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La régularisation en droit administratif

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Academic year: 2021

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Th èse de doctorat en dr oit – no vembr e 2019 Université Panthéon-Assas

École doctorale George Vedel

Droit public interne et comparé, science administrative et science politique (ED7)

Thèse de doctorat en droit – mention droit public soutenue publiquement le 28 novembre 2019

LA RÉGULARISATION EN DROIT ADMINISTRATIF

William Gremaud

Sous la direction de Monsieur le Professeur Bertrand SEILLER Membres du jury :

M. Gweltaz Éveillard, Professeur à l’Université de Rennes I, rapporteur ;

M. Daniel Labetoulle, Président honoraire de la Section du contentieux du Conseil d’État ; Mme Rozen Noguellou, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne, rapporteur ;

M. Benoît Plessix, Professeur à l’Université Panthéon-Assas, président ; Mme Aude Rouyère, Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV ;

M. Bertrand Seiller, Professeur à l’Université Panthéon-Assas, directeur de thèse.

Th

èse de doctorat en dr

oit – no

vembr

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AVERTISSEMENT

La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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À mes parents. À Anaïs.

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REMERCIEMENTS

Merci à Monsieur le Professeur Bertrand SEILLER d’avoir accepté de diriger la rédaction de cette thèse, de sa constante disponibilité, de sa profonde bienveillance et de sa grande sincéri-té.

Merci à Mesdames et Messieurs les membres du jury, les Professeurs Gweltaz ÉVEILLARD, Rozen NOGUELLOU, Benoît PLESSIX, Aude ROUYÈRE, et le président Daniel LABETOULLE, de me faire l’honneur de lire et de juger ces pages.

Merci à mes compagnons de thèse, mes amis Benjamin, Claire, Jean-Hugues, Mathieu et Pierre, d’avoir fait de ces six années de labeur un moment que j’accepterais de revivre sans aucune hésitation.

Enfin, les mots ne suffisent pas pour exprimer ma reconnaissance envers mes parents, Ar-melle et Claude, pour leur soutien. Ils ne suffisent pas non plus pour remercier Anaïs, à qui cette thèse et son auteur doivent tant.

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Titre et résumé : La régularisation en droit administratif

La régularisation est une technique ancienne du droit administratif français. D’abord can-tonnée à une pratique administrative limitée, relative seulement aux situations de fait décou-lant de l’exécution des actes unilatéraux, elle a connu un développement considérable au cours des deux dernières décennies, en jurisprudence et en législation. Les techniques de consolida-tion par correcconsolida-tion des vices concernent aujourd’hui des actes, des normes et des situaconsolida-tions divers et nombreux. La sécurité juridique, principe cardinal du droit contemporain, est l’insti-gatrice de cette évolution en ce qu’elle exige que les normes et les situations ne soient pas fra-gilisées pour des irrégularités dont la commission résulte souvent d’une complexification ex-cessive du droit et auxquelles il est possible de remédier a posteriori. L’essor de la régularisa-tion, et notamment son introduction dans le cours de l’instance en prévention des annula-tions juridictionnelles, concerne de multiples domaines de l’action administrative — polices de l’urbanisme et de l’environnement, passation des contrats, édification des ouvrages publics, subvention, recouvrement des créances, collecte de données personnelles. La régularisation n’a cependant pas encore fait l’objet d’une consécration générale et demeure un phénomène pro-fondément hétérogène, adapté aux nécessités concrètes de l’action administrative. Dans un tel contexte, la présente étude consiste en une analyse comparée des règles auxquelles chaque technique correctrice est soumise dans le but d’identifier s’il existe — et s’il peut exister — un régime de juridique de la régularisation en droit administratif français.

Descripteurs : régularisation ; validation ; droit administratif ; juge administratif ; acte admi-nistratif ; contrat ; illégalité ; vice ; urbanisme.

Title and abstract: Regularisation in French administrative law

Regularisation is an former technique in French administrative law. At first confined as an ad-ministrative practice, which could only concern factual situations arising from the execution of public decisions, regularisation has known a considerable growth over the last two decades. The techniques by which decisions, norms and factual situations are getting rid of their defects are no-wadays numerous and diverse. Legal certainty, which is one of the most fundamental principle of contemporary law orders, has caused this evolution. It implies indeed that norms and situations should not be removed when their irregularity is caused by the unreasonable intricacy of law and when it is possible to reform it. The expansion of regularisation techniques, especially during the trial, concerns multiple areas of administrative action –e.g. planning and environmental policies, public contract, public building, subsidy, debt collection, personal data. However, regularisation remains an heterogeneous phenomenon, adapted to the necessities of the public action. This study consists of a comparative analysis of the rules to which each regularisation technique is subjected. It aims to identify whether regularisation has a unique legal regime in French administrative law. Keywords: regularisation; validation; administrative law; administrative litigation; administra-tive decision; contract; illegality; planning legislation.

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PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

aff. affaire

A.J.C.T. Actualité juridique Collectivités territoriales A.J.D.A. Actualité juridique Droit administratif

A.J.F.P. Actualité juridique Fonction publique

art. article, articles

Ass. Assemblée du contentieux

B.D.E.I. Bulletin du droit de l’environnement industriel B.J.C.L. Bulletin juridique des collectivités locales

B.J.C.P. Bulletin juridique des contrats publics

B.J.D.U. Bulletin de jurisprudence du droit de l’urbanisme

c. contre

C.A.A. Cour administrative d’appel C.É. Conseil d’État

C.E.D.H. Cour européenne des droits de l’homme

cf. confer

chron. chronique

C.J.E.G. Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz

C.J.U.E. Cour de justice de l’Union européenne

C.M.P. Contrats et marchés publics

comm. commentaire

coll. collection concl. conclusions

D. Recueil Dalloz D.A. Droit administratif

dir. sous la direction de éd. édition

É.D.C.É. Études et documents du Conseil d’État

et a. et autres

et al. et alii

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fasc. fascicule

ibid. ibidem

J.-Cl. Adm. Juris-Classeur Administratif

J.C.P. Adm. La Semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales J.C.P. Gén. La Semaine juridique Édition générale

J.-Cl. Juris-Classeur

La doc. fr. La documentation française

L.G.D.J. Librairie générale de droit et de jurisprudence

L.P.A. Les petites affiches

no, nos numéro, numéros obs. observations

op. cit. opus citatum

p. page, pages

PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France préf. préface

R.A. Revue administrative R.D.I. Revue de droit immobilier

R.D.P. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger Rec. Recueil Lebon

rééd. réédition

req. requête, requêtes

R.F.D.A. Revue française de droit administratif R.F.D.C. Revue française de droit constitutionnel

R.J.E.P. Revue juridique de l’économie publique

Sect. Section du contentieux t. tome, tomes

T.A. Tribunal administratif T.C. Tribunal des conflits trad. traduction

vo verbo

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SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE

L’OBJET IRRÉGULIER

TITRE I. — LE CONSTAT DE L’IRRÉGULARITÉ

Chapitre I. — La nature du constat de l’irrégularité Chapitre II. — Les motifs du constat de l’irrégularité

TITRE II. — LA PRÉSERVATION DE L’OBJET

Chapitre I. — La continuité matérielle Chapitre II. — La continuité temporelle

SECONDE PARTIE

L’ACTE DE RÉGULARISATION

TITRE I. — UN ACTE DE VOLONTÉ

Chapitre I. — Les expressions de la volonté confirmative Chapitre II. — Le cadre de la volonté confirmative

TITRE II. — UN ACTE EXEMPT DE VICE

Chapitre I. — La soumission de l’acte à la légalité Chapitre II. — Les normes de référence du contrôle de l’acte

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INTRODUCTION

Le dernier objectif est, pour tout dommage qu’on se propose d’empêcher, de le faire à un coût aussi faible que possible.

Jeremy BENTHAM ¹

1. — La méconnaissance d’une règle de droit produit un effet radical : le résultat de l’agis-sement illégal doit disparaître. L’acte juridique irrégulier doit cesser d’être, si tant est d’ailleurs qu’il soit. En effet, la commission d’une illégalité constitue non seulement un motif d’anéan-tissement de l’acte qu’elle atteint, mais également une raison de considérer qu’en réalité, il n’est jamais venu au monde du droit.

Comme les auteurs de droit civil ², ceux de droit public de la première moitié du XXe siècle ³ qualifiaient de « nul » l’acte qui ne respecte pas les conditions légales, c’est-à-dire, au sens premier de l’adjectif « nul », d’inexistant. Eugène GAUDEMET écrivait ainsi, à propos de la doctrine classique des nullités, que l’acte nul est un « néant juridique [qui] ne peut pro-duire aucun effet à l’égard de personne » et que « chacun peut […] méconnaitre » ⁴. Cette conception n’est pas étrangère à la doctrine publiciste puisqu’on la retrouve notamment sous la plume de Léon DUGUIT : « Je persiste à penser que l’acte illégal d’un gouvernant ou de ses

1. Jeremy BENTHAM, Introduction aux principes de la morale et de la législation [1789], Paris, Vrin, 2011, trad. du Centre Bentham, coll. « Analyse et philosophie », p. 204. L’auteur souligne.

2. Jacques GHESTIN, Grégoire LOISEAU, Yves-Marie SERINET, Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome 2 : L’objet et la cause – Les nullités, Paris, L.G.D.J., 2013, coll. «Traités », p. 687 et s. ; Yves PICOD, vo « Nullité », Répertoire de droit civil, Dalloz, 2013.

3. Cf. notamment Léon ALCINDOR, Des différentes espèces de nullités des actes administratifs, Paris, Giard et Brière, 1912 ; Jean DE SOTO, Contribution à la théorie des nullités des actes administratifs unilatéraux, Paris, 1941, Imprimerie R. Bernard, 1941.

4. Eugène GAUDEMET, Théorie générale des obligations [1937], rééd., Paris, Dalloz, 2004, coll. « Bibliothèque Dalloz », p. 140. L’auteur critique cette « doctrine classique » de la nullité : « On en arrive à concevoir la nullité comme une qualité juridique de l’acte, qualité entraînant nécessairement certains attributs. Cette notion est sans base réelle. » (ibid., p. 146).

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agents est sans valeur […]. » ¹ Dans cette perspective, la nullité est une qualité de l’acte, qui est ab initio privé de toute existence juridique.

Toutefois, cette présentation de la nullité est depuis longtemps remise en cause.

D’une part, l’inexistence est une sanction de l’illégalité distincte de la nullité de l’acte juri-dique. Ainsi, l’acte « nul », contrairement à ce qu’indique le sens premier de ce mot, n’est pas dépourvu de toute existence ni de toute valeur. Par exemple, s’inspirant de la thèse soutenue par René JAPIOT en droit civil ², Gaston JÈZE écrit en 1913 que si « certaines irrégularités en-traînent l’inexistence de l’acte juridique », laquelle n’a pas à être constatée par un juge ³, d’au-tres irrégularités « entraînent la nullité radicale de l’acte ; en d’aud’au-tres termes l’acte n’est pas inexistant ; il existe mais il est très gravement vicié ; il n’est pas absolument privé d’effets juri-diques, mais il n’a qu’une efficacité très précaire », car un juge peut l’annuler ⁴. La nullité ne doit donc pas être conçue comme une qualité de l’acte mais comme la sanction de la violation d’une règle légale, sanction qui « consiste dans un droit de critique attribué à certaines person-nes à l’encontre de l’acte » ⁵. Ainsi l’acte nul est-il, en toute, rigueur un acte « annulable », selon les termes d’Hans KELSEN, car « les normes qui font parties d’un ordre juridique ne peu-vent pas être nulles » ⁶.

D’autre part, l’inexistence n’est pas non plus une qualité de l’acte juridique mais une façon de sanctionner l’illégalité commise. En effet, en vertu de l’adage selon lequel « nul ne peut se faire justice à soi-même », l’intervention du juge est nécessaire pour que l’acte « inexistant » soit effectivement privé de son efficacité ⁷. En d’autres termes, tant que l’illégalité n’a pas été constatée par un juge, l’acte n’est pas véritablement inexistant.

2. — Bien que l’illégalité ne soit pas une cause d’inexistence au sens strict, son constat en-traîne un effet radical. L’anéantissement rétroactif ou l’inefficacité de l’acte irrégulier sont les

1. Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. II, 3e éd., Paris, De Boccard, 1928, p. 96.

2. René JAPIOT, Des nullités en matière d’actes juridiques. Essai d’une nouvelle théorie, Dijon, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, 1909.

3. Gaston JÈZE, « Essai d’une théorie générale sur la sanction des irrégularités qui entachent les actes juridi-ques », R.D.P., 1913, p. 302. L’auteur souligne.

4. Ibidem, p. 304.

5. Eugène GAUDEMET, Théorie générale des obligations, opus citatum, p. 147.

6. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Charles EISENMANN, Bruylant - L.G.D.J., 1962, rééd. 1999, p. 272. Cf. également, sur cette question, Jean-François LAFAIX, Essai sur le traitement des irrégularités dans les contrats de l’administration, Paris, Dalloz, 2009, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », t. 87, p. 55 et s.

7. Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome II : L’objet et la cause – Les nulli-tés, op. cit., p. 804 ; Benoît PLESSIX, Droit administratif général, Paris, Lexis-Nexis, 2018, coll. « Manuels », p. 1395, no 1126.

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principales sanctions du principe de légalité. La nullité du contrat civil est considérée comme la « sanction normale » de son irrégularité ¹. Il en va de même du contrat public et de l’acte administratif unilatéral : leur disparition est la sanction du principe de légalité ². Léon DU-GUIT l’écrivait ainsi dans son Traité de droit constitutionnel : « La sanction générale du principe de légalité, considéré tant au point de vue formel qu’au point de vue matériel, consiste, en principe, dans l’annulation de l’acte fait en violation de la loi […]. » ³ Ce principe n’a pas seulement été identifié par la doctrine de droit administratif. L’Assemblée du contentieux l’a consacré en jugeant, dans sa décision Ministre de l’Agriculture contre Dame Lamotte, que le recours pour excès de pouvoir — soit une demande tendant à l’élimination de l’acte illégal — « a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légali-té » ⁴. Le recours en annulation représente ainsi, selon la formule de Benoît PLESSIX, le « ju-meau procédural du principe de légalité » ⁵. En outre, en vertu de la jurisprudence Sieur

Po-nard de 1958, « il incombe à l’autorité administrative de ne pas appliquer un texte

réglemen-taire illégal, même s’il est définitif » ⁶.

1. Philippe MALAURIE, Les contrats contraires à l’ordre public. Étude de droit civil comparé : France, Angleterre, U.R.S.S., Reims, Matot-Braine, 1953, p. 203 : « Dans un système de droit purement juridique elle [la nullité] sera la sanction normale, anéantissant un acte dont le Droit ne veut pas. » ; Yves PICOD, vo « Nullité », Répertoire de droit civil, Dalloz, 2013, no 1 : « La nullité se présente comme l’anéantissement rétroactif de l’acte juridique irrégulier : elle est la sanction judiciaire des conditions de formation de l’acte juridique. »

2. Cf. notamment André DE LAUBADÈRE, Traité élémentaire de droit administratif, t. I, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 1980, p. 268 : « La sanction du principe de la légalité, c’est la nullité de l’acte administratif illégal et une annu-lation rétroactive […]. » (Yves GAUDEMET a maintenu cette formule dans les éditions subséquentes de l’ouvrage, par ex. : Droit administratif, 22e éd., Paris, L.G.D.J., 2018, coll. « Manuel », no 245) ; Jean WALINE, Droit ad-ministratif, Paris, Dalloz, 2016, coll. « Précis », p. 679. Yves GAUDEMET, vo « Légalité (principe de) », in Denis ALLAND, Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 920 : « C’est en effet au juge qu’est dévolue la sanction du principe de la légalité, soit dans le cadre de recours objectifs par voie d’action (ou recours pour excès de pouvoir) tendant à l’annulation de l’acte illégal, limité dans le temps et qui sont en principe le monopole du juge administratif, soit par voie d’exception d’illégalité, permanente et ouverte devant toute juridiction conduisant à écarter, pour l’espèce, l’acte querellé ». S’agissant des contrats administratifs en particulier, cf. André DE LAUBADÈRE, Franck MODERNE, Pierre DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs, t. III, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1983, no 541 : « La sanction normale des conditions de validité du contrat est la nullité dont le contrat se trouve frappé lorsqu’une de ces conditions fait défaut. » ; Dominique POUYAUD, La nullité des contrats administratifs, Paris, L.G.D.J., 1991, coll. « Bibliothèque de droit public », p. 287 ; Christophe GUET-TIER, Droit des contrats administratifs, 3e éd., Paris, PUF, 2011, p. 340.

3. Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. III, 3e éd., Paris, De Boccard, 1928, p. 96 p. 758 et s. 4. C.É., Ass., 17 févr. 1950, Ministre de l’Agriculture c. Dame Lamotte ; Rec., p. 110 ; R.D.P., 1951, p. 478, concl. Jean DELVOLVÉ, note Marcel WALINE.

5. Benoît PLESSIX, Droit administratif général, op. cit., p. 1397, no 1127. 6. C.É., Sect., 14 nov. 1958, Sieur Ponard ; Rec., p. 554.

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3. — Si l’anéantissement et la neutralisation des actes juridiques viciés sont les leviers ordi-naires de l’élimination des illégalités, le recours à un procédé moins draconien est envisagea-ble. Car en théorie, le rétablissement de la légalité ne nécessite pas la disparition de l’objet atteint d’un vice mais seulement la disparition du vice. Ainsi, lorsqu’il est possible de consoli-der un acte juridique ou une situation de fait en les purgeant a posteriori du vice qui les affec-te, leur anéantissement passe pour une mesure inutilement énergique.

La nullité des actes viciés et la destruction des situations illégales ne sont pas les seules ma-nières d’assurer le respect — et par conséquent l’efficacité — des normes qui constituent les ordres juridiques. Or la destruction des actes et des situations irréguliers n’est pas toujours opportune et peut même se révéler contraire à l’intérêt général ou à des intérêts privés. Com-me l’écrit Gaston JÈZE, « déclarer l’acte nul, inefficace juridiqueCom-ment pour toute irrégularité, c’est jeter à bas ces situations juridiques, c’est apporter un trouble très grave dans les relations commerciales ou civiles ; c’est gêner le crédit » ¹.

Dans l’Introduction aux principes de la morale et de la législation, Jeremy BENTHAM considè-re la punition des infractions comme étant toujours la cause d’un dommage. Pour êtconsidè-re confor-me au principe d’utilité — selon lequel une action mérite l’approbation lorsqu’elle tend à maximiser le bonheur général ² —, la punition ne doit donc être admise « que dans la mesure où elle promet d’éviter un mal plus grand » ³. De la même manière, dans une perspective uti-litariste, la sanction des vices ne doit pas se faire au prix d’un plus grand dommage. Par consé-quent, lorsque la correction de l’objet irrégulier est envisageable et susceptible de causer moins de tort que sa destruction, la première opération devrait être préférée à la seconde.

4. — L’action qui consiste à « rendre un acte ou une situation conforme à la règle » corres-pond à ce que les juristes nomment couramment « régularisation » ⁴. La présente thèse portera sur les procédés qui relèvent de cette dénomination. Après avoir esquissé les contours de notre objet d’étude (I), nous exposerons le but poursuivi dans ce travail (II).

1. Gaston JÈZE, « Essai d’une théorie générale sur la sanction des irrégularités qui entachent les actes juridi-ques », R.D.P., 1913, p. 297.

2. Jeremy BENTHAM, op. cit., p. 26. 3. Ibid., p. 193.

4. Vo « Régularisation », in Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 12e éd., Paris, PUF, 2018, coll. « Quadrige ».

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I. — L’objet de l’étude

5. — Nous procèderons à une délimitation de notre objet d’étude en deux temps. En pre-mier lieu, nous proposerons une définition de la régularisation en droit administratif (A). En second lieu, nous prendrons la mesure du phénomène juridique qui relève de cette définition en identifiant les techniques de régularisation et en les distinguant de celles qui, malgré leurs similitudes, n’en sont pas (B).

A. — Définition des termes du sujet

6. — Nous préciserons ce que nous entendons par les termes « régularisation » (1) et « en droit administratif » (2).

1. Définition de la régularisation

7. — Malgré l’absence de définition normative du substantif « régularisation » — c’est-à-dire d’un sens juridiquement prescrit, soit dans une disposition textuelle, soit par un ensemble de décisions juridictionnelles —, son emploi par les juristes est à première vue univoque. Le sens de ce terme découle sans ambiguïté de sa morphologie puisque « régularisation » désigne l’action — ou le résultat de l’action — ¹ de régulariser. « Régulariser » signifie « rendre régulier » ² et « régulier » signifie « conforme à la règle » ³. En somme, relève de la régularisa-tion toute acrégularisa-tion de rendre conforme à une règle un objet qui, initialement, ne l’était pas. En d’autres termes, une opération qui consiste à ôter l’irrégularité d’un objet peut légitimement être qualifiée de « régularisation ».

8. — L’univocité du mot est révélée par les multiples définitions retenues par les auteurs qui ont étudié ce phénomène, en droit privé comme en droit public : « technique de

consoli-1. Vº « -tion », Trésor de la langue française informatisé, consulté le 8 oct. 2019 sur https://www.cnrtl.fr/ definition/-tion : « Suffixe issu du latin “-tionem”, entrant dans la construction de nombreux substantifs féminins qui expriment une action ou le résultat de cette action. »

2. Vº « -iser », Trésor de la langue française informatisé, consulté le 8 oct. 2019 sur https://www.cnrtl.fr/ definition/-iser. : « La base est un adjectif ; le sens du verbe est “rendre” + adj. »

3. Vo « Régulier », Trésor de la langue française informatisé, consulté le 8 oct. 2019 sur https://www.cnrtl.fr/ definition/régulier.

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dation d’un acte nul […] obtenue grâce à une réparation ou une disparition du vice » ¹, « cor-rection positive d’une illégalité préexistante » ², « mécanisme opératoire grâce auquel un acte ou une situation juridique contraire au droit peut, avant ou après l’intervention du juge, se perpétuer ou revivre dans la légalité pleinement retrouvée » ³, « mesure de consolidation d’un [acte] annulable par ajout ou remplacement d’un élément défaillant ou vicié » ⁴, « technique [qui] vise, comme son nom l’indique, à rendre régulier » ⁵, « confirmation de l’acte par correc-tion de l’irrégularité l’entachant » ⁶, acte qui « valide, rétroactivement et à l’égard de tous un acte initialement nul, en lui apportant l’élément, objectif ou subjectif, qui lui faisait défaut » ⁷, « action qui ramène un comportement, un acte à la règle » ⁸ « [validation d’]un acte ini-tialement nul en lui apportant l’élément qui lui fait défaut » ⁹, action de « rendre conforme aux lois et règlements » ¹⁰, « [maintien d’]un acte ou [d’]une situation illégale par une action de mise en conformité » ¹¹, ou encore « [rétablissement de] la conformité de l’ordre juridique à la légalité, afin de sauvegarder les effets produits par un [acte] entaché d’un vice » ¹².

Il ressort de ces définitions que l’action de régulariser comporte deux aspects : d’une part la suppression du vice dont un acte ou une situation sont atteints, d’autre part la consolidation de cet acte ou de cette situation. L’emploi du mot « régularisation » ne suppose, a priori, rien de plus que cela. Certes, plusieurs auteurs incluent la rétroactivité au sein des critères de

défi-1. Christian DUPEYRON, La régularisation des actes nuls, Paris, L.G.D.J., 1973, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 127, nº 7.

2. Jean-Jacques ISRAËL, La régularisation en droit administratif français, op. cit., p. 9.

3. Georges VEDEL, préf. à Jean-Jacques ISRAËL, La régularisation en droit administratif français. Étude du régime de l’acte administratif unilatéral, Paris, L.G.D.J., 1981, coll. « Bibliothèque de droit public », t. 138, p. I.

4. Jean-François LAFAIX, Essai sur le traitement des irrégularités dans les contrats de l’administration, op. cit., p. 269.

5. Gweltaz ÉVEILLARD, « Les effets de la régularisation, des effets rétroactifs ? », in Alix PERRIN (dir.), La régu-larisation, Paris, Mare & Martin, 2018, p. 9.

6. Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation des actes viciés », J.C.P. Adm., 2015, nos 30 – 34, 2245, p. 39, no 3.

7. Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome II : L’objet et la cause – Les nulli-tés, op. cit., p. 1071, no 2383.

8. Alix PERRIN, « La régularisation – propos introductifs », in Alix PERRIN (dir.), La régularisation, op. cit., p. 9.

9. Yves LEQUETTE, François TERRÉ, Philippe SIMLER, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Paris, Dalloz, 2009, coll. « Précis », p. 413.

10. Pierre BOURDON, « Contrat administratif et régularisation(s) », À propos des contrats des personnes publi-ques. Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Richer, L.G.D.J., 2013, p. 499.

11. Jean-François LAFAIX, « La régularisation en matière contractuelle », C.M.P., 2017, nos 8 – 9, étude nº 9, no 7.

12. Vincent DAUMAS, concl. sur C.É., Sect., 1er juill. 2016, Commune d’Émerainville et a., R.F.D.A., 2017, p. 293 et s.

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nition de la régularisation ¹. Il s’agit cependant, nous semble-t-il, non plus d’une manière de définir abstraitement la régularisation, mais plutôt d’élaborer un régime juridique spécifique. En d’autres termes, affirmer que la régularisation est rétroactive ne relève pas, à notre avis, de la définition de ce mot mais de l’identification des règles qui régissent sa mise en œuvre par les acteurs du droit. Or rien ne nous permet d’affirmer dès à présent que le terme « régularisation » renvoie, en droit privé ou en droit public, à une notion juridique dotée d’un régime. Au surplus, le verbe « régulariser » pris en son sens large ne suppose aucunement l’idée d’une action sur le passé. Ainsi, comme l’écrit Gweltaz ÉVEILLARD, la régularisation est a

prio-ri « neutre du point de vue temporel » ². En somme, sans soutenir à ce stade que la

rétroactivi-té n’est pas un caractère fondamental de la régularisation en droit, nous n’en faisons pas un critère de la régularisation en général.

Le concept général de régularisation est donc neutre : tout objet peut être purgé de son vice, tout vice peut être supprimé, tout organe habilité peut y procéder, de quelque manière valide que ce soit, à tout instant, rétroactivement ou seulement pour l’avenir. Le mot « régula-risation » désigne tout procédé de consolidation d’un acte ou d’une situation par suppression de l’illégalité qui l’atteint. Par conséquent, l’objet de la présente étude est potentiellement très étendu. La détermination de ce que nous entendons par l’expression « en droit administratif » permettra de circonscrire notre recherche.

2. Définition de la régularisation en droit administratif

9. — Contrairement au terme « régularisation », l’expression « en droit administratif » a plusieurs sens. Tel procédé de régularisation est-il administratif à raison de sa nature propre ou à raison de la nature de l’acte ou de la situation illégale ? En d’autres termes, le champ de no-tre étude peut êno-tre circonscrit de deux manières : soit nous étudions les procédés de droit

ad-ministratif qui visent à faire cesser la méconnaissance d’une règle, soit nous étudions les

procé-dés qui permettent de faire cesser la méconnaissance du droit administratif.

Nous nous contenterons ici de poser une définition de l’expression « droit administratif » car celle-ci a fait l’objet de débats considérables auxquels il ne nous revient pas de prendre part. Nous entendrons par « droit administratif » l’ensemble des règles émises par les organes de ce que l’on appelle « administration », des règles applicables à ces organes, aux agents qu’ils

1. Cf. spéc. la définition précitée proposée par les auteurs du Traité de droit civil, supra, note no 7, p. 20. 2. Gweltaz ÉVEILLARD, « Les effets de la régularisation, des effets rétroactifs ? », in Alix PERRIN, La régularisa-tion, op. cit., p. 59.

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emploient et aux particuliers en tant qu’ils sont des administrés, c’est-à-dire lorsque leurs ac-tions sont régies par ces organes ou qu’ils sont dans un rapport spécifique avec eux.

10. — La première façon de circonscrire notre sujet consiste à exclure les mécanismes de régularisation qui ne relèvent pas du droit administratif. En d’autres termes, la présente re-cherche porterait sur les procédés qu’offre le droit administratif pour consolider les objets irréguliers. Malgré cette précision, l’expression « en droit administratif » demeure ambiguë. En effet, un procédé de droit administratif pourrait tout aussi bien être, au sens large, un procédé dont le régime est administratif et, au sens strict, un procédé que l’on ne trouve qu’en droit administratif — autrement dit, un procédé exorbitant du droit commun. Cette conception restrictive de la régularisation en droit administratif ne donne théoriquement accès qu’à une partie seulement des techniques correctrices mises en œuvre par l’administration.

11. — La seconde façon de circonscrire notre étude consiste à exclure les régularisations qui ne visent pas des actes ou des situations soumises aux règles du droit administratif. Autre-ment dit, notre recherche porterait sur les procédés qui permettent de consolider les objets qui ne sont pas conformes au droit administratif.

Sans davantage de précision, cette définition des termes rend impraticable le champ de nos investigations. En effet, cette acception des termes fait relever de notre sujet aussi bien la régu-larisation des actes de l’administration que la régurégu-larisation de la situation des particuliers lorsque celle-ci est régie par le droit administratif. Ainsi serions-nous amené à étudier pêle-mêle la régularisation d’un contrat administratif ¹, d’un permis de construire ², d’une autori-sation environnementale ³ ou du recrutement d’un agent public ⁴, mais aussi la régulariautori-sation du séjour d’un ressortissant étranger ⁵, d’une construction réalisée sans permis ⁶, de l’offre

1. Par ex. C.É., Ass., 4 avr. 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. nº 358994 ; Rec., p. 70 ; A.J.D.A., 2014, p. 1035, chron. Aurélie BRETONNEAU, Jean LESSI ; R.F.D.A., 2014, p. 425, concl. Bertrand DACOSTA ; ibid., p. 438, note Pierre DELVOLVÉ.

2. Art. L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ; C.É., 2 févr. 2004, S.C.I. La fontaine de Villiers, req. nº 238315 ; Rec., tables, p. 914 ; B.J.D.U., 2004, p. 25, concl. Mattias GUYOMAR ; obs. Jérôme TREMEAU.

3. Art. L. 181-18 du code de l’environnement.

4. C.É., Sect., 31 déc. 2008, M. Cavallo, req. nº 283256 ; Rec., p. 481 ; R.F.D.A., 2009, p. 89, concl. Emma-nuel GLASER ; A.J.D.A., 2009, p. 142, chron. Sophie-Justine LIEBER, Damien BOTTEGHI ; J.C.P. Adm., 9 mars 2009, nos 11 – 12, no 2062, note Didier JEAN-PIERRE.

5. C.É., Ass. gén. (sect. de l’intérieur), 22 août 1996, Étrangers non ressortissants de l’Union européenne, avis nº 359622 ; Rapport public, 1996, p. 279.

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déposée par une entreprise pour l’attribution d’un marché public ¹, de la déclaration fiscale d’un contribuable ², de la déclaration des cotisations et contributions sociales d’un employeur ³, du renseignement de la situation d’un particulier ⁴, d’une installation classée exploitée sans autorisation par une entreprise ⁵ ou encore de conclusions formées devant une juridiction administrative ⁶.

En somme, l’étude de la régularisation des activités régies par le droit administratif ouvre un champ d’investigation considérable. Surtout, cette manière d’appréhender la régularisation amène à étudier ensemble les mécanismes de consolidation de l’action administrative avec ceux qui permettent aux administrés, aux contribuables ou aux entreprises de se placer, a

pos-teriori, dans une situation conforme au droit. Les uns et les autres nous semblent mériter des

études séparées, au risque de ne pouvoir tirer aucun enseignement d’une réalité aussi diverse. 12. — Toutefois, cette seconde manière de délimiter le champ de notre étude peut encore se justifier. En effet, comme nous l’avons dit, entendre la régularisation en droit administratif comme « la régularisation des objets contraires au droit administratif » fait coexister deux phé-nomènes distincts : la consolidation de l’action des organes administratifs et la consolidation de l’action des particuliers. Ne traiter que de l’un de ces deux objets atténue fortement le ris-que de tracer un champ de recherche insondable.

Au cours des vingt dernières années, les techniques de régularisation de l’action administra-tive ont connu une expansion considérable. Afin de rendre compte de cet important phéno-mène — sur la portée duquel nous allons immédiatement revenir —, nous entendrons par « régularisation en droit administratif » l’ensemble des techniques qui permettent de consoli-der l’action administrative irrégulière en supprimant le vice dont elle est atteinte. Nous faisons en outre le choix de ne pas prendre en considération la nature du procédé de la régularisation mais seulement sa fonction de consolidation des actions de l’administration.

Daniel LABETOULLE.

1. Art. R. 2152-2 du code de la commande publique. 2. Art. L. 62 du livre des procédures fiscales.

3. Art. R. 243-10 du code de la sécurité sociale.

4. Art. L. 123-1 du code des relations entre public et l’administration. 5. Art. L. 514-2 du code de l’environnement.

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B. — Identification du phénomène étudié

13. — Dans la thèse qu’il a soutenue en 1979, Jean-Jacques ISRAËL concluait avec force sur les limites de la régularisation en droit administratif : « L’administration ne dispose que très exceptionnellement d’un pouvoir de régularisation. Elle l’exerce sous le contrôle strict du juge, généralement dans l’intérêt des particuliers ou dans le respect de leurs droits. » ¹ Le résultat de cette étude nous paraît cependant remis en cause par le remarquable développement que connaissent, depuis les années 2000, les procédés de régularisation de l’action administrative. Ce phénomène justifie qu’une nouvelle étude leur soit consacrée. L’appréciation de la portée de ce phénomène (2) implique que nous indiquions préalablement la méthode qui nous per-met d’identifier ces procédés (1).

1. La méthode d’identification des procédés de régularisation en droit admi-nistratif

14. — Nous préciserons d’abord notre méthode d’identification des procédés de régularisa-tion (a), puis celle des objets visés par ces procédés (b).

a. L’identification des techniques correctrices

15. — Nous avons défini la régularisation comme un procédé permettant de faire disparaî-tre l’irrégularité d’un objet dans le but d’affermir son existence. Une fois cela fait, comment procéder ? Une étude portant sur la « régularisation en droit » doit-elle se limiter aux techni-ques juriditechni-ques ainsi qualifiées par les organes juriditechni-ques — constituant, législateur, adminis-tration ? En d’autres termes, notre méthode d’identification des procédés de régularisation doit-elle être lexicale, dire relative au vocabulaire employé, ou bien sémantique, c’est-à-dire fondée non pas sur l’appellation de ces procédés mais sur leur correspondance avec la définition retenue ?

Une approche lexicale de la régularisation nous paraît inappropriée. D’une part, il existe diverses manières de nommer un procédé permettant de supprimer un vice pour assurer le maintien de l’objet vicié. « Correction », « validation » et « purge de l’irrégularité » constituent ainsi des expressions synonymes de « régularisation » ; l’emploi d’une démarche strictement

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lexicale nous conduirait à ignorer les techniques auxquelles ces expressions renvoient. D’autre part, nous avons retenu une définition neutre et générique de la régularisation : tout procédé qui a pour effet de consolider un objet irrégulier en supprimant la cause de son irrégularité est un procédé de régularisation. L’appellation d’un mécanisme ne constitue donc pas une raison suffisante pour l’exclure de notre étude. Cependant, cela ne signifie pas que l’appellation d’un procédé est absolument indifférente. Le nom donné à un procédé juridique peut tout à fait être pris comme un indice de son appartenance ou non au champ de notre étude ; en revan-che, il n’est pas suffisant.

16. — La dénomination d’un mécanisme juridique n’est pas un critère nécessaire ni suffi-sant. En revanche, pour qu’un tel mécanisme relève de notre étude, il doit consister, comme nous l’avons dit, à consolider un objet en supprimant l’irrégularité dont il est atteint. Cette définition entraîne l’exclusion préalable de plusieurs procédés qui soit supposent la disparition de l’objet irrégulier (i), soit n’entraînent pas la suppression de l’illégalité (ii).

i. L’exclusion des mécanismes destructeurs

17. — En premier lieu, la disparition de l’objet irrégulier doit être exclue des procédés cor-recteurs puisqu’elle n’assure aucune consolidation. On pourrait certes définir la régularisation comme un simple procédé global d’élimination des vices ; régulariser correspondrait à l’activi-té de purger les illégalil’activi-tés d’un ordre juridique. De ce point de vue, l’annulation d’un acte vicié ou la disparition d’une situation illégale seraient des régularisations puisqu’en suppri-mant l’objet irrégulier, l’irrégularité disparaît. Toutefois, le verbe « régulariser » ne se trouve guère employé dans ce sens : on ne régularise pas un ordre juridique tout entier mais seule-ment des objets particuliers dans le but de les préserver. L’annulation et l’inefficacité des actes juridiques d’une part, et la disparition des situations d’autre part ne sont donc pas des procé-dés de régularisation.

Il est cependant nécessaire de distinguer l’annulation et l’inefficacité des actes de certaines techniques d’annulation partielle. En effet, si la disparition de l’acte illégal n’est pas une tech-nique correctrice, nous pensons, à l’inverse de plusieurs auteurs ¹, que l’annulation partielle ne

1. Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome II : L’objet et la cause – Les nulli-tés, op. cit., p. 1064, no 2374 ; Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation… », J.C.P. Adm., 2015, nos 30 – 34, 2245, p. 40, no 4 ; Bernard QUIRINY, « Régularisation des actes et régularisation des situations », in Alix PERRIN (dir.), La régularisation, op. cit., p. 87.

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peut pas être exclue ab initio du champ de la régularisation. En particulier, Jean-Jacques IS-RAËL écrit que l’annulation partielle est « un procédé uniquement négatif, comme le retrait, mais à la différence de la régularisation. » ¹ Tel ne nous semble pas être systématiquement le cas pour trois raisons. Premièrement, certaines annulations partielles sont extrêmement préci-ses et conduisent, certes par la mise en œuvre d’un procédé négatif, à modifier de façon mar-ginale le sens d’un acte, qui ne peut dès lors pas être considéré comme partiellement disparu ². Deuxièmement, le juge administratif procède à des annulations partielles dites « en tant que » ou « qualitatives » ³, par lesquelles il supprime seulement l’un des effets illégaux d’un acte administratif — par exemple son effet rétroactif ⁴. Troisièmement, le juge prononce des annu-lations « en tant que ne pas », c’est-à-dire en tant que l’acte ne comporte pas une certaine dis-position. De la sorte, le juge peut réformer positivement l’acte de l’administration ⁵.

En somme, le temps n’est plus où l’annulation partielle pouvait être distinguée simplement de la réformation « en ce qu’elle se borne à supprimer certains éléments de la décision sans créer aucun élément nouveau », selon les mots d’Édouard LAFERRIÈRE ⁶ rappelés par Jean-Jacques ISRAËL dans sa thèse. Certains procédés d’annulation partielle sont dès lors suscepti-bles de correspondre à la définition de la régularisation que nous avons retenue.

ii. L’exclusion des mécanismes de consolidation épargnant l’illé-galité

18. — La régularisation implique la suppression du vice. Deux catégories de mécanismes doivent donc en être exclus : ceux qui consistent à nier l’irrégularité et ceux qui assurent le maintien de l’objet irrégulier sans le purger de son vice.

1. Jean-Jacques ISRAËL, La régularisation en droit administratif français…, op. cit., p. 17.

2. Cf. par ex. C.É., 9 févr. 1994, GISTI et a., req. no 134334 ; Rec., tables, p. 939 : « Article 1er : Les mots “et pendant une durée d’au moins six ans” figurant à la fin du 4º de l’article 2 du décret nº 91-1305 du 24 décem-bre 1991 et la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 4 dudit décret sont annulés. »

3. Florent BLANCO, Pouvoirs du juge et contentieux administratif de la légalité, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2010, p. 272.

4. Par ex. C.É., 14 nov. 1980, Mlle Montalibet, req. no 18055 ; Rec., p. 426.

5. Par ex. C.É., Ass., 16 déc. 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, req. no 261646 ; Rec., p. 583 ; A.J.D.A., 2006, p. 320, concl. Yann AGUILA. Cf. infra, p. 234 et s.

6. Édouard LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative, t. II, 2e éd., Paris, Berger-Levrault, 1896, p. 569.

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19. — En premier lieu, la négation de l’irrégularité n’est pas une technique de régularisa-tion. Autrement dit, un acte ou une situation n’ont pas à être purgés d’une illégalité lorsqu’au-cune autorité disposant d’une compétence de contrôle ne considère que cet acte ou cette si-tuation sont illégales. L’appréciation souple de la régularité d’un acte, l’interprétation neutrali-sante de la disposition applicable ou de la disposition contestée ne sont pas des techniques correctrices. Elles consistent en effet, non pas à faire disparaître le vice, mais à nier son exis-tence ¹. Ce procédé de consolidation intervient ainsi en amont du constat de l’illégalité afin d’éviter le recours à un procédé correcteur.

20. — En second lieu, le maintien ou la consolidation d’un objet dont l’irrégularité n’a pas été purgée ne relèvent pas de la régularisation. En effet, la régularisation n’est qu’une manière parmi d’autres de consolider les objets irréguliers, sa particularité tenant à la suppression du vice. Les hypothèses dans lesquelles la consolidation de l’acte ou de la situation ne passe pas par la suppression du vice ne relèvent donc pas de la régularisation.

21. — La régularisation doit ainsi être distinguée de la « couverture du vice » par le juge, c’est-à-dire du refus du juge d’annuler un acte pour tout autre motif que celui tiré de l’absence de vice. Ce procédé consiste à déclarer inopérant le moyen tiré d’un vice existant ou éventuel, en ce sens que le juge peut soit constater que l’acte est illégal mais considérer qu’il n’est pas opportun de l’annuler, soit ne pas même rechercher si l’acte est entaché d’un vice car, en tout état de cause, cela ne serait pas de nature à entraîner son annulation.

Par exemple, lorsque le juge n’annule pas un acte au motif que son auteur était en tout état de cause tenu de le prendre « sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l’espèce » ², il ne le purge pas du vice dont il pourrait être entaché. Malgré son irrégularité, l’acte est mainte-nu. Comme l’écrit Jean-Jacques ISRAËL, l’hypothèse de la compétence liée de l’administration correspond ainsi à une « couverture de l’irrégularité » qui doit être distinguée de la régularisa-tion ³.

De la même manière, lorsque le juge rejette un recours en estimant qu’un vice de procédu-re n’a pas été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision ou qu’il n’a pas privé

1. Comme l’explique Bertrand SEILLER, la réécriture de l’acte à laquelle le juge procède lorsqu’il opère une interprétation neutralisante n’est que « virtuelle » : « L’illégalité sans l’annulation », A.J.D.A., p. 2004, p. 963.

2. Sur la compétence liée : C.É., Sect., 3 févr. 1999, M. Montaignac, req. nº 149722 ; Rec., p. 6 ; A.J.D.A., 1999, p. 167, chron. Fabien RAYNAUD, Pascale FOMBEUR.

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les intéressés d’une garantie, il ne procède pas à une correction ¹. En d’autres termes, la mise en œuvre de la jurisprudence M. Danthony et autres ² n’est pas une technique de régularisation mais de couverture du vice. La régularisation d’un acte affecté d’un vice de procédure véniel constitue ainsi une démarche inutile : la couverture juridictionnelle du vice suffit à éviter une annulation et donc à consolider l’acte.

Un autre exemple nous est donné par le contentieux des contrats administratifs. Le Conseil d’État considère en effet qu’un contrat public ne peut être annulé par le juge qu’« après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général » ³. Autrement dit, lorsque la disparition du contrat est de nature à porter gravement atteinte à l’intérêt géné-ral, le juge doit, malgré l’irrégularité, ordonner la poursuite des relations contractuelles ⁴.

22. — Il doit être noté que la négation du vice et sa couverture sont des procédés très simi-laires. En effet, dans les motifs de ses décisions, le juge semble parfois considérer que le vice existe mais qu’il n’est pas de nature à entacher la décision contestée d’illégalité. En d’autres termes, le juge couvre un vice existant tout en niant l’illégalité de l’acte qui en est atteint ; l’ac-te serait légal en dépit de son vice. Ainsi, relevant la situation de compél’ac-tence liée de l’aul’ac-teur de l’acte contesté, le Conseil d’État emploie parfois des formules comme « le vice n’est pas de nature à entacher la décision d’illégalité » ⁵ ou « le vice est sans influence sur la légalité de la

1. Cf. contra Geneviève KOUBI, Réflexions critiques à propos de la distinction entre légalité externe et légalité inter-ne de l’acte administratif unilatéral, thèse, Montpellier I, 1984, p. 363 : « lorsqu’il [le juge] omet d’annuler en présence d’une irrégularité de forme ou de procédure, il “rectifie” encore le processus décisionnel, de manière implicite. » On trouve également cette opinion p. 70 lorsque l’auteur écrit que par la mise en jeu de la distinc-tion entre formalités accessoires et substantielles, « un acte administratif irrégulier peut devenir légal ».

2. C.É., Ass., 23 déc. 2011, M. Danthony et a., req. nº 335033 ; Rec., p. 649 ; A.J.D.A., 2012, p. 195, chron. Xavier DOMINO, Aurélie BRETONNEAU ; ibid., p. 1484, étude Camille MIALOT ; R.F.D.A., 2012, p. 284, concl. Gaelle DUMORTIER ; ibid., p. 296, note Paul CASSIA.

3. C.É., Ass., 16 juill. 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. nº 291545 ; Rec., p. 360 ; R.F.D.A., 2007, p. 696, concl. Didier CASAS ; ibid., p. 917, étude Franck MODERNE ; A.J.D.A., 2007 p. 1577 et s., chron. Frédéric LENICA, Julien BOUCHER ; C.É., Ass., 28 déc. 2009, Commune de Béziers, req. nº 304802 ; Rec., p. 509 ; R.F.D.A., 2010, p. 506, concl. Emmanuel GLASER ; A.J.D.A., 2010, p. 142 et s., chron. Sophie-Justine LIEBER, Damien BOTTEGHI ; C.É., Ass., 4 avr. 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. nº 358994 ; Rec., p. 70 ; A.J.D.A., 2014, p. 1035, chron. Aurélie BRETONNEAU, Jean LESSI ; R.F.D.A., 2014, p. 425, concl. Ber-trand DACOSTA ; ibid., p. 438, note Pierre DELVOLVÉ.

4. Cf. par ex. C.É., 5 juill. 2017, Commune de la Teste-de-Busch, req. no 401940 ; Rec., tables, p. 681 ; B.J.C.P., 2017, p. 358, concl. Gilles PELLISSIER ; A.J.D.A., 2017, p. 2198, note David RICCARDI.

5. C.É., 30 janv. 1991, Ministre de l’Équipement c. Société Route et ville, req. nº 101639 ; Rec., tables, p. 1143 ; C.É., 20 mars 1991, Ministre de l’Intérieur c. M. Mansouri, req. nº 76627 ; Rec., p. 346.

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décision » ¹. De la même façon, les motifs de la décision M. Danthony et autres sont ambigus puisqu’ils supposent qu’un vice de procédure dénué d’influence sur le sens de la décision ou qui n’a pas privé les intéressés d’une garantie « n’est [pas] de nature à entacher d’illégalité la décision prise ». L’acte contesté serait donc à la fois vicié et légal. Cependant, que le vice soit nié ou couvert, l’acte est consolidé sans être corrigé.

23. — La régularisation se distingue ensuite de l’acquisition, par l’objet irrégulier, d’un caractère incontestable. La doctrine de droit civil contemporaine oppose ainsi la régularisation du contrat nul à sa confirmation par l’une des partie, laquelle s’analyse non pas comme une réparation de l’acte vicié, mais comme « une pure et simple renonciation du titulaire du droit de critique à celui-ci » ². Dans sa thèse sur la confirmation des actes nuls, Gérard COUTURIER écrivait :

On a, en réalité, confondu deux actes radicalement différents : celui par lequel l’une ou l’autre des parties, parfois les deux ensemble, font disparaître dans l’acte originaire ce qui en justifiait l’inefficacité et celui par lequel on renonce au droit d’invoquer la nullité — la confirmation. Il faut dire au contraire qu’ils s’opposent et quant à leur domaine et quant à leur régime. ³

De même, l’expiration du délai de recours à l’encontre d’un acte administratif n’entraîne évi-demment pas sa régularisation. En effet, même définitif, un acte n’est pas pour autant purgé de son illégalité. Il peut d’ailleurs être opportun de régulariser un acte administratif réglemen-taire après l’expiration du délai de recours pour excès de pouvoir, puisque son irrégularité est encore susceptible d’être invoquée par voie d’exception. En outre, si la régularisation devient superflue lorsque l’acte ne peut plus être contesté devant le juge ni par voie d’action, ni par voie d’exception, celle-ci demeure envisageable. Dans une telle hypothèse, en effet, l’acte est certes consolidé, mais il n’est pas pour autant purgé de son éventuel vice.

24. — La régularisation doit enfin être distinguée de l’indemnisation du préjudice. Certes, la condamnation de l’administration à verser des dommages-intérêts est une manière de sanc-tionner la commission d’une illégalité — puisque toute illégalité est fautive et donc de nature

1. C.É., 8 juin 1990, Mme Dumarski, req. nº 81686 ; Rec., p. 145. Cf. également Florian POULET, L’inopéran-ce des moyens dans le contentieux administratif français, thèse, Paris II, 2014, p. 367.

2. Jacques GHESTIN et al., op. cit., p. 1068, no 2379.

3. Gérard COUTURIER, La confirmation des actes nuls, Paris, L.G.D.J., 1972, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 121.

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à engager la responsabilité de son auteur ¹. L’indemnisation du préjudice n’a ni pour objet, ni pour effet de faire disparaître cette illégalité mais de réparer ses conséquences dommageables.

25. — Telles seront les seules exclusions a priori auxquelles nous procèderons. En effet, le terme « régularisation » n’est pas ambigu mais il renvoie à un concept excessivement simple : faire acquérir un caractère régulier à un objet dont l’irrégularité est susceptible d’entraîner sa disparition. Notre méthode d’identification des techniques correctrices peut ainsi être quali-fiée de « souple ».

b. L’identification des objets visés par les techniques correctrices

26. — La présente étude porte sur les procédés de régularisation par lesquels l’action admi-nistrative se trouve consolidée. Prise dans un sens large, l’expression « action admiadmi-nistrative » recouvre deux réalités traditionnellement identifiées par la doctrine publiciste ². La première est abstraite et consiste à régir des comportements par voie de commandement. Il s’agit de l’action normative de l’administration (ii). La seconde est concrète et consiste en des inter-ventions qui modifient le monde physique. Il s’agit de l’action matérielle de l’administration (ii). Chacune peut faire l’objet d’une régularisation.

i. La régularisation de l’action normative de l’administration 27. — L’action normative de l’administration se caractérise aisément. Elle regroupe les règles ou les normes — nous considérons ces deux termes comme des synonymes —

produi-1. C.É., Sect., 26 janv. 1973, Ville de Paris c. M. Driancourt, req. no 84768 ; Rec., p. 77 ; A.J.D.A., 1973, p. 245, chron. CABANNES, LÉGER ; R.A., 1974, note Franck MODERNE.

2. À propos de cette distinction, cf. notamment Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Sirey, 12e éd., 1933, p. 12. L’auteur distingue les « décisions juridiques » des « opérations techni-ques » ; Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. III, op. cit., p. 153. Léon DUGUIT distingue les « actes d’ordre juridique » des « opérations matérielles » ; Gaston JÈZE, Les principes généraux du droit administratif, 1re éd., Paris, Berger-Levrault, 1904, p. 54 et s. JÈZE identifie, parmi les actes des gouvernants et des agents, les lois, les règlements, les jugements, les injonctions individuelles, les défenses individuelles, les contrats, les faits et les agissements matériels ; André DE LAUBADÈRE, Traité de droit administratif, t. I, Paris, L.G.D.J., p. 155, cité in Charles EISENMANN, Cours de droit administratif, t. I, Paris, L.G.D.J., 1983, p. 369. L’action des agents admi-nistratifs consiste soit à faire des actes juridiques, soit à faire des actes matériels, c’est-à-dire « les agissements divers et les opérations d’exécution telles que enquêtes, devis, prestations de choses ou de services ».

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tes unilatéralement ou contractuellement par les organes administratifs. Les premiers objets de la régularisation sont les normes contenues dans les actes unilatéraux et les plurilatéraux de l’ad-ministration.

Nous insistons sur la formule « normes contenues dans les actes » car norme et acte ne doi-vent pas être confondus. Sur ce point, nous suivons les enseignements des théoriciens du droit positivistes, et notamment ceux d’Hans KELSEN, qui insiste sur la nécessité de distinguer « en-tre l’acte de commander, de prescrire ou d’édicter de la norme (qui est un acte de volonté et a donc le caractère d’un événement c’est-à-dire d’un être — Sein) et le commandement, la pres-cription, la norme, en tant que signification de cet acte — c’est-à-dire en tant que devoir-être » ¹. Autrement dit, la norme juridique est un objet mental et non matériel ; elle est « un état de chose idéal, un devoir-être […] relatif à une conduite humaine par rapport auquel on jugera les actions effectivement réalisées » ². La norme juridique est la signification d’un acte juridique, c’est-à-dire d’un fait matériel prenant très généralement la forme d’un texte édicté par une personne qui a reçu une habilitation juridique pour ce faire. L’opération permettant d’identifier la signification de ce texte est appelée « interprétation ».

28. — La distinction de l’acte et de la norme est inhabituelle dans les travaux relatifs à la régularisation. En effet, les auteurs identifient généralement la consolidation des actes et la consolidation des situations de fait, jamais celle des normes ³. À notre sens, la régularisation de l’action normative de l’administration peut aussi bien consister à corriger l’acte juridique support d’une norme qu’à purger la norme de son irrégularité en lui conférant un nouveau support matériel. Dans le premier cas, la consolidation de l’action normative passe par la consolidation de l’acte support de la norme, tandis que dans le second, la consolidation de l’action normative passe par la production d’un nouvel acte juridique, le sort du support ini-tial de la norme étant indifférent. Toutefois, si ces deux procédés sont techniquement dis-tincts, leur finalité est assurément la même : assurer le maintien d’un commandement ou d’une dispense à caractère général ou individuel, émis par l’administration.

1. Hans KELSEN, Théorie générale des normes, Paris, 1996, PUF, trad. Olivier BEAUD, Fabrice MALKANI, coll. « Léviathan », p. 33.

2. Otto PFERSMANN, vº « Norme », in Denis ALLAND, Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridi-que, Paris, PUF, 2003, p. 1080.

3. Jean-Jacques ISRAËL, La régularisation en droit administratif français…, op. cit., spéc. p. 18 ; Louis DU-THEILLET DE LAMOTHE, Guillaume ODINET, chron. sur C.É., 1er juill. 2016, Commune d’Émerainville et a., A.J.D.A., 2016, p. 1859 ; Gweltaz ÉVEILLARD, « Les effets de la régularisation, des effets rétroactifs ? » in Alix PERRIN, op. cit., p. 57 ; Bernard QUIRINY, « Régularisation des actes et régularisation des situations », in ibid., p. 85.

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ii. La régularisation de l’action matérielle de l’administration 29. — L’action matérielle de l’administration est bien plus diverse. Elle ne peut être rame-née, comme l’action normative, à un type d’agissement bien spécifique — celui de comman-der ou d’autoriser un comportement. L’action matérielle recouvre en effet toutes les opéra-tions concrètes réalisées par l’administration ou pour son compte. Enquête, collecte de don-nées nécessaire à l’organisation d’un service public, recouvrement d’une somme indue, verse-ment d’une allocation ou d’une subvention, construction d’un ouvrage, affectation ou désaf-fectation d’un bien à l’utilité publique, opération de défrichement nécessaire à la réalisation d’un équipement : l’action administrative concrète se présente sous de nombreuses formes.

L’action matérielle de l’administration entraîne la constitution de ce que nous appellerons des « situations factuelles », c’est-à-dire des états de fait continus. Ainsi, la collecte de données entraîne la constitution d’un fichier, le recouvrement d’une créance publique prive un particu-lier d’une somme dont l’administration pourra disposer — et inversement s’agissant de l’attri-bution d’une subvention —, une opération de construction laisse évidemment perdurer un ouvrage.

30. — L’action matérielle de l’administration met nécessairement en œuvre le contenu d’un acte juridique, unilatéral ou contractuel. En d’autres termes, les agissements de l’admi-nistration découlent de décisions préalables d’agir, formalisées ou non ¹. Le Conseil d’État juge ainsi que la réalisation de travaux découle de la décision de les entreprendre ², que la col-laboration de deux établissements publics pour conduire des fouilles archéologiques révèle l’existence d’un contrat implicite entre eux ³, ou encore qu’une note de service relative à l’uti-lisation d’un fichier révèle la décision de le créer ⁴. La légalité d’une situation factuelle dépend donc de la légalité de la décision qui a précédé sa création. L’irrégularité de cette décision em-porte celle de la situation qui en a découlé. Par conséquent, l’annulation d’une décision par le

1. Jean MASSOT, « Décisions non formalisées et contrôle du juge de l’excès de pouvoir », in L’État de droit. Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Paris, 1996, Dalloz, p. 521 et s.

2. C.É., 12 mars 1986, Ministre de la Culture c. Mme Cusenier et a., req. no 76147 ; Rec., p. 662 ; A.J.D.A., 1986, p. 258 et s., concl. Jean MASSOT.

3. C.É., 25 juill. 2008, Institut européen d’archéologie sous-marine, req. no 304172 ; Rec., p. 802 ; A.J.D.A., 2008, p. 1123, note Fabrice MELLERAY.

4. C.É., 4 juin 2012, Section française de l’Observatoire international des prisons, req. nº 334777 ; Rec., tables, p. 932 ; J.C.P. Adm., juin 2012, nº 415, note Charles-André DUBREUIL.

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juge entraîne normalement l’obligation pour l’administration de recréer la situation initiale. Raymond ODENT présente ainsi l’exécution des décisions juridictionnelles :

En principe, une décision annulée est réputée n’être jamais intervenue. Pour exécuter complètement la décision juridictionnelle annulant une de ses décisions, l’administration doit donc se replacer à la date de cette dernière décision, apprécier comment la situation aurait évolué si la décision annulée n’avait pas été prise et, dans toute la mesure du possi-ble, reprendre et reconstituer les situations respectives de tous ceux pour lesquels la déci-sion annulée a pu avoir des répercusdéci-sions qui doivent elles aussi disparaître. En un mot, il faut remettre les choses dans l’état où elles se seraient trouvées si la correction ou la régula-rité juridiques n’avaient pas été troublées par la décision annulée. ¹

31. — Jusqu’en 1995, le juge assurait l’exécution matérielle de l’annulation des actes juri-diques au moyen de techniques peu énergiques. La sanction de maintien d’une situation illé-gale était assurée par la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration. Cependant, comme l’a montré Florent BLANCO, le juge administratif fait depuis longtemps usage de pro-cédés quasi-injonctifs ², comme l’explication des conséquences de l’annulation — à l’instar des motifs de la décision Sieur Rodière ³ — ou la condamnation « si mieux n’aime » l’adminis-tration prendre les mesures nécessaires pour faire cesser la situation irrégulière ⁴. Depuis l’adoption de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, le juge administratif peut prescrire l’adoption d’une mesure d’exécution qu’implique nécessairement sa décision et assortir cette injonction d’une astreinte ⁵. En somme, l’administration a toujours été tenue de faire cesser les situations fac-tuelles irrégulières, seuls les instruments de sanction dont le juge dispose ont changé. La régu-larisation a justement pour objet d’assurer la permanence de ces situations de fait qui, sans cela, devraient normalement disparaître. La consolidation prend alors la forme d’un acte juri-dique donnant une base valide à un état de fait qui en est dépourvu.

1. Raymond ODENT, Contentieux administratif, t. I [1977-1981], rééd., Paris, Dalloz, 2007, p. 1033.

2. Florent BLANCO, « L’injonction avant l’injonction ? L’histoire des techniques juridictionnelles apparentées à l’injonction », R.F.D.A., 2015, p. 444.

3. C.É., 26 déc. 1925, Sieur Rodière ; Rec., p. 1065 ; R.D.P., 1926, p. 32, concl. Jean CAHEN-SALVADOR. 4. V., s’agissant de condamnations prononcées pour des ouvrages mal implantés, l’article de Florent BLANCO préc., R.F.D.A., 2015, p. 447, note no 46.

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32. — Nous avons déjà adopté une méthode « souple » d’identification des procédés de régularisation ; nous retenons également une méthode souple d’identification des objets de la régularisation. La présente étude portera sur l’ensemble des techniques de consolidation des actions normatives — actes juridiques et normes dont ils sont porteurs — ou matérielles de l’administration — situations factuelles créées par elle ou pour son compte — par suppression des irrégularités dont elles sont affectées. Cette méthode permet d’identifier un développe-ment considérable de la régularisation en droit administratif.

2. La portée considérable de la régularisation en droit administratif contem-porain

33. — En 1981, Jean-Jacques ISRAËL concluait ainsi sa thèse sur la régularisation :

On aurait certes pu penser, a priori, que l’Administration forte de ses prérogatives de puissance publique et du pouvoir d’action unilatérale dont elle dispose, aurait une grande latitude pour réparer les erreurs de son action et spécialement de ses actes, par une rectifi-cation rétroactive des défauts qui les entachent.

Il n’en est rien ; l’acte ne saurait être ressuscité. Il n’y a pas de « miracle ». ¹

L’auteur défend en effet la thèse suivante. L’administration ne peut pas intervenir a posteriori pour purger un acte administratif de son illégalité car le juge se place à la date de l’édiction de l’acte pour apprécier sa légalité, rendant indifférente toute mesure prise après cette date ², sauf mesure rétroactive, que l’administration n’a normalement pas le droit de prendre ³. La seule manière de consolider un acte administratif consiste, pour le juge, à couvrir son vice, c’est-à-dire à rejeter le recours malgré l’illégalité ⁴. En revanche, si les actes sont insusceptibles de régularisation, les situations — c’est-à-dire, semble-t-il ⁵, les conséquences des actions et des

1. Jean-Jacques ISRAËL, op. cit., p. 243.

2. Ibid., p. 56 pour les vices de forme et de procédure, p. 88 pour l’incompétence et p. 141 pour l’irrégularité des motifs.

3. Ibid., p. 57 pour les vices de forme et de procédure, p. 88 pour l’incompétence et p. 140 pour l’irrégularité des motifs.

4. Ibid., p. 17 in fine, p. 30 et s. pour la couverture des vices de forme et de procédure, p. 81 et s. pour l’im-possible couverture de l’incompétence et p. 121 et s. pour la couverture de l’irrégularité des motifs.

5. Il est difficile de dire précisément ce que recouvre l’expression « situation administrative » car Jean-Jacques ISRAËL ne la définit pas. Tout au plus explique-t-il qu’une situation de fait est « créée le plus souvent par un acte initial » — probablement un acte de l’administration (op. cit., p. 145).

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abstentions de l’administration ¹ — le sont, mais à des conditions très restrictives et sous le contrôle rigoureux du juge ². La seule régularisation qui existe est donc celle qui consiste à « édicter un nouvel acte administratif, lequel aura pour objet de faire cesser l’illégalité et pour effet de maintenir la situation de fait, créée le plus souvent par un acte initial » ³. Il s’agit en somme, pour l’administration, de conférer une base valide à la situation qui résulte de l’exécu-tion d’un acte illégal. Jean-Jacques ISRAËL démontre ainsi « qu’on ne régularise pas des actes, mais des situations administratives » ⁴. Plus généralement, « l’illusion d’une régularisation de principe en droit administratif français doit […] être écartée » : elle « est une matière d’excep-tion » ⁵.

34. — Depuis une vingtaine d’années, les techniques de régularisation ont connu un déve-loppement considérable. Principe cardinal de notre droit, la sécurité juridique est l’instigatrice de cette évolution en ce qu’elle exige que les normes et les situations ne soient pas fragilisées pour des irrégularités qui, d’une part, résultent en grande partie d’une complexification exces-sive du droit et, d’autre part, sont remédiables.

L’étude réalisée par Jean-Jacques ISRAËL ne permet plus de rendre correctement compte du droit positif. En premier lieu, la régularisation ne vise plus seulement les situations mais égale-ment les actes administratifs (a). En second lieu, l’office du juge administratif ne consiste plus seulement à restreindre la régularisation mais aussi à inciter et à organiser sa mise en œuvre (b).

1. Ibid., p. 188. En effet, « le vice devant être régularisé [peut] résult[er] d’un vice juridique. Il s’agit des cas où l’administration n’a pas pris en temps utile l’acte qu’elle aurait dû prendre ».

2. Ibid., p. 243. 3. Ibid., p. 145. 4. Ibid., p. 22. 5. Ibid., p. 243.

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