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A — Une distinction dépourvue de conséquence sur la régularisation

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 127-144)

158. — Comme l’explique Fabrice MELLERAY, la distinction des éléments de l’acte selon qu’ils relèvent de la légalité interne ou de la légalité externe « a pour principal défaut de ne rien apprendre ou presque en elle-même. Si elle est didactique, elle ne présente cependant aucune valeur heuristique particulière » ⁴. Les principales incidences de la distinction du fond et de la forme relèvent du contentieux administratif. Cette distinction est en effet la source de la séparation des causes juridiques du recours pour excès de pouvoir : les moyens se répartis- sent entre ceux de légalité externe et ceux de légalité interne. Deux conséquences pratiques découlent de cette distinction. D’une part, un moyen relevant d’une cause juridique différente de celle dont relève le moyen initialement soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir ne peut plus être invoqué après l’expiration du délai contentieux ⁵. Outre le fait que cette règle est

1. Dominique POUYAUD, La nullité des contrats administratifs, Paris, L.G.D.J., 1991, coll. « Bibliothèque de droit public », t. 158, p. 26 : la régularité « interne » renvoie, selon l’auteur, au « contenu même du contrat ».

2. Ibid, p. 25 : « Le juge a donc plutôt tendance à se placer dans son cadre théorique habituel et à raisonner, en présence d’un contrat, comme il le ferait en face d’un acte unilatéral. »

3. Pierre BOURDON, Le contrat administratif illégal, op. cit., p. 9 et s.

4. Fabrice MELLERAY, vº « Recours pour excès de pouvoir (moyens d’annulation) », op. cit., nº 11.

5. C.É., Sect., 20 févr. 1953, Société Intercopie, préc., relatif au pourvoi en cassation ; C.É., Ass., 15 juill. 1954, Société des aciéries et forges de Saint-François, req. nº 4190 ; Rec., p. 482, relatif au recours pour excès de pouvoir.

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critiquée ¹, sa portée doit être relativisée : elle ne fait pas échec au régime des moyens d’ordre public ni aux dispositions plus spécifiques ; elle n’interdit pas au juge d’interpréter les moyens du requérant comme relevant d’une cause juridique ouverte avant l’expiration du délai de recours ² ; elle conduit les parties à soulever systématiquement — et donc artificiellement — des moyens relevant des deux causes juridiques avant l’expiration du délai de recours ³. D’au- tre part, après le rejet d’un premier recours en annulation d’un acte administratif, un requé- rant ne peut formuler la même demande qu’en se fondant sur un moyen relevant d’une cause qu’il n’avait pas soulevée initialement ⁴.

Contrairement à ce qu’écrivent les auteurs du Vocabulaire juridique ⁵, la distinction du fond et de la forme n’a guère d’incidence sur la mise en œuvre des mécanismes de régularisa- tion ⁶ ; l’incidence qu’elle peut avoir est tout au plus sectorielle. Nous exposerons (1) puis critiquerons (2) l’opinion selon laquelle l’acte normatif dont le fond est vicié ne pourrait pas être régularisé, contrairement à celui dont l’illégalité n’est que formelle.

1. Exposé de l’opinion

159. — Plusieurs membres du Conseil d’État ont attribué une conséquence juridique par- ticulière à la distinction des causes de la requête en excès de pouvoir : alors que l’acte adminis- tratif annulé au motif qu’il est entaché d’une illégalité externe peut être refait, celui qui est

1. Cf. notamment : Paul CASSIA, obs. sur les décisions C.É., 16 mai 1924, Jourda de Vaux et C.É., 20 févr. 1953, Société Intercopie, in Jean-Claude BONICHOT, Paul CASSIA, Bernard POUJADE, Les grands arrêts du conten- tieux administratif, 6e éd., Paris, Dalloz, 2018, coll. « Grands arrêts », nº 51, p. 1045 : « il n’y a pas de jurispru- dence plus critiquée que celle dont procède la décision Société Intercopie » ; Mathilde SAUSSEREAU, « La cause de la demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? », R.D.P., 2003, p. 631 et s. ; David BAILLEUL, « Vers la fin de l’interdiction des moyens nouveaux en excès de pouvoir ? », D.A., avr. 2008, nº 4, étude nº 9 ; Florian POULET, « La justice administrative de demain selon les décrets du 2 novembre 2016 », A.J.D.A., 2017, p. 284.

2. Mathilde SAUSSEREAU, « La cause de la demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? », R.D.P., 2003, p. 637.

3. Geneviève KOUBI évoque une distinction « quasiment dépourvue d’effets pratiques, mais [dont l’]utilisa- tion est maintenue » (ibid., p. 128).

4. C.É., 21 janv. 1955, Muller ; Rec., p. 40.

5. Vº « Régularisation », in Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit. : « action de purger un acte ou une situation du vice formel qui l’entache ».

6. Jimmy ROBBE propose une réflexion similaire in « De l’intérêt (relatif) de la distinction entre légalité exter- ne et légalité interne », R.F.D.A., 2018, p. 85 et s., spéc. p. 94 : « ni la loi ni la jurisprudence ne font, en tous domaines, correspondre les illégalités régularisables aux illégalités externes, ni les illégalités non régularisables aux illégalités internes. »

entaché d’une illégalité interne, c’est-à-dire dans son contenu, ne le peut pas. Le premier à avoir proposé cette analyse est François GAZIER dans son étude précitée de 1951 ¹. Cette opi- nion a ensuite été reprise par Jean KAHN dans ses conclusions sur l’affaire Dame veuve Ginestet jugée le 23 mars 1956 : « on peut définir l’illégalité externe comme celle qui, une fois consta- tée, laisse intacte la faculté, pour l’administration, de refaire l’acte sans violer la chose jugée par le juge de l’excès de pouvoir. Au contraire, l’annulation pour illégalité interne peut être comprise comme celle qui, sauf exception, interdit à l’administration de reprendre la même décision. » ²

Il est à noter que Jean KAHN fait de l’alternative entre la possibilité et l’impossibilité de refaire l’acte annulé, non la conséquence, mais la cause de la distinction des moyens de légalité externe et interne ³. Nous considérons, à la suite de Bruno KORNPROBST ⁴, de Jean- Paul GILLI ⁵ ou encore d’André CALOGEROPOULOS ⁶ qu’il ne peut s’agir du critère sur lequel repose cette distinction : la possibilité ou non pour l’administration de reprendre un acte an- nulé est une question qui ne peut logiquement se poser qu’après la décision juridictionnelle.

160. — La distinction développée par François GAZIER et Jean KAHN a récemment été reprise pour être appliquée aux procédés de régularisation à l’occasion de la décision Commu-

ne d’Émerainville et autres. Dans ses conclusions sur l’affaire, Vincent DAUMAS affirme, en

reprenant explicitement le raisonnement de Jean KAHN :

Il n’est pas facile de prétendre, a priori, donner une liste exhaustive des illégalités régu- larisables. Mais l’on sent bien qu’à cet égard la distinction entre illégalités externes et illé- galités internes est appelée à jouer un rôle essentiel. En règle générale, une illégalité inter- ne est la manifestation d’un obstacle de fond qui implique que l’existence ou le sens d’un

1. François GAZIER, « Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950 », É.D.C.É., 1951, p. 78 : l’annulation au motif que l’acte est entaché d’un vice de légalité externe « n’em- pêche pas l’administration de reprendre sous des formes extérieures régulières l’acte annulé ».

2. Jean KAHN, concl. sur C.É., 23 mars 1956, Dame veuve Ginestet, A.J.D.A., 1956, p. 167.

3. Ibid. : « Fondé sur une notion juridique simple […] (l’administration peut-elle refaire l’acte annulé sans violer l’autorité de la chose jugée par le Conseil d’État ?), ce criterium a le mérite de fournir immédiatement la réponse à la question posée par la présente espèce » (nous soulignons).

4. Bruno KORNPROBST, La notion de partie et le recours pour excès de pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1959, coll. « Bi- bliothèque de droit public », t. 21, p. 347 : « Définir la cause d’annulation par ses effets et les effets de l’annula- tion par sa cause apparaît donc comme une explication en forme de trompe-l’œil. »

5. Jean-Paul GILLI, La cause juridique de la demande en justice, Paris, L.G.D.J., 1962, coll. « Bibliothèque de droit public », t. 44 : « Elle [la justification apportée par Jean KAHN à la distinction des causes juridiques] est tautologique ».

6. André CALOGEROPOULOS, Le contrôle de la légalité externe des actes administratifs unilatéraux, Paris, L.G.D.J., coll. « Bibliothèque de droit public », t. 145, p. 3.

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acte administratif ne puisse être maintenu — qu’il s’agisse d’une erreur dans l’appréciation des faits, d’une erreur dans leur qualification ou encore d’une erreur de droit. Une telle illégalité n’est donc en principe pas régularisable. Une illégalité externe en revanche n’af- fecte que la manière dont l’acte est intervenu — ce qui signifie qu’en agissant autrement, il n’est pas exclu que l’administration parvienne au même résultat. ¹

Et le rapporteur public de préciser que les irrégularités relatives à la compétence de l’auteur, à la procédure suivie et à la forme de l’acte peuvent être régularisées. Dans leur chronique sur cette affaire, Louis DUTHEILLET DE LAMOTHE et Guillaume ODINET rallient la position de Vincent DAUMAS ².

161. — Avant sa reprise dans le cadre de l’affaire Commune d’Émerainville et autres, cette opinion avait trouvé une expression — cependant moins nette et moins générale — en droit des contrats administratifs. À propos de la régularisation des contrats prévue par les jurispru- dences Commune de Béziers ³ et Société Ophrys ⁴, Bertrand DACOSTA a expliqué que « cette illégalité [celle du contrat lui-même] peut affecter le contrat en raison de son objet, de sa cau- se, du contenu de certaines de ses stipulations ou encore, parce qu’il ne comporte pas des sti- pulations obligatoires. Par construction, certaines de ces illégalités le condamnent définitive- ment. » ⁵ Rémy SCHWARTZ a commenté cette position de la manière suivante : « la régularisa- tion ne [peut]concerner les vices majeurs, tels ceux affectant le contenu même du contrat. En

1. Vincent DAUMAS, concl. sur C.É., Sect., 1er juill. 2016, Commune d’Émerainville et a., R.F.D.A., 2017, p. 294.

2. Louis DUTHEILLET DE LAMOTHE, Guillaume ODINET, « La régularisation, nouvelle frontière de l’excès de pouvoir », A.J.D.A., 2016, p. 1862 : « nous ne pouvons que constater que la distinction entre légalité externe et légalité interne jouera un rôle déterminant — ne serait-ce que parce que la levée d’un vice de légalité interne implique souvent la modification du dispositif de l’acte. » Cf. également Henri BOUILLON, « La régularisation d’un acte administratif après annulation conditionnelle : une technique en gestation », A.J.D.A., 2018, p. 147 : « La première distinction qui s’impose pour séparer les illégalités régularisables de celles qui ne le sont pas est la distinction des illégalités internes — non régularisables — et des illégalités externes — régularisables. »

3. C.É., Ass., 28 déc. 2009, Commune de Béziers, req. nº 304802 ; préc. 4. C.É., 21 févr. 2011, Société Ophrys, req. nº 337349 ; préc.

5. Bertrand DACOSTA, concl. sur C.É., 8 juin 2011, Commune de Divonne-les-Bains, B.J.C.P., 2011, p. 382. Cf. également Nicolas BOULOUIS, concl. sur C.É., 4 juill. 2012, Communauté d’agglomération de Chartres Métro- pole, B.J.C.P., 2012, p. 429 : « Ne peuvent évidemment entrer dans son champ [celui de la régularisation] les vices tenant à l’objet du contrat. Pour le reste, disons la légalité externe du contrat, plusieurs de vos décisions ont déjà admis des régularisations. »

revanche, les vices “extérieurs” au contrat, [donnent] plus clairement prise à une régularisa- tion, tels les vices de forme ou de procédure affectant l’acte détachable. » ¹

La version générale de cette opinion, proposée par Vincent DAUMAS dans ses conclusions sur l’affaire Commune d’Émerainville et autres, nous paraît discutable.

2. Discussion de l’opinion

162. — Nous opposerons deux séries d’arguments à cette opinion. Elle se heurte, d’une part, à l’absence d’un principe général et dépourvu d’ambiguïté (a) et, d’autre part, à l’existen- ce de contre-exemples (b).

a. L’absence de support juridique satisfaisant

163. — Malgré les conclusions de Vincent DAUMAS, la Section du contentieux n’a pas pris nettement position sur le critère permettant de dire si un acte est régularisable. La décision

Commune d’Émerainville et autres est ainsi rédigée :

Lorsque, après avoir pris une décision attribuant une subvention à une association, l’administration constate que sa décision est entachée d’une irrégularité de forme ou de procédure, elle dispose de la faculté de régulariser le versement de cette subvention[.]

Cette phrase, suivi de la formule « compte-tenu de cette faculté… », ne nous paraît pas pou- voir être conçue comme l’encadrement d’un pouvoir dont dispose l’administration, mais plu- tôt comme le simple constat que ce pouvoir existe ². Il n’en résulte donc pas que l’administra- tion est seulement en mesure de régulariser les actes de subvention entachés de vices de légali- té externe. Le même raisonnement nous semble pouvoir être tenu s’agissant de la motivation de la décision Mme Mas, rendue le 11 décembre 2006, relative aux titres exécutoires : « l’annu- lation par une décision juridictionnelle d’un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n’implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d’une régularisation éventuel-

le par l’administration, que les sommes perçues par l’administration sur le fondement du titre 1. Rémy SCHWARTZ, comm. sur C.É., 8 juin 2011, Commune de Divonne-les-Bains, ibid., p. 385 et s. Cf. également Élise LANGELIER, Aurélie VIROT-LANDAIS, « Mérites et limites du recours à la régularisation », J.C.P. Adm., 2015, nº 30-34, 2245, p. 41 : « Jusqu’ici la régularisation en matière purement contractuelle ne vise que des irrégularités externes, non le negotium. »

2. Le fichage de cette décision indique notamment : « Faculté de régulariser une décision attribuant une sub- vention entachée d’une illégalité de forme ou de procédure – Existence », in Rec., p. 291 (nous soulignons).

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ainsi dépourvu de base légale soient immédiatement restituées à l’intéressé » ¹. En d’autres termes, il ne nous semble pas que la reconnaissance d’une faculté pour l’administration de régulariser le versement d’une subvention ou la récupération d’une somme d’argent sur la base d’un acte vicié en la forme implique nécessairement que le recours à la régularisation est exclu lorsque l’acte est entaché d’un vice de fond.

164. — S’agissant du contentieux contractuel, les formulations retenues par le Conseil d’État sont plus problématiques, comme nous l’avons précédemment vu concernant la gravité des vices ². La rédaction de la décision Société Tropic Travaux Signalisation de 2007 ³ est la plus vague : « après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise », le juge peut aussi bien prononcer sa résiliation, le modifier, conditionner son maintien à l’adop- tion d’une mesure de régularisation ou l’annuler. Cette formule n’exclut aucunement la régu- larisation des contrats entachés d’un vice de fond.

Dans la décision Commune de Béziers I, l’Assemblée du contentieux considère qu’il revient au juge « soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuelle- ment sous réserve de mesures de régularisation », « soit de prononcer […] la résiliation du contrat ou, en raison seulement d’une irrégularité […] tenant au caractère illicite du contenu du contrat […], son annulation ». Cette motivation nous semble pouvoir être comprise de deux manières.

Selon une première lecture, la régularisation du contrat dont le contenu est irrégulier ne serait pas possible, ce qui obligerait le juge à prononcer son annulation. En effet, cette catégo- rie d’illégalité n’est évoquée par l’Assemblée que dans la branche de l’alternative où il revient au juge — au sens où il lui est fait obligation — de l’annuler, et non dans celle où il lui revient de laisser les parties poursuivre son exécution.

Selon une seconde lecture, l’Assemblée prohiberait seulement au juge d’annuler un contrat pour un vice autre qu’entachant son contenu, ce qui n’impliquerait pas que le juge soit obligé de prononcer l’annulation d’un contrat dont le contenu est vicié. Autrement dit, il y aurait deux catégories de contrats dont le contenu est irrégulier : ceux qui peuvent être régularisés, dont le juge doit prononcer la poursuite de l’exécution, et ceux qui ne peuvent pas l’être, dont le juge doit prononcer l’annulation.

1. C.É., 11 déc. 2006, Mme Mas, req. nº 280696 ; préc. Nous soulignons. 2. Cf. supra, nº 133.

3. C.É., Ass., 16 juill. 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. nº 291545 ; Rec., p. 360 ; R.F.D.A., 2007, p. 696, concl. Didier CASAS ; A.J.D.A., 2007 p. 1577 et s., chron. Frédéric LENICA, Julien BOUCHER.

La première lecture est appuyée par les conclusions du rapporteur public Emmanuel GLA- SER : « le juge devra annuler le contrat […] dans deux hypothèses : en premier lieu, lorsque l’objet du contrat porte sur une matière où la personne publique ne peut pas contracter ou lorsque le contrat contient des stipulations contraires à l’ordre public » ¹ — la seconde hypo- thèse étant qu’un vice particulièrement grave affecte le consentement d’une des parties. Il faut cependant relever que dans la décision Commune de Béziers I, l’Assemblée du contentieux prévoit un régime identique pour les vices affectant le contenu du contrat et les vices d’une particulière gravité. Or on a vu précédemment que la particulière gravité de l’irrégularité iden- tifiée par le juge impliquait certes la résolution ou la résiliation du contrat, mais sans lui em- pêcher de différer les effets de sa décision et d’enjoindre aux parties d’adopter une mesure de régularisation ². On ne peut donc pas exclure, à la seule lecture des motifs de cette décision, que les contrats dont le contenu est irrégulier puissent être régularisés.

Enfin, malgré une rédaction différente, la motivation de la décision Département de Tarn-

et-Garonne revêt la même ambiguïté : bien que l’Assemblée du contentieux affirme « qu’en

présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il [revient au juge] de prononcer […] soit la résiliation du contrat, soit si le contrat a un contenu illicite […], l’annulation tota- le ou partielle de celui-ci », il n’est toujours pas explicitement dit qu’un contrat dont le conte-

nu est vicié ne peut pas être régularisé ³.

165. — Surtout, en admettant même que la rédaction de ces différentes décisions ait été claire pour exclure la régularisation des contrats viciés au fond, que faudrait-il en conclure ? Aucun principe absolu, nous semble-t-il. En effet, il n’existe pas de texte législatif ou régle- mentaire ni de jurisprudence qui exclut, de manière générale, la régularisation des actes dont le contenu est vicié. La règle selon laquelle le juge ne peut pas ordonner la régularisation d’un contrat dont le contenu est illicite — à la supposer établie, rappelons-le — n’implique pas que la régularisation d’une norme administrative — qu’elle soit unilatérale ou contractuelle — entachée d’un vice interne n’est jamais possible. Il existe indéniablement une nuance entre le contrat dont le contenu est complètement illicite et celui dont le contenu ne l’est que partielle-

ment : l’impossibilité de régulariser le premier n’implique pas l’impossibilité de régulariser le

second. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous montrerons que l’exclusion du recours à

1. Emmanuel GLASER, concl. sur C.É., 28 déc. 2009, Commune de Béziers, R.F.D.A., 2010, p. 515. 2. Cf. supra, nos 135 et s.

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la régularisation ne dépend pas vraiment de la nature du vice mais de la possibilité de purger l’objet de son vice tout en n’altérant pas ses caractéristiques essentielles ¹. Une telle inférence est d’autant plus contestable qu’il existe des contre-exemples qui remettent en cause l’existence d’un tel principe, y compris en matière contractuelle.

b. L’existence de contre-exemples

166. — Il faut d’abord s’intéresser au fondement du principe proposé par Vincent DAU- MAS. Comme nous l’avons vu, son raisonnement repose notamment sur les conclusions de Jean KAHN sur l’affaire Dame veuve Ginestet ². Or cette démonstration a été à juste titre criti- quée par Bruno KORNPROBST et André CALOGEROPOULOS ³. En effet, après l’annulation d’un acte, que ce soit pour un vice de légalité externe ou de légalité interne, il n’est pas fait une interdiction générale à l’administration d’édicter un acte identique. Il s’agit là d’une applica- tion de la règle selon laquelle l’autorité absolue de la chose jugée des décisions d’annulation s’étend aux motifs qui en sont « le support nécessaire » ⁴. L’autorité absolue de la chose jugée n’est méconnue que lorsque l’administration réitère la même irrégularité. Or rien n’empêche par exemple à l’autorité administrative de prendre une décision équivalente à celle supprimée par le juge en se fondant, cette fois, sur un motif valable : le constat de l’existence d’un vice de légalité interne ne rend donc pas impossible la reprise de la règle annulée ⁵. La distinction des vices entre ceux de légalité externe et ceux de légalité interne n’a donc pas de conséquence directe sur la possibilité ou non de refaire l’acte annulé. Jean KAHN avertissait d’ailleurs la juridiction du caractère très relatif du critère qu’il proposait — en parlant « en général », « dans l’ensemble » et « sauf exception », sans prétendre « proposer un critérium de valeur

1. Cf. infra, p. 222 et s. et, s’agissant spécialement des contrats publics, p. 229 et s. 2. Cf. supra nº 159.

3. Cf. également Mathilde SAUSSEREAU, Les classifications des cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir, op.

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