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B — L’absence de caractère normatif de la qualification authentique

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 73-75)

85. — Le constat authentique de l’illégalité est-il normatif ou descriptif ? S’agit-il d’un acte de volonté qui crée une prescription juridique ou qui précède seulement la création d’une prescription juridique ? Si elle est normative, la qualification d’objet irrégulier impose de consi- dérer que tel acte, telle norme ou telle situation factuelle sont contraires aux règles qui les régissent. Si elle n’est pas normative, la qualification n’est qu’un argument, elle fait partie des motifs d’une décision stricto sensu — décision d’annulation, de retrait, d’abrogation ou de régularisation.

86. — La lecture des actes des organes juridiques conduit à préférer la seconde position. En effet, d’un point de vue formel, la qualification d’objet irrégulier est toujours comprise au sein des motifs et non du dispositif de l’acte ; or seul le dispositif est censé être le support de normes, les motifs n’étant que leur support rationnel. Toutefois, comme l’explique Otto PFERSMANN, « l’emplacement des énoncés ne permet pas nécessairement de se prononcer sur leur qualité normative ou explicative. » ¹ Cette distinction formelle est donc insuffisante, car rien n’empêche que certains énoncés normatifs se trouvent dans les motifs d’une décision. La doctrine de droit administratif considère d’ailleurs généralement que des normes peuvent se trouver dans les motifs des décisions du juge.

Au delà de cette distinction formelle, une distinction de type logique doit être faite entre les motifs, qui ont un caractère explicatif et donc descriptif, et le dispositif, qui a un caractère prescriptif. Otto PFERSMANN explique, qu’« une norme consiste à modaliser des actions par l’obligation, la permission ou l’interdiction. Elle décrit un monde idéal, non le monde actuel » ². À l’inverse, « les motifs constituent des arguments vrais ou faux (au regard des pré- misses), valides ou invalides (au regard des conclusions tirées des prémisses) et sans valeur normative » ³.

Le constat de l’irrégularité est à ranger dans les motifs des décisions juridique. En tant qu’il s’agit d’un motif, le constat de l’illégalité peut être vrai ou faux, valide ou invalide. Un obser- vateur peut ainsi parfaitement considérer que tel acte abrogé par l’administration (décision) en

1. Otto PFERSMANN, « Contre le néo-réalisme juridique », R.F.D.C., 2002, nº 52, p. 830.

2. Otto PFERSMANN, vº « Norme » in Denis ALLAND, Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridi‐ que, op. cit., p. 1080.

3. Otto PFERSMANN, « Le renvoi préjudiciel sur exception d’inconstitutionnalité : la nouvelle procédure de contrôle concret a posteriori », L.P.A., 19 déc. 2008.

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raison de son illégalité (motif) était en réalité conforme au droit ou que tel contrat déclaré légal par le juge administratif (motif) était pourtant contraire à la règle invoquée et que le recours du tiers n’aurait pas dû être rejeté (décision). Le constat de l’illégalité produit donc des effets de droit mais il n’est pas contraignant.

87. — Ce qui vient d’être énoncé n’est pas contradictoire avec ce que nous avons dit à pro- pos du caractère décisoire de l’opération de qualification. Si toute norme est une décision, toute décision n’est pas une norme. « Décider », selon une acception large, c’est-à-dire qui n’est pas spécifiquement juridique, ne signifie pas « imposer » mais opérer un choix au terme d’une délibération, rien de plus ¹. Les auteurs du Dictionnaire technique et critique de la philo-

sophie écrivent ainsi, à propos du terme « décisoire » : « caractéris[e] les actes de l’esprit posant

une définition, une proposition, une règle qui ne s’impose pas nécessairement, mais qu’il est raisonnable d’admettre, par une décision de l’esprit » ². Ce n’est donc pas parce que l’opéra- tion de qualification juridique est, en définitive, un acte de la volonté que le constat de l’irré- gularité s’impose à chacun.

En somme, le constat authentique de l’illégalité ne se distingue pas du constat doctrinal du point de vue de sa nature mais de celui de ses effets dans l’ordre juridique. La qualification doctrinale ne produit pas de conséquences juridiques alors que la qualification authentique si, peu importe qu’elle soit valide ou non. C’est la raison pour laquelle nous ne prendrons en considération que la seconde dans l’étude de la régularisation. Cela n’empêche évidemment pas d’avoir un regard critique sur l’opération de qualification réalisée par une autorité juridi- que.

La régularisation est donc un procédé mis en œuvre à la suite du constat qu’un acte, une norme ou une situation de fait sont irréguliers. Cette qualification, réalisée par un organe investi d’une compétence juridique, est le fruit d’un acte hybride de connaissance et de volon- té. C’est en se fondant sur l’ensemble de ces précisions que nous examinerons la pratique du constat de l’irrégularité précédant la mise en œuvre d’une technique de régularisation.

1. Cf. en ce sens vº « Décision », in André LALANDE (dir.), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e éd., Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2010, p. 202 : « terminaison normale de la délibération dans un acte volon- taire ».

Section II. — L’hétérogénéité pratique du constat de l’irrégularité

88. — Le constat de l’irrégularité est une opération « homogène » d’un point de vue conceptuel : il s’agit, pour un organe qui est en mesure d’en tirer les conséquences juridiques, d’apprécier la conformité d’un objet à une règle et de décider qu’il lui est contraire. Malgré l’homogénéité théorique du constat de l’irrégularité, sa pratique est très hétérogène. En effet, les organes de contrôle sont divers (I) et des désaccords peuvent survenir entre eux (II).

I. — La diversité des organes du constat de l’irrégularité

89. — Après avoir identifié les différentes autorités qui sont en mesure de constater qu’un acte, une norme ou une situation sont irréguliers (A), nous montrerons qu’elles se prononcent dans des contextes différents, selon qu’elles sont saisies d’une demande ou interviennent spon- tanément (B).

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