’ils peuvent être modifiés, il existe une faculté de prendre des mesure qui visent à supprimer des irrégularités. Cette faculté de régularisation est mise en œuvre par les procédés juridiques ordinaires que sont, en droit public comme en droit privé, la décision unilatérale et le contrat. Ainsi, la modification d’un contrat par voie d’avenant est un moyen de le purger de son illégalité et d’assurer sa consolidation. Par contraste, la régularisation d’un comportement contraire à un principe moral paraît difficilement imaginable car les ordres moraux sont des systèmes normatifs statiques, c’est-à-dire que leur contenu est « inaccessible aux changements délibérés », comme l’écrit Herbert HART ⁴.

La régularisation a toujours été une faculté pour l’administration, même si les conditions de sa mise en œuvre étaient auparavant restreintes. Jean-Jacques ISRAËL a montré qu’en dispo- sant du pouvoir de refaire un acte irrégulier pour l’avenir, l’administration n’a jamais été « en- tièrement démunie face à l’erreur » ⁵. Il s’agit somme toute d’un procédé ordinaire. Gweltaz ÉVEILLARD explique d’ailleurs qu’une interdiction générale de la régularisation n’est pas envi- sageable :

1. C.É., 9 juill. 1986, Mme Thalamy, req. no 51172 ; Rec., p. 201 ; A.J.D.A., 1986, p. 648, concl. Marc FOR- NACCIARI.

2. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 178.

3. Jean-Jacques ISRAËL développe la même idée en introduction de sa thèse (op. cit., p. 1) en se fondant sur un passage de La souveraineté nationale de Maurice HAURIOU : « Tout est révisable, parce que tout s’exécute provi- soirement et préalablement […] il existe des procédures de révision pour toutes les espèces d’ordres du gouver- nement, pour les actes administratifs, pour les jugements, pour les actes législatifs. » (p. 120).

4. Herbert HART, Le concept de droit, 2e éd., trad. Michel VAN DE KERCHOVE, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 2005, p. 193.

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[Elle] serait de nature à porter atteinte au pouvoir discrétionnaire de l’administration. […] Pire encore, s’agissant de la régularisation des actes, la commission par l’administra- tion d’une erreur, même vénielle, lui interdirait de prendre une décision qu’elle disposait pourtant du pouvoir légal de prendre, et ferait peser sur le destinataire de la décision ini- tiale les conséquences des erreurs de l’administration. ¹

Cela ne signifie évidemment pas qu’il est toujours possible d’avoir recours à la régularisa- tion. En effet, certains vices affectent l’essence même de l’objet irrégulier et sont par consé- quent irréversibles. De même, la consolidation d’un objet suppose parfois de le purger rétro- activement de son vice, procédé contraire à l’interdiction de prendre des mesures rétroactives. Cependant, cette faculté de régularisation existe et notre travail consistera à identifier les limi- tes dans lesquelles elle s’exerce, autrement dit son régime juridique.

51. — La régularisation de l’action administrative est-elle soumise à un régime juridique ? Certes, les procédés auxquels renvoient ces termes présentent une nette unité fonctionnelle. Leur but est de consolider l’action normative et matérielle de l’administration afin de prévenir ou de remédier aux effets déstabilisants de l’annulation. Les techniques correctrices sont ce- pendant excessivement diverses, tant par leur nature que pas leur objet. L’important dévelop- pement qu’elles ont récemment connu — en particulier leur intégration dans le cours de l’ins- tance juridictionnelle et dans le cadre de l’exécution des décisions de justice — impose au- jourd’hui un nouvel effort de rationalisation.

Dans l’article qu’il a consacré en 2017 à la régularisation en matière contractuelle, Jean- François LAFAIX écrivait :

La régularisation ne constituera une catégorie juridique, à strictement parler, que lors- que des conditions spécifiques seront posées pour l’exercice de ce pouvoir et que des conséquences particulières en découleront. Cette particularisation est en cours de réa- lisation dans le droit positif, si bien que la régularisation n’est plus seulement une notion doctrinale tendant à représenter de façon cohérente diverses opérations inspirées par un souci de consolidation d’actes juridiques ou de situations irréguliers. Ce mouvement n’est toutefois pas encore pleinement achevé et il est plus ou moins avancé selon les domaines. ²

Tel sera le but de notre étude : déterminer s’il est possible de représenter de façon cohérente les limites dans lesquelles les opérations de régularisation ont lieu. Le développement, au cours

1. Gweltaz ÉVEILLARD, « Les effets de la régularisation, des effets rétroactifs ? » in Alix PERRIN, op. cit., p. 65. 2. Jean-François LAFAIX, « La régularisation en matière contractuelle », C.M.P., 2017, nos 8 – 9, étude nº 9, no 4.

des vingt dernières années, de multiples techniques de consolidation de l’action administrative par suppression des illégalités implique aujourd’hui de s’interroger sur l’existence d’une unité des conditions de leur mise en œuvre.

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