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La continuité matérielle

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 173-177)

215. — Nous désignons par les termes « continuité matérielle » la préservation des caracté- ristiques de l’objet qui est régularisé. En effet, pour dire qu’un acte, une norme ou une situa- tion sont devenus réguliers, leur essence doit être préservée. À l’inverse, lorsque la nature mê- me de l’objet irrégulier est altérée — ce qui correspond, dès lors, à une « discontinuité maté- rielle » —, l’usage du terme « régularisation » devient discutable, même si l’organe qui y pro- cède entend précisément consolider cet objet et se conformer à la légalité. Autrement dit, si pour purger un acte irrégulier de son vice il est nécessaire de modifier ses caractéristiques es- sentielles, il ne s’agit plus de le régulariser — et, ce faisant, de le consolider — mais de le rem- placer par un nouveau.

216. — La régularisation peut évidemment n’impliquer aucune discontinuité matérielle. Deux types d’hypothèses doivent être distinguées.

Il y a d’abord les hypothèses, précédemment évoquées ¹, dans lesquelles il est remédié à l’illégalité de la norme ou de la situation de manière indirecte, soit par modification rétroacti- ve des règles qui s’appliquent à cette norme ou à cette situation — ce procédé étant souvent qualifié de « validation » —, soit par édiction d’un acte, éventuellement rétroactif, dont l’in- existence est la cause de l’irrégularité d’une autre norme ou d’une autre situation. Un exemple du second cas est celui dans lequel, après l’annulation d’une délibération autorisant le maire d’une commune à signer un contrat, le conseil municipal adopte une nouvelle délibération ayant le même objet : cet acte régularise le contrat et son contenu sans qu’aucune atteinte ait été portée ni à l’un, ni à l’autre. Ces deux techniques permettent au législateur, au juge ou à l’administration d’opérer de manière détournée : l’élaboration d’un nouvel acte permet de régulariser un acte préexistant, qui n’est pas l’objet immédiat de l’intervention et dont l’essen- ce ne peut donc pas être altérée.

Il y a ensuite les hypothèses dans lesquelles l’irrégularité d’une norme est supprimée en substituant un nouvel acte légal à celui, vicié, qui constituait son fondement initial. Dans ce cas, la régularisation n’épargne pas l’acte qui est le support de la norme : celui-ci disparaît au profit d’un autre, exempt de vice. Ce cas, qui pourrait être qualifié de « substitution d’actes », est couramment appelé « réfection », en ce sens que l’acte irrégulier est refait. Par exemple, un supérieur hiérarchique peut reprendre légalement la sanction prononcée par son subordonné

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au sein d’un acte entaché d’un vice de forme et pris en violation des droits de la défense ¹. La norme édictée par l’administration est ainsi consolidée par la substitution d’un acte légal à l’acte illégal qui en était initialement le support. Cette technique est souvent considérée, à tort, comme distincte de la régularisation ². S’il est vrai qu’elle n’assure pas la consolidation — et par conséquent la régularisation — de l’acte initial, la réfection assure la consolidation — et, dès lors, la régularisation — de son contenu normatif, qui est intégralement repris dans un nouvel acte légal.

217. — La régularisation d’un acte, d’une norme ou d’une situation ne peut cependant pas toujours être envisagée sans qu’il soit procédé à leur modification. L’illégalité peut en effet tenir aux caractéristiques de cet objet, de sorte que, sous réserve du recours à la technique de la validation précédemment évoquée, il n’est pas possible d’à la fois purger le vice et assurer une parfaite continuité matérielle. Mais une modification de l’acte, et par conséquent de la norme qu’il contient, réalisée dans le but de purger cette dernière de son irrégularité, peut-elle être valablement considérée comme un procédé de régularisation ?

Dans sa thèse, Jean-Jacques ISRAËL ne consacre pas de longs développements à cette problé- matique. L’auteur distingue en effet deux catégories de régularisations. La première est celle des régularisations qui emportent la confirmation de la situation initiale irrégulière — situa- tion de fait ou de droit. Ainsi la régularisation peut-elle assurer le parfait maintien de l’objet qu’elle concerne. La seconde catégorie est celle des régularisations qui n’emportent pas la confirmation de la situation initiale. En effet, « la correction à laquelle procède l’acte régulari- sateur poursuit un but qui est de maintenir les effets d’un acte initial ou d’une situation enta- chée d’irrégularité. C’est l’effet confirmatif de la correction. Il n’est pas toujours obtenu » ³. La régularisation peut donc, selon la conception de Jean-Jacques ISRAËL, emporter la modifica- tion des caractéristiques de son objet.

Toutefois, cette opinion n’est pas unanime parmi les membres de la doctrine contemporai- ne, qui usent de deux raisonnements différents pour exclure la modification du champ de la régularisation. Certains auteurs refusent en effet que la régularisation consiste à refaire légale-

1. C.É., Sect., 16 mai 1958, Société de courtage et d’affrètement fluvial ; Rec., p. 276 : « qu’à supposer […] que la décision du bureau soit viciée en la forme et soit intervenue en violation des droits de la défense, les vices dont elle serait entachée ne sauraient entraîner nécessairement l’annulation de la décision prise par le ministre à la suite du recours hiérarchique formé par la société requérante à condition, toutefois, que la décision du minis- tre ne soit pas elle-même entachée des mêmes vices ».

2. Cf. spéc. Jean-François LAFAIX, Essai sur le traitement des irrégularités…, op. cit., p. 253. 3. Jean-Jacques ISRAËL, op. cit., p. 230. Nous soulignons.

ment un acte. La régularisation et la réfection seraient en effet deux procédés fondamentale- ment distincts. Or la modification ne serait qu’une réfection de l’acte, et ne pourrait dès lors pas être valablement considérée comme une régularisation, même si son objet est de corriger la norme dont il est porteur. D’autres auteurs, qui admettent que la régularisation puissent procéder d’une réfection, refusent en revanche qu’un procédé de régularisation emporte une modification, même minime, de l’acte irrégulier : régulariser, ce ne serait que confirmer abso- lument.

218. — Nous pensons cependant que l’examen du vocable dont le législateur et le juge administratif font usage doit conduire à adopter une acception large du mot « régularisation », qui inclut notamment des procédés modificatifs. Établir une distinction nette entre la régula- risation et la modification ne nous parait pas refléter la manière dont les organes juridiques conçoivent en général ces opérations, en particulier dans les contentieux de l’urbanisme et des contrats publics, qui constituent deux des principaux champ d’expérimentation des procédés de régularisation depuis les années 2000.

L’admission des régularisations modificatives — ou « imparfaites », en ce sens qu’elles n’as- surent pas le complet maintien de l’objet irrégulier — fait cependant surgir une importante difficulté : celle qui entoure la détermination des limites au sein desquelles une modification peut être considérée comme une régularisation, et non comme l’élaboration d’un acte, d’une norme ou d’une situation nouvelle. Autrement dit, si comme l’explique Jean-Jacques ISRAËL la régularisation peut consister à reprendre un acte « plus ou moins comparable à l’acte vicié » ¹, à quoi correspondent ce « plus » et ce « moins » ? Le terme « modification » renvoie en effet à des hypothèses très diverses : étant généralement comprise comme l’action de changer certai- nes caractéristiques d’une chose sans en altérer l’essence, la modification comporte une infini- té de degrés et n’est pas dotée de frontière nettes. Le fait que la régularisation puisse prendre la forme d’une modification impose donc de tenir une réflexion sur les limites de cette régulari- sation modificative. Les frontières qui séparent la régularisation de la novation sont rarement précisées par le législateur, déterminées par la jurisprudence ou étudiées par la doctrine. Nous montrerons qu’elles tiennent à l’économie générale de l’opération normative ou matérielle irrégulière et au but correcteur que poursuit l’auteur de la modification.

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Nous montrerons qu’au détriment de l’homogénéité des procédés de régularisation, la mo- dification peut être admise en leur sein (Sect. I). Nous tâcherons ensuite de déterminer les limites dans lesquelles cette admission est envisageable (Sect. II).

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