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A — L’existence de conflits de qualification

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 94-97)

115. — Le constat d’une irrégularité peut être vrai ou faux. Il peut dès lors faire l’objet d’un débat. En particulier, le constat d’une irrégularité est susceptible d’être remis en cause par un organe disposant d’une compétence pour ce faire. Nous l’illustrerons par deux exem- ples.

116. — Le juge exerce notamment un contrôle sur le constat administratif de l’irrégularité lorsqu’il est saisi d’un recours contre une décision de retrait ou d’abrogation. Selon une juris-

prudence ancienne ¹, aujourd’hui codifiée aux articles L. 242-1 et L. 243-3 du code des rela- tions entre le public et l’administration, une administration ne peut retirer une norme qu’elle a édicté que si elle est illégale. Or si un agent peut motiver le retrait d’une décision par l’exis- tence d’un vice, le juge, saisi d’un recours, peut au contraire considérer que la décision retirée était régulière. La qualification de la juridiction s’imposera in fine et la décision de retrait, fondée sur une qualification fautive, sera annulée. On retrouve cette hypothèse dans une affai- re traitée par la cour administrative d’appel de Lyon le 28 mai 2013. En l’espèce, le maire d’une commune avait attribué une autorisation de lotir à une société, puis la lui avait retirée au motif que, fondée sur un plan local d’urbanisme annulé un mois plus tard par le tribunal administratif de Grenoble, elle était devenue irrégulière. La qualification retenue par le maire lui permettait de prendre cette décision. Mais la cour administrative d’appel n’a pas fait le même constat : considérant que la commune ne soutenait pas que l’autorisation méconnais- sait les dispositions d’urbanisme remises en vigueur, le juge a estimé que la décision n’était pas illégale et qu’elle ne pouvait pas être retirée ².

117. — Doit également être évoqué l’arrêt Fondation d’entreprise Louis Vuitton pour la créa-

tion du 18 juin 2012 ³, dans lequel la cour administrative d’appel de Paris a refusé de consta-

ter l’illégalité d’un permis de construire, s’opposant à la fois au tribunal administratif de Paris et au législateur.

La cour était saisie d’un appel contre un jugement du 20 janvier 2011 par lequel le tribu- nal administratif avait, à la demande d’un groupement d’associations, annulé le permis délivré par le maire de Paris pour la construction d’un musée d’art contemporain dans le Bois de Boulogne. Cette décision était motivée par l’incompatibilité du permis avec le plan d’occupa- tion des sols : le bâtiment prévu, situé à proximité d’une allée du bois, ne respectait pas la règle du retrait par rapport aux voies publiques. Or la cour ne retient pas la même qualifica- tion que le tribunal : l’allée en question n’est pas une voie publique, la construction envisagée n’a donc pas à se trouver en retrait. Pour ce motif, la cour administrative d’appel de Paris an- nule le jugement contesté puis, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, se prononce sur les neuf

1. Cf. notamment : C.É., 19 nov. 1926, Sieur Monzat ; Rec., p. 1002. 2. C.A.A. Lyon, 28 mai 2013, Commune du Pin, req. nº 12LY02108.

3. C.A.A. Paris, 18 juin 2012, Fondation d’entreprise Louis Vuitton pour la création et Ville de Paris, req. nos 11- PA00758 et 11PA00812 ; A.J.D.A., 2012, p. 1192 ; A.J.D.A., 2012, p. 1496, chron. Marie SIRINELLI ; R.F.D.A., 2012, p. 650, concl. Sylvie VIDAL.

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moyens invoqués par la coordination d’associations. Ayant écarté tous ces moyens, elle rejette le recours.

Plus intéressante encore est la remise en cause, par la cour, du constat législatif de l’irrégula- rité du permis de construire. En effet, l’article 10 de la loi du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique a validé le permis de construire délivré à la Fondation Louis Vuitton. La cour administrative d’appel de Paris déclare cette disposition inconventionnelle et, par conséquent, inapplicable au litige, ce qui lui permet de se prononcer elle-même sur la régularité de l’auto- risation d’urbanisme. Comme cela a été expliqué plus haut ¹, une loi de validation implique

nécessairement le constat de l’irrégularité de l’acte visé. Ainsi, dans son arrêt, la cour adminis-

trative d’appel de Paris opère indirectement un contrôle sur le constat législatif de l’irrégulari- té. Le rapporteur public Sylvie VIDAL ironisait d’ailleurs, dans ses conclusions, sur le caractère « luxueux » de la validation opérée par le législateur : « elle est intervenue alors que […] la Cour dans son arrêt du 14 avril 2011 avait prononcé le sursis à exécution du jugement atta- qué » ², en « estimant notamment que le moyen invoqué par la ville et la Fondation, tiré de ce que le permis de construire en litige ne méconnaissait pas l’article ND 6 du règlement du POS [relatif au retrait des bâtiments par rapport aux voies publiques], devait être regardé, en l’état de l’instruction, comme sérieux » ³. Le législateur aurait donc pu se passer de « régulari- ser » un permis de construire dont l’irrégularité, juridiquement constatée, était manifestement discutable. Cette opération de régularisation était, en outre, elle-même irrégulière : l’adoption en cours d’instance de la loi de validation était imprévisible, elle n’avait pas pour objet de re- médier à une faille technique ou à un « effet d’aubaine » et elle était justifiée par des motifs d’intérêt général qui n’étaient pas impérieux. La validation n’était, en somme, pas compatible avec l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il est à noter que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de cette loi de validation aux droits et libertés garantis par la Constitution. Dans une décision rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité ⁴, le Conseil a jugé que la validation « répond[ait] à un but d’intérêt général suffisant » et que sa portée « [était] strictement

1. Cf. supra nº 103.

2. Concl. Sylvie VIDAL, R.F.D.A., 2012, p. 635. 3. Ibid., p. 650.

4. C.É., 30 déc. 2011, Coordination pour la sauvegarde du Bois de Boulogne, req. no 353325 ; B.J.D.U., 2012, nº 3, p. 221, concl. Xavier DE LESQUEN ; A.J.D.A., 2012, p. 11, note Séverine BRONDEL.

définie » ¹. En se fondant sur des normes de références différentes, le Conseil constitutionnel et la cour administrative d’appel ont ainsi pu déclarer une même disposition régulière dans un cas, irrégulière dans l’autre.

L’affaire Fondation d’entreprise Louis Vuitton pour la création conduit ainsi à s’interroger sur les rapports qu’entretiennent les différents auteurs du contrôle. Bien que nous ayons dit que le juge n’est pas le seul organe juridique compétent pour se prononcer sur la régularité de l’ac- tion administrative ², la qualification qu’il retient est dotée d’une force particulière. Elle inter- vient en dernier lieu et prévaut sur celle de l’administration — ce qui ne faisait guère de doute — mais aussi, par le biais du contrôle de conventionnalité, sur celle du législateur — ce qui paraît plus surprenant. L’arrêt ici discuté conduit également à s’interroger sur les consé- quences de la requalification d’un objet irrégulier en objet régulier.

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 94-97)