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Les motifs du constat de l’irrégularité

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 100-103)

124. — Les motifs du constat de l’irrégularité dont il sera ici question sont exclusivement d’ordre juridique. Comme cela été évoqué plus haut ¹, ces motifs ne sont pas les seuls qui interviennent dans l’adoption de leurs décisions par les organes de contrôle : des motifs d’op- portunité interviennent incontestablement dans les choix qu’ils opèrent en terme d’inter- prétation des textes et de qualification des objets. La raison pour laquelle nous ne les intégre- rons pas à notre étude est essentiellement pratique : ces motifs sont rarement énoncés de ma- nière formelle. Ils apparaissent par exemple dans les conclusions que les rapporteurs publics formulent devant les juridictions administratives, mais cela de manière contingente et sans qu’il soit possible de déterminer dans quelle mesure ils sont intervenus dans l’adoption de la décision. La motivation, en France et contrairement aux pays de common law, est en effet très partielle, artificiellement limitée à des arguments juridiques — Denis BARANGER parle à ce sujet de « motivation faible » ². Le travail du juriste scientifique gagnerait ainsi en précision si le juge intégrait à sa motivation les facteurs extra-juridiques ³, dont la prise en considération est indéniable. Le rôle de « bouche qui prononce les paroles de la loi » relève d’une mythologie qui, comme l’explique Fanny MALHIÈRE, permet au « juge [de préserver] sa légitimité construite sur sa fonction de juger, conçue comme une fonction neutre d’application du droit » ⁴.

125. — Étudier les motifs du constat de l’irrégularité, c’est s’intéresser aux irrégularités elles-mêmes, c’est-à-dire à la nature des dissemblances qui peuvent apparaître entre l’action effective et l’action idéale des administrations publiques. En somme, nous nous sommes inté- ressé au constat qu’un acte est irrégulier ; nous étudierons maintenant la raison de ce constat, c’est-à-dire l’existence d’un vice particulier.

1. Cf. supra nos 79 et 80.

2. Denis BARANGER, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle », Jus Politicum, 2012, Vol. IV, p. 14 et s. Ce propos concerne la motivation des décisions du Conseil constitutionnel. Nous pensons qu’il vaut également pour les autres juridictions françaises.

3. Le juge pourrait tout au moins signaler les motifs d’opportunité qui sont intervenus dans le choix de telle signification ou de telle qualification lorsque plusieurs sont également admissibles.

4. Fanny MALHIÈRE, La brièveté des décisions de justice, Paris, Dalloz, 2013, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », p. 82.

Comme le constat de l’illégalité ¹, l’identification d’un vice est un acte décisoire. Guillau- me TUSSEAU explique ainsi que « les vices dont sont affectées les normes juridiques ne doivent pas être conçus comme des propriétés immédiatement observables. Ils résultent de décisions interprétatives des acteurs chargés de leur contrôle » ². À l’instar du constat de l’irrégularité d’un objet, le constat de l’existence d’un vice particulier relève « des arguments destinés à jus- tifier la production juridictionnelle [et, selon nous, pas uniquement juridictionnelle] des nor- mes » ³.

126. — Le présent chapitre sera consacré aux classifications des vices qui entachent l’action administrative ⁴. Ces classifications ne seront cependant pas étudiées pour elles-mêmes, mais dans l’optique de leur application à la régularisation. La question qui nous occupera est celle, systématiquement traitée par les auteurs qui abordent la régularisation, du caractère remédia- ble des vices ⁵. L’opinion majoritaire est que toutes les irrégularités ne sont pas « régularisables », voire que le champ de ce celles auxquelles il peut être remédié est « relative- ment restreint même s’il s’étend » ⁶. Nous pensons que cette réponse n’est pas satisfaisante : les

1. Cf. supra, p. 66.

2. Guillaume TUSSEAU, Les normes d’habilitation, Paris, Dalloz, 2006, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 60, p. 539.

3. Ibid.

4. Pour des études détaillées des différentes classifications des vices de légalité, cf. les développements de Mi- chel DUBISSON sur « le problème du mode de détermination des normes administratives », in La distinction entre la légalité et l’opportunité dans la théorie du recours pour excès de pouvoir, op. cit., p. 63 et s. ; Mathilde SAUS- SEREAU, Les classifications des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir. Essai d’analyse critique, thèse, Paris I, 2002 ; Fabrice MELLERAY, « Recours pour excès de pouvoir (moyens d’annulation) », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, 2014, nos 6 et s. À propos des vices entachant les contrats administratifs : Pierre BOUR- DON, Le contrat administratif illégal, Paris, Dalloz, 2014, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », vol. 131.

5. Cf. principalement : Jean-Jacques ISRAËL, op. cit., p. 170 ; Jean-François LAFAIX, Essai sur le traitement des irrégularités…, op. cit., p. 278 et s. ; Mathieu LE COQ, «Vices affectant la conclusion des contrats publics : mode d’emploi des mesures de régularisation par l’Administration », C.M.P., 2013, nº 4, prat. 4 ; Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation », J.C.P. Adm., 2015, nº 30-34, 2245, p. 40 et s. ; Louis DUTHEILLET DE LAMOTHE, Guillaume ODINET, « La régularisation, nouvelle frontière de l’excès de pouvoir », chron. sur C.É., Sect., 1er juill. 2016, Commune d’Émerainville et a. A.J.D.A., 2016, p. 1862 ; Vincent DAUMAS, concl. sur C.É., Sect., 1er juill. 2016, Commune d’Émerainville et a., R.F.D.A., 2017, p. 294 et s. ; Michel RICHARD, « Une arme de régularisation massive des permis ? », A.J.D.A., 2016, p. 2361 et s. ; Vincent DAUMAS, « Le pouvoir de l’administration de régulariser ses actes illégaux : la jurisprudence en chantier », D.A., mars 2017, nº 3, étude nº 4, p. 23 et s., en particulier p. 24 ; Jean-François LAFAIX, « La régu- larisation en matière contractuelle », C.M.P., 2017, nos 8 – 9, étude nº 9, p. 8 et s., spéc. p. 14 et s. ; Henri BOUILLON, « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gesta- tion », A.J.D.A., 2018, p. 142 et s., spéc. p. 147 et s.

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critères que les auteurs emploient pour distinguer les vices remédiables de ceux qui ne le sont pas sont entachés de défauts et ne doivent donc pas être repris.

Deux classifications, que les auteurs appliquent à la régularisation, seront ici discutées. Cel- les-ci ressortent nettement des propos d’Henri BOUILLON : « En principe, seuls sont régulari- sables les vices formels bénins. » ¹ La première classification repose sur la gravité des vices : les uns sont véniels, les autres inexcusables. La seconde repose sur la nature du vice, qui est appré- ciée en fonction de l’élément de l’acte normatif qui est entaché d’un vice ; nous verrons que plusieurs classifications des irrégularités sont possibles, reposant sur la distinction du fond et de la forme de l’acte normatif, ou selon la partie de l’acte qui est affectée — compétence de l’auteur, procédure, forme, contenu et motifs de la décision.

127. — Certains auteurs jugent que les objets entachés d’un vice d’une particulière gravité ou d’un vice dans leur contenu ne peuvent pas être régularisés. Cette opinion ne nous semble pas décrire la réalité de manière satisfaisante. Les classifications des vices selon leur gravité (Sect. I) ou selon leur nature (Sect. II) ne nous semblent pouvoir être reprises pour l’étude de la régularisation. En creux, nous montrerons que globalement, les techniques cor- rectrices peuvent concerner n’importe quel type vice, qu’il soit graves ou substantiels. La res- triction des vices remédiables ne constitue donc pas un principe général de la régularisation.

1. Henri BOUILLON, « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une techni- que en gestation », A.J.D.A., 2018, p. 147.

Section I. — L’indifférence de la gravité du vice dans la détermination de son

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