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B — La mise en œuvre des critères de la gravité

Dans le document La régularisation en droit administratif (Page 119-123)

150. — Les différents critères de la « particulière gravité » peuvent être combinés, comme l’illustrent la motivation de la décision Société Lyonnaise des eaux France rendue par le Conseil d’État le 10 décembre 2012 ⁴, et les conclusions prononcées par Gilles PELLISSIER. En l’espè- ce, étaient contestées deux délibérations par lesquelles le conseil d’un syndicat intercommunal avait autorisé son président à signer une convention de délégation d’un service de distribution d’eau potable et d’assainissement. Pour demander l’annulation de ces délibérations, ainsi qu’à ce qu’il soit enjoint au syndicat de résoudre les contrats, la Société lyonnaise des eaux faisait principalement valoir que l’absence d’information des candidats sur les critères d’attribution des délégations était irrégulière.

4. Cf. supra, nº 21

1. C.É., Ass., 23 déc. 2011, M. Danthony et a., req. nº 335033 ; Rec., p. 649 ; R.F.D.A., 2012, p. 284, concl. Gaelle DUMORTIER ; A.J.D.A., 2012, p. 195, chron. Xavier DOMINO, Aurélie BRETONNEAU ; ibid., p. 1484, étude Camille MIALOT ; ibid., p. 296, note Paul CASSIA.

2. Cf. infra, p. 123 et s.

3. C.A.A. Nantes, 9 nov. 2018, Conseil régional de l’ordre des architectes des Pays-de-la-Loire, req. nos 17NT01596, 17NT01602 et 17NT01606 (trois décisions) ; A.J.D.A., 2019, p. 582, concl. François-Xavier BRÉCHOT.

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Pour déterminer si les conventions contestées devaient être résolues ou résiliées, le Conseil d’État propose un raisonnement très nuancé. Il commence par affirmer que le défaut d’infor- mation des candidats sur les critères d’attribution des délégations « a affecté gravement la ré- gularité de la mise en concurrence et la légalité du choix du délégataire ». Ceci aurait pu le conduire, selon toute vraisemblance, à prononcer la résolution des conventions. Le Conseil d’État ne retient pourtant pas cette option, en se fondant sur le fait que bien qu’elle soit grave, l’irrégularité constatée ne l’est pas excessivement. Il apporte trois justifications : d’une part, le vice n’affectait pas le consentement de la personne publique ; d’autre part, le bien fondé de la délégation des services publics n’était pas en cause ; enfin, aucune circonstance ne révélait « une volonté de la personne publique de favoriser un candidat ». La première justification peut être rattachée au critère de l’importance de la règle violée ¹, la deuxième au critère de la substantialité du vice ², la troisième au critère de l’intention de commettre l’illégalité ³.

Dans ses conclusions sur l’affaire, Gilles PELLISSIER a proposé deux raisons supplémentaires de nature à atténuer la gravité du vice. D’une part, il était en effet difficile — si ce n’est im- possible — pour l’administration de ne pas commettre l’illégalité puisque l’obligation d’infor- mation des candidats sur les critères de sélection des offres a été précisée par le Conseil d’État dans les motifs d’une décision rendue postérieurement ⁴ au déroulement de la procédure d’at- tribution dans l’affaire Société Lyonnaise des eaux France ⁵. D’autre part, le rapporteur public atténue l’importance des règles de publicité et de mise en concurrence en évoquant une déci- sion ⁶ dans laquelle le Conseil d’État a « eu l’occasion de préciser […] qu’en principe la mé- connaissance des règles de publicité et de mise en concurrence n’est pas d’une gravité telle qu’elle justifie le constat de la nullité du contrat ou l’inapplication de ses stipulations » ⁷.

1. Cf. supra, nº 147. 2. Cf. supra, nº 148. 3. Cf. supra, nº 144.

4. C.É., 23 déc. 2009, Établissement public du musée et du domaine de Versailles, req. nº 328827 ; Rec., 2009, p. 502 ; B.J.C.P., 2010, p. 103, concl. Bertrand DACOSTA.

5. Gilles PELLISSIER, concl. sur C.É., 10 déc. 2012, Société Lyonnaise des eaux France, R.J.E.P., 2013, nº 710, comm. 29, p. 26 : « En l’espèce, l’absence d’information des candidats sur les critères de sélection est une irrégu- larité grave, dans la mesure où cette information garantit la transparence de la procédure et l’égalité entre les candidats. Mais elle n’est pas d’une exceptionnelle gravité et les circonstances dans lesquelles elle a été commise la rendent excusable, puisque les procédures concernées se sont déroulées avant l’intervention de votre décision Établissement public du musée et du domaine de Versailles par laquelle vous avez posé cette obligation d’informa- tion. Cette illégalité n’est pas de nature à entraîner la résolution du contrat mais seulement, éventuellement, sa résiliation. »

6. C.É., 12 janv. 2011, Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, req. nº 332136. 7. Gilles PELLISSIER, op. cit., R.J.E.P., 2013, nº 710, comm. 29, p. 26.

En définitive, le Conseil d’État estime qu’en raison de la gravité du vice et en l’absence de régularisation possible, il doit être ordonné aux parties de résilier la délégation — et non de la résoudre, cette sanction étant réservée aux irrégularités les plus graves. Ce raisonnement a été repris par le Conseil d’État dans la décision Commune de Marsannay-la-Côte de 2013 ¹. Cette jurisprudence appelle deux remarques.

151. — D’une part, cette jurisprudence montre que la détermination de la gravité d’un vice est loin d’être une opération évidente. Elle implique la mise en œuvre d’un faisceau en- chevêtré de critères et dépend en très grande partie des caractéristiques de chaque affaire. Cet- te opération n’est ni claire, ni correctement définie.

152. — D’une part, et surtout, cette jurisprudence implique assez trivialement qu’il existe des degrés de gravité mais que ceux-ci ne conditionnent aucunement le recours à la régularisa- tion.

Un vice grave peut impliquer que les parties doivent résilier leur convention, mais ne pas être suffisamment grave pour justifier qu’il soit procédé à sa résolution. Ainsi, aux différentes nuances de la gravité correspondent différentes sanctions, ce que le Conseil d’État n’avait pas précisément indiqué dans la motivation des décisions Commune de Béziers, Société Ophrys ou

Département de Tarn-et-Garonne. Ce dernier point est important car il est de nature à confir-

mer que la gravité n’est pas employée comme un critère permettant de dire si un objet est ou non régularisable. En effet, la possibilité ou non d’avoir recours à la régularisation ne corres- pond pas, dans la jurisprudence, aux degrés de gravité du vice en cause. On peut ainsi relever que dans les décisions Société Lyonnaise des eaux France et Commune de Marsannay-la-Côte, le juge estime que, malgré la faible gravité du vice, le contrat ne peut pas être régularisé ². À

1. C.É., 6 nov. 2013, Commune de Marsannay-la-Côte, req. nº 365079 ; Rec., p. 261 ; R.J.E.P., 2014, nº 717, comm. 14, p. 33 et s., concl. Bertrand DACOSTA : « Considérant que le vice entachant la délibération annulée par la cour administrative d’appel de Lyon, tiré de l’absence de publicité et de mise en concurrence pour la désignation du concessionnaire, a affecté gravement la légalité du choix de ce concessionnaire ; que, toutefois, cette illégalité, qui n’affecte ni le consentement de la personne publique ni le contenu même de la convention, ne justifie pas, en l’absence de circonstances particulières, que soit recherchée une résolution de cette convention ; que ce vice implique cependant, par sa gravité et en l’absence de régularisation possible, que soit ordonnée aux parties contractantes […] de résilier cette convention dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ».

2. Cf. supra, nº 150. Dans ces deux décisions figure la formule « en l’absence de régularisation possible ». Dans ses conclusions sur l’affaire Société Lyonnaise des eaux France, Gilles PELLISSIER considère qu’un vice affec- tant « un élément constitutif du contrat », notamment la procédure de passation, « n’est pas régularisable et entraîne en principe la cessation de l’exécution du contrat » (R.J.E.P., 2013, nº 710, comm. 29, p. 24).

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l’inverse, comme le montrent les décisions Ministre de l’Intérieur de 2011 et Syndicat mixte

Flandre Morinie de 2013, le juge permet parfois à l’administration de régulariser un contrat

affecté d’un vice d’une particulière gravité ¹.

Ce qui différencie ces décisions, outre le fait que la régularisation est envisagée dans les unes — Ministre de l’Intérieur et Syndicat mixte Flandre Morinie — et non dans les autres — Société Lyonnaise des eaux France et Commune de Marsannay-la-Côte —, c’est que le Conseil d’État enjoint à l’administration de résilier les contrats dans les premières et de les résoudre dans les secondes. En somme, dans les décisions Société Lyonnaise des eaux France et Commune

de Marsannay-la-Côte, des irrégularités peu graves conduisent le juge à enjoindre à l’adminis-

tration de résilier la convention, alors que dans les décisions Ministre de l’Intérieur et Syndicat

mixte Flandre Morinie, des vices particulièrement graves l’amènent à prononcer — ou à faire

prononcer par l’administration — la fin rétroactive du contrat, sous réserve de l’adoption d’une mesure de régularisation. En définitive, la gravité de l’irrégularité conditionne non pas la possibilité d’avoir recours à la régularisation, mais le caractère rétroactif ou non de la fin du contrat si une mesure de régularisation n’est pas prise.

153. — Le critère de la gravité ne joue donc qu’un rôle marginal dans la détermination du caractère « régularisable » d’un acte, d’une norme ou d’une situation. L’examen de la jurispru- dence montre que la particulière gravité du vice est parfois prise en compte en matière contractuelle, pas davantage. D’ailleurs, dans ce domaine, la gravité du vice ne conditionne généralement pas la possibilité de régulariser mais les conséquences de l’absence de régularisa- tion, c’est-à-dire soit la résiliation du contrat si le vice est peu grave, soit la résolution du contrat si le vice est d’une particulière gravité. En revanche, la gravité du vice n’est en aucun cas un critère général permettant de dire s’il est possible d’y remédier. Nous verrons que la nature du vice ne conditionne pas non plus le recours à la régularisation.

1. Cf. supra nº 136. Il est à noter que dans la décision précitée M. Rouveyre c. commune de Bordeaux rendue en 2016, dans laquelle le Conseil d’État met en œuvre un raisonnement très similaire, il est enjoint à la commune de Bordeaux, non pas de résoudre, mais de résilier le contrat de partenariat sous réserve de l’adoption d’une mesure de régularisation. En l’occurrence, comme cela ressort des conclusions du rapporteur public, d’une part, le requérant ne demandait pas au juge d’enjoindre à la commune de résoudre la convention, mais simplement de la résilier ; d’autre part, la résiliation constituait une « mesure suffisante », le vice ne concernant pas l’existen- ce même du contrat (cf. Olivier HENRARD, concl. sur C.É., 11 mai 2016, M. Rouveyre c. commune de Bordeaux, B.J.C.P., 2016, p. 258).

Section II. — L’indifférence de la nature du vice dans la détermination de son

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