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A — Les fondements de l’opposition indirecte

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 179-185)

222. — Nous détaillerons ici les deux prémisses de l’opposition indirecte entre la régulari- sation et la modification. D’une part, la réfection aurait été considérée à tort comme un pro- cédé de régularisation. En réalité, régularisation et réfection seraient deux procédés distincts, tant du point de vue technique que de celui de leur finalité (1). D’autre part, parce que la modification consiste à refaire partiellement un acte, elle consisterait en une réfection qu’il faudrait nécessairement distinguer de la régularisation (2).

1. La distinction de la régularisation et de la réfection

223. — À notre connaissance, Jean-François LAFAIX a introduit en droit public la distinc- tion de la réfection et de la régularisation. La doctrine civiliste distinguait déjà, pour sa part, trois remèdes à la nullité d’un contrat : la confirmation, la régularisation et la réfection. Or tandis que les auteurs de droit privé restent partagés sur la question de savoir si la confirma- tion, qui est « l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce » ¹, n’est pas simplement une régularisation du contrat ², ils considèrent d’une manière générale que la confirmation et la régularisation sont toutes deux distinctes de la réfection. En effet, celle-ci ne consiste pas en une validation du contrat initial, mais en un nouvel accord de volontés substituant pour l’avenir un nouveau contrat à celui entaché de nullité ³.

1. Art. 1182 du code civil.

2. Les uns jugent que la confirmation, qui ne concerne que la partie renonçant à se prévaloir de la nullité du contrat, est subjective, contrairement à la régularisation qui valide le contrat de manière objective et erga omnes (notamment Christian DUPEYRON sur La régularisation des actes nuls, op. cit., p. 24 et s.). Les autres considèrent qu’en renonçant à se prévaloir de la nullité, la partie réitère son consentement, ce qui équivaut à une validation objective du contrat (notamment Yves LEQUETTE et al., Droit civil. Les obligations, op. cit., p. 413 ; Dominique D’AMBRA, vº « Confirmation », Répertoire de droit civil, Dalloz, 2017, no 14).

3. Christian DUPEYRON, op. cit., p. 26 et s. L’auteur indique qu’une confusion est faite par une partie de la doctrine entre « la création d’un acte et sa consolidation ». Or, selon lui, « le fait que la régularisation n’aboutisse qu’à une consolidation de l’acte permet aussi de le différencier des réfections succédant à une annulation » (p. 27). Cf. également Yves LEQUETTE et al., op. cit., p. 413 et s. ; Dominique D’AMBRA, op. cit., no 6.

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L’analyse de Jean-François LAFAIX est proche de celle de la doctrine civiliste. Il explique en effet que la régularisation est une « perfection » de l’acte irrégulier et que parfaire n’est pas refaire ¹. Or, selon lui, « c’est certainement à cet égard que la confusion est la plus fréquente. Nombreux sont les auteurs qui, explicitement ou implicitement, rapprochent régularisation et réfection » ². Ces deux opérations doivent d’abord être distinguées selon un critère technique : alors que la réfection consiste à reproduire l’acte irrégulier, lequel n’est donc pas maintenu, la régularisation consiste, à l’inverse, à maintenir l’acte initial. Elles s’opposent ensuite en raison de leurs finalités respectives : « la réfection d’un acte a souvent pour objet de donner ou re- donner des bases juridiques saines à une situation irrégulière », c’est-à-dire de sécuriser « un ensemble de faits, voire le contenu d’un rapport d’obligation », et non un acte juridique. Au- trement dit, la régularisation viserait seulement la perfection des actes et la réfection le main- tien de situations juridiques ou factuelles irrégulières.

En distinguant nettement ces deux concepts, Jean-François LAFAIX a pour ambition d’éla- borer des « instruments précis » à destination du « jurislateur », qui « ne dispose pas du temps pour procéder à des recherches théoriques » ³. Mais la critique que fait l’auteur de l’utilisation du concept de régularisation pour désigner, non pas la correction d’un acte, mais le maintien d’une situation irrégulière ne porte pas seulement sur les travaux doctrinaux. Ainsi, lorsque que la Section du contentieux emploie le terme « régularisation » pour désigner le fait que l’implantation d’un ouvrage public peut être consolidée pour l’avenir par la production d’un acte juridique nouveau ⁴, elle ne désignerait pas à une véritable opération de régularisation ⁵.

L’auteur détaille ensuite les conséquences pratiques de cette distinction conceptuelle en matière contractuelle. Parce qu’elle consiste en la signature d’un nouveau contrat remplaçant rétroactivement celui qui est entaché d’un vice, la réfection suppose la manifestation d’un nouvel accord des volontés et le respect des conditions relatives à la passation des contrats publics. La régularisation, à l’inverse, n’implique ni l’édiction d’une nouvelle convention, ni,

1. Jean-François LAFAIX, Essai sur le traitement des irrégularités…, op. cit., p. 246. L’utilisation de l’idée de perfection d’un acte est déjà présente dans la thèse de Christian DUPEYRON : « Plus généralement la régularisa- tion a pour effet de valider un acte ou une opération. La correction du vice permettra à cet acte ou à cette opé- ration d’accéder tardivement à la perfection juridique » (op. cit., p. 9).

2. Ibid., p. 253. 3. Ibid., p. 270.

4. C.É., Sect., 29 janv. 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et commune de Clans, req. no 245239 ; Rec., p. 21.

5. Jean-François LAFAIX, op. cit., p. 254. À propos de l’implantation des ouvrages publics : « il ne s’agit ici que de maintenir une situation de fait, à savoir la construction ».

dès lors, le respect de ces conditions. Il est donc bien plus simple de régulariser que de refaire ¹.

224. — Il s’agit d’un glissement important du sens du mot « régularisation ». D’une part, Jean-Jacques ISRAËL nie dans sa thèse l’existence concrète de la régularisation des actes et n’ad- met que celle de la régularisation des « situations administratives » ². Pour lui, le maintien de l’acte irrégulier qui constitue le support d’une telle situation est indifférent, puisqu’un nouvel acte s’y substitue nécessairement. D’autre part, Jean-François LAFAIX se place à un niveau théorique pour considérer que seuls les actes — en particulier les contrats — peuvent être régularisés, et que l’on ne peut pas parler de « régularisation des situations » sans commettre une grave imprécision. L’auteur n’adopte pas le même point de vue que Jean-Jacques ISRAËL : si ce dernier ne considère pas la régularisation des actes administratifs comme un contresens mais comme une pratique inexistante, Jean-François LAFAIX l’exclut d’emblée s’agissant des

situations administratives. En somme, ces deux auteurs emploient le même terme pour dési-

gner deux techniques différentes, dont le point commun est qu’elles assurent le maintien de l’objet qu’elles visent.

Toutefois, une telle opposition entre régularisation et réfection n’implique, à première vue, aucune conséquence s’agissant des techniques modificatives. Le rejet de ces techniques du champ de la régularisation découle en réalité d’une reprise postérieure de la distinction théori- que proposée par Jean-François LAFAIX.

2. L’exclusion des techniques de régularisation modificatives fondée sur la distinction de la régularisation et de la réfection

225. — Les auteurs traitant de la régularisation reprennent aujourd’hui généralement la distinction faite par Jean-François LAFAIX entre la régularisation et la réfection des actes juridi- ques. C’est en particulier le cas d’Élise LANGELIER et d’Aurélie VIROT-LANDAIS :

[L]a régularisation doit absolument être distinguée de la réfection, avec laquelle elle est souvent confondue car, dans certains cas, la frontière peut s’avérer subtile. La réfection, d’origine jurisprudentielle ou législative, est une technique de correction d’une irrégularité

1. Ibid., p. 265 et s.

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impliquant l’annulation de l’acte vicié et l’édiction d’un nouvel acte. Elle procède donc à la confirmation d’une situation factuelle par octroi d’une nouvelle base juridique. ¹

Il doit en revanche être noté que les deux auteurs, contrairement à Jean-François LAFAIX, n’op- posent pas la régularisation et la réfection du point de vue de leur finalité, la première n’ayant pour objet que de corriger les actes, la seconde les situations. En effet, Élise LANGELIER et Au- rélie VIROT-LANDAIS admettent parfaitement qu’une situation puisse être régularisée, l’emploi de ce terme n’étant pas, dans cette hypothèse, impropre ². Leur étude ne porte cependant pas sur la régularisation des situations, mais seulement sur la « réalité émergente et balbutiante » de la régularisation des actes viciés ³.

226. — Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS précisent dans leur article ce qu’il faut entendre par « réfection » : cette technique permet de « remédi[er] à l’irrégularité d’un contrat par l’édiction d’un contrat de substitution ou d’un avenant et à celle d’un acte administratif unilatéral par l’édiction d’une décision modificative ou la réalisation d’une procédure norma- tive complémentaire ». Elles adoptent ainsi une acception large du concept de réfection, dont relèvent d’une part, évidemment, les procédés de réfection au sens strict, c’est-à-dire ceux qui consistent à remplacer purement et simplement l’acte irrégulier par un nouvel acte identique au premier. C’est notamment le cas, évoqué dans cet article, de l’édiction d’un contrat de substitution. Relèvent d’autre part de la réfection les procédés modificatifs, tels l’avenant et la décision modificative, qu’Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS assimilent, à l’instar de certains théoriciens du droit ⁴ et de la doctrine majoritaire ⁵, à une abrogation partielle suivie

1. Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation… », J.C.P. Adm., 2015, nº 30-34, 2245, nº 4.

2. Ibid., no 1 : « Le plus souvent, il est question de régulariser une situation juridique, celle d’un étranger ne disposant pas d’un titre de séjour régulier, d’un agent contractuel indûment recruté ou encore d’un projet de construction irrespectueux des règles d’urbanisme. […] L’idée est de rendre la situation factuelle conforme à l’ordonnancement juridique ».

3. Ibid.

4. Hans KELSEN, Théorie générale des normes, op. cit., p. 146 et s. : « la modification du contenu d’une norme n’est pas obtenue par la persistance de la validité de la norme juridique, avec un contenu modifié, en tant que norme partiellement modifiée, mais par la suppression de la validité d’une norme (par une norme dont la seule fonction est l’abrogation […]) et son remplacement par une autre norme dont le contenu, comparé à celui de la première norme, est en partie différent. » Ainsi, selon KELSEN, les règles juridiques seraient des objets immua- bles : soit elles sont telles qu’elles ont été créées, soit elles cessent d’être.

5. Cf. notamment René CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 15e éd., Paris, Montchrestien, 2001, coll. « Précis Domat », p. 1151 : « on peut observer que la modification d’une décision s’analyse en une abrogation partielle de ses dispositions » ; Jacques PETIT, Les conflits de lois dans le temps en droit public interne, Paris, L.G.D.J., 2002, coll. « Bibliothèque de droit public », p. 12 : « la modification n’est pas une opération essentiel-

de l’ajout d’une disposition nouvelle. La modification de l’acte administratif illégal — unilaté- ral ou conventionnel — s’apparente ainsi à une réfection en ce qu’elle occasionne un rempla- cement partiel de l’objet initial, ce qui la distingue de la régularisation.

Cependant, Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS ne semblent pas inclure dans le champ des « décisions modificatives » les seuls procédés qui consistent à modifier véritable- ment le contenu d’un acte préexistant. Ainsi, dans leur article, l’expression « décision modifi- cative » renvoie plus généralement aux procédés qui impliquent l’édiction d’un nouvel acte dont le contenu est simplement lié à celui d’un acte préexistant, et non exclusivement à l’édic- tion d’un acte qui modifie le contenu d’un autre. Ces actes s’apparentent aux « régularisations indirectes », dont nous avons parlées ¹, c’est-à-dire les techniques qui affectent l’acte juridique initial. Pourtant, les actes pris pour les régularisations indirectes ne sont pas toujours à propre- ment parler « modificatifs » : ils peuvent être parfaitement confirmatifs. En d’autres termes, Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS incluent au sein de la catégorie des « décisions modificatives » aussi bien celles qui sont effectivement modificatives que celles qui, en réalité, sont confirmatives. Nous préciserons ce point en revenant sur l’illustration que les auteurs fournissent dans leur article d’une « décision modificative » : celle des permis modificatifs délivrés lorsqu’il est fait application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme — dans sa rédaction antérieure à la loi « ÉLAN » ². L’objet principal de ce mécanisme, qui ressort nette- ment du « Rapport Labetoulle » de 2013 ³, est justement de permettre au juge, qui constate l’irrégularité purement formelle d’une autorisation d’urbanisme, de laisser à l’administration le temps nécessaire pour reprendre le contenu de cette autorisation au sein d’un permis qui,

lement différente de l’abrogation : elle s’analyse en une abrogation suivie du remplacement de la disposition abrogée par une prescription nouvelle » ; Bertrand SEILLER, vº « Acte administratif : régime », Répertoire de contentieux administratif, 2018, nos 509 et s.

1. Cf. supra, p. 156. Cf. également no 217.

2. Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, op. cit., note nº 16.

3. Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, rapport remis au ministre de l’Égalité des terri- toires et du logement le 25 avr. 2013, La doc. fr., mai 2013, p. 13. L’objet de l’article L. 600-5-1 est de pallier une insuffisance de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme pour permettre la régularisation des vices de forme et de procédure, lesquels affectent souvent l’intégralité de l’autorisation. Cf. supra, p. 136 et s.

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pour « modificatif » qu’il soit, ne le réforme pas ¹. Par conséquent, un permis modificatif n’a pas nécessairement pour objet de modifier le projet initialement autorisé.

L’expression « décision modificative » vise donc, sous la plume d’Élise LANGELIER et d’Au- rélie VIROT-LANDAIS, les actes qui reprennent le contenu d’un acte préexistant seulement en partie — il s’agit alors d’une véritable modification — ou alors en totalité — il s’agit alors, en réalité, d’une confirmation. Autrement dit, les auteurs assimilent parfaitement l’avenant et la décision modificative à la réfection : il s’agirait toujours de refaire un acte initial, en partie ou en tout. C’est parce que la modification se confondrait avec la réfection qu’elle ne pourrait pas être considérée comme une régularisation.

227. — En définitive, Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LANDAIS reprennent et élargissent la distinction théorique élaborée par Jean-François LAFAIX entre la régularisation et la réfection des actes.

En premier lieu, la régularisation a pour objet de rendre un acte régulier sans l’édicter de nouveau, à l’identique ou modifié : la régularisation laisse absolument intact l’acte ini- tialement irrégulier et se limite à le purger de son vice. Élise LANGELIER et Aurélie VIROT-LAN- DAIS retiennent ainsi une définition très stricte de la régularisation et il est notable qu’elles n’identifient que très peu de procédés qui en relèvent. Elles estiment ainsi que le champ d’ap- plication de ces procédés « demeure pour l’heure circonscrit au contentieux contractuel » ². Ceci n’est d’ailleurs pas un hasard. En effet, la régularisation d’un contrat, telle qu’elle est per- mise par la jurisprudence ³, consiste généralement en l’édiction d’un acte qui s’incorpore ré- troactivement dans la procédure de passation pour la rendre régulière. Aucune atteinte n’est donc portée au contrat : sa correction est entièrement indirecte et il n’est pas refait.

1. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un cas d’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, cf. C.É., 2 févr. 2004, S.C.I. La fontaine de Villiers, req. nº 238315 ; préc. : un permis est qualifié de « modificatif » alors qu’il reprend strictement le projet initial. Cette solution vaut parfaitement dans le cadre de l’application de l’ancienne version de l’article L. 600-5-1, cette disposition renvoyant au permis modificatif « ordinaire ». Cf. également C.É., 7 mars 2018, Mme Bloch, req. nº 404079 ; Rec., p. 65 ; R.D.I., 2018, p. 294, note Pierre SOLER-COUTEAUX. Dans sa note sur la décision, Pierre SOLER-COUTEAUX écrit : « Peut-on voir un permis modi- ficatif dans un permis qui ne comporte aucune modification du projet autorisé par le permis initial ? Ne doit-on pas considérer qu’à défaut de “fait générateur” il ne peut être ainsi qualifié ? La réponse est évidemment négati- ve. Ainsi, lorsque le permis modificatif vise à régulariser l’omission d’un avis qui devait être sollicité à l’occasion de l’instruction du permis initial, le juge n’exige pas que la demande du permis modificatif comporte un objet qui requiert en lui-même la consultation de l’autorité ou du service dont l’avis a été éludé. »

2. Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, op. cit., no 3. Cf. également no 6.

La réfection, d’un autre côté, vise à rendre une situation régulière en édictant un acte qui soit est totalement nouveau, soit reprend totalement ou partiellement le contenu d’un acte préexistant. La modification ne pourrait donc s’assimiler qu’à une réfection, procédé distinct de la régularisation. Ce point de vue nous semble discutable.

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