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A — Constat doctrinal et constat authentique de l’irrégularité

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 70-73)

82. — La qualification d’objet irrégulier par un juge ou par un agent administratif produit des effets juridiques ⁵. Nous avons déjà évoqué la conséquence d’une telle qualification par le juge de l’excès de pouvoir, qui lui permet d’annuler l’acte administratif contesté, ou par un organe administratif, qui l’habilite à abroger un acte règlementaire ⁶. Dans ces cas, la qualifi- cation d’objet irrégulier ouvre une compétence à l’organe qui y procède. Cette qualification peut aussi être à l’origine d’une interdiction : dans sa décision Sieur Ponard, le Conseil d’État indique qu’« il incombe à l’autorité administrative de ne pas appliquer un texte réglementaire

1. Cela a été évoqué plus haut à propos de l’interprétation : cf. supra nº 10. Nous empruntons la formule « acteur juridique » à Charles VAUTROT-SCHWARZ.

2. C’est notamment ainsi que procède Charles VAUTROT-SCHWARZ, op. cit., p. 219. 3. Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 340.

4. Ibid., p. 341. KELSEN parle d’interprétation scientifique et non d’interprétation doctrinale. Nous préférons cependant la seconde expression. Cf. aussi les développements consacrés à cette question par Marc PELLETIER in Les normes du droit fiscal, op. cit., p. 501 et s. En particulier : « seul le jugement de conformité ou de non conformité émanant d’un organe compétent pour détruire la norme d’imposition revêt un intérêt juridique. »

5. Cf. notamment Jean DE SOTO, Contribution à la théorie des nullités des actes administratifs unilatéraux, op. cit., p. 236 : « Il faut reconnaître que la proclamation juridictionnelle de la nullité de l’acte produit des effets importants et qu’elle est nécessaire. »

illégal, même s’il est définitif » ¹. La qualification d’acte irrégulier par le juge administratif a ainsi pour conséquence d’interdire à l’administration d’appliquer une norme dont le support est pourtant toujours existant. Il s’agit ici d’une règle générale — posée par la jurisprudence

Sieur Ponard — qui fait produire un effet automatique à toute qualification d’acte irrégulier

par le juge administratif.

Cela ne signifie pas que les particuliers ne sont jamais en mesure de constater efficacement une illégalité et qu’à l’inverse, seules les autorités publiques, parce qu’elles disposent d’un pou- voir d’action unilatérale, le sont. En effet, un particulier peut constater l’irrégularité d’un contrat qu’il a signé et, si son cocontractant est d’accord, ils peuvent mettre un terme à leur relation. Ainsi existe-t-il une « constatation conventionnelle de la nullité » du contrat : « lors- que les parties sont d’accord pour reconnaître l’existence de la nullité et faire disparaître les effets de l’acte attaqué, il n’est plus nécessaire de recourir au juge » ². Le constat de l’illégalité est alors efficace parce que son auteur dispose d’une compétence juridique — en l’occurrence celle d’élaborer des normes conventionnelles.

83. — En revanche, lorsque le professeur de droit considère que telle loi est contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que tel décret est contraire au principe d’égalité, lorsque l’avocat défend que tel permis de construire est contraire au plan local d’urbanisme, lorsque le rapporteur public propose au tribunal administratif de déclarer que telle sanction disciplinaire a été prononcée au terme d’une procédure irrégulière… il est évident qu’il ne se produit aucune conséquence dans l’ordre juridique. La qualification doctri- nale d’objet irrégulier n’est que l’expression d’un point de vue. Pour illustrer cette idée, nous prendrons l’exemple des interprétations neutralisantes.

Nous avons vu que l’opération d’interprétation offre une faculté de choix à l’organe qui réalise un contrôle de conformité : celui-ci peut retenir un sens qui le conduira à déclarer l’ob- jet du contrôle soit régulier, soit irrégulier ³. La technique des interprétations neutralisantes consiste, pour le juge, à retenir comme significations — c’est-à-dire comme normes — celles qui permettent d’établir que l’objet contrôlé n’est entaché d’aucun vice. En d’autres termes, si l’acte contrôlé peut avoir une signification qui est conforme à celle de l’acte de référence du contrôle, celle-ci sera retenue plutôt qu’une autre.

1. C.É., 14 nov. 1958, Sieur Ponard ; Rec., p. 554.

2. Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. La formation du contrat. Tome II : L’objet et la cause – Les nulli- tés, op. cit., p. 1000, no 2291.

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Mais en réalité, en employant l’expression « interprétation neutralisante », les auteurs insis- tent sur le fait que la norme identifiée par l’organe de contrôle s’écarte d’une sorte de « sens naturel » du texte qu’il a interprété. En effet, si cette interprétation était fidèle à celle que ces auteurs jugent acceptable, elle n’aurait rien de particulièrement neutralisant ; elle serait une simple interprétation, c’est-à-dire le choix d’une signification particulière pour un énoncé donné. Lorsqu’un auteur parle d’interprétation neutralisante, il met précisément en valeur le fait que la qualification doctrinale n’a pas de conséquence juridique. En effet, alors que cet auteur considère qu’un acte est illégal, le juge, dans le but de consolider l’acte qui lui est défé- ré, considère qu’il est exempt de vice.

Nous ne souscrivons donc pas à l’idée, développée par une partie de la doctrine, selon la- quelle l’interprétation neutralisante serait un mécanisme de « correction » de l’action adminis- trative ¹. La distinction que nous faisons entre constat doctrinal et constat authentique de l’irrégularité doit effectivement conduire à exclure cette technique du champ de la régularisa- tion au sens retenu dans cette étude. L’interprétation neutralisante n’a pas pour objet de corri- ger l’action de l’administration puisque celle-ci n’est pas irrégulière, ou, plus précisément, puisque cette irrégularité n’a pas été constatée par une autorité juridiquement compétente.

84. — Il résulte de notre approche du constat de l’irrégularité une restriction du champ de la régularisation aux seules hypothèses dans lesquelles ce constat est opéré par un organe in- vesti d’une compétence juridique. Cette restriction peut évidemment être critiquée, notam- ment parce qu’elle pourrait parfois conduire à nier l’évidence. En effet, il peut arriver que l’illégalité de l’action administrative soit manifeste pour un grand nombre d’observateurs avi- sés mais que, pour un motif d’opportunité dissimulé, le juge refuse de la constater. Nous pen- sons toutefois qu’il est nécessaire de restreindre le constat de l’illégalité au seul constat juridi-

que de l’irrégularité, sous peine de diluer à l’extrême notre objet d’étude et d’empêcher un

examen rigoureux.

Néanmoins, si le constat authentique de l’irrégularité produit des effets en droit, nous ne pensons pas pour autant qu’il soit de nature prescriptive. En d’autres termes, s’il a des consé- quences en droit, celle de créer une norme juridique n’en fait pas partie.

1. Cf. notamment Brunessen BERTRAND, « L’interprétation des actes administratifs unilatéraux », D.A., déc. 2010, nº 12, étude nº 23, p. 11. L’auteur estime que l’interprétation neutralisante « consiste à interpréter un acte de manière à en corriger l’illégalité. »

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 70-73)