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Plan d’étude

CHAPITRE 1 1 Présentation de la recherche

1.3 Problématique de la recherche

1.3.1 Premier axe : de l’histoire à l’intervention didactique

Le premier axe majeur de réflexion découle du constat répété de la fréquente inadéquation de l’intervention externe et des décisions, du suivi et des aménagements internes. En effet, malgré l’aide exogène (ONU, BM, UE, ONG, services de coopération de différentes nations, etc.), de nombreuses actions visant l’amélioration qualitative du système éducatif n’aboutissent pas, sont freinées ou inadaptées (Calvet et Juillard, 1996 ; Diarra, 1995 ; Maurer, 2007). Bien qu’il existe un effort visible de prise en compte de certaines spécificités contextuelles comme le manque de formateurs ou de supports didactiques, la faiblesse du système de formation initiale et continue ou encore l’absence de système d’évaluation nationale ou de données statistiques fiables14, les investissements engagés par les différents acteurs du terrain éducatif portent très insuffisamment leurs fruits. Comme nous le verrons par la suite, des progrès notables peuvent être relevés en comparaison avec la situation du système éducatif au moment de l’indépendance en 1975 (Santos M., 1970 ; Kavungo Mayimona, 2009 ; Neto T. S., 2010 ; Cardoso Monteiro Silva, 2012), notamment le net accroissement du nombre d’enfants scolarisés depuis l’indépendance (INE, 2013). Toutefois, nos visites d’écoles et d’instituts de formation, nos observations de classe ainsi que notre expérience de formatrice de formateurs et d’enseignants, ont permis de relever que les situations de classe, celles qui constituent le fondement et la base de la pyramide éducative, demeurent particulièrement problématiques.

Outre les mauvaises conditions générales qui constituent un défi pour de nombreux contextes nationaux d’Afrique subsaharienne, c’est bien la question d’un « agir professoral » (Cicurel, 2011 ; 2013) défaillant qui demeure centrale. Cicurel définit ainsi cet « agir professoral » :

plus chère du monde » en raison des prix extrêmement élevés des loyers et des produits de consommation.

Les prix des loyers sont la conséquence de la bulle immobilière générée par l’accroissement de l’activité économique depuis 2002 (fin de la guerre) et de la pénurie de logements répondant à des standards de confort minimaux. Les taxes d’importation très élevées et la faible production de denrées sur le territoire national expliquent les prix parfois démesurés des produits de consommation courante. Par voie de conséquence, les salaires des expatriés sont également supérieurs à la majorité de ceux pratiqués dans d’autres pays, ce qui représente une motivation supplémentaire pour l’émigration. Rappelons que bien que Luanda exige des revenus conséquents pour subvenir correctement aux besoins vitaux, la majorité de sa population vit néanmoins avec moins de 2 dollars par jour dans les musseques, les bidonvilles, qui entourent le centre historique.

14 Ces exemples sont tirés de différents projets pour lesquels nous avons travaillé (gouvernement français) ou dont nous avons pris connaissance lors de notre séjour en Angola (gouvernement portugais, CPLP et Unicef).

Il est constitué par l’ensemble des actions verbales et non verbales, préconçues ou non, que met en place un professeur pour transmettre et communiquer des savoirs ou un «pouvoir-savoir» à un public donné dans un contexte donné ainsi que par les intentions qui accompagnent l’action. Ces actions ont la particularité de vouloir provoquer des actions de la part d’un groupe d’individus en vue de la transformation et de l’amélioration de savoirs et parfois de comportements (Cicurel, 2013 : 33).

Même si des écoles sont construites, les classes sont mieux équipées ou qu’enfin des livres sont accessibles aux apprenants, demeure le besoin d’enseignants bien formés, en mesure de se saisir des difficultés contextuelles et d’adapter leurs pratiques de classe.

Dans une vision occidentale – donc avec le risque de l’épicentrisme / ethnocentrisme scientifique (cf. Infra. : 100 et sq.) – une plus grande autonomie des enseignants paraîtrait nécessaire. Dans le cas des enseignants de FLE, nous avons constaté les limites (en termes d’effet sur les pratiques) de l’effort d’aide à la formation initiale et continue financée par le Gouvernement français depuis plus de deux décennies. En nous appuyant sur notre expérience de formatrice en Angola et sur les observations de classe, nous considérons que, bien que certains enseignants aient été formés de manière régulière et répétée à travers un programme de bourses pour des stages ponctuels, des formations dédiées ou des doctorats en France, la quasi totalité des situations de classe montre que la prescription méthodologique descendante ne fonctionne pas.

En nous heurtant à la difficulté d’obtenir des informations sur l’histoire du système éducatif et des pratiques pédagogiques en Angola, nous avons ressenti les limites pour pouvoir engager la réflexion : comment en effet réussir à prendre en compte la culture éducative des acteurs de la classe de langue (et en langue pour ce qui est des disciplines enseignées en portugais) dans la formation des enseignants quand les éléments d’analyse, même ceux fournis potentiellement par les enseignants15 eux-mêmes, ne sont pas disponibles ?

Pour aborder la culture dans le cadre de l’enseignement des langues étrangères, il faut pouvoir décrire les contextes d’enseignement, savoir en dégager les traits constitutifs, mieux connaître l’évolution des pratiques pédagogiques à travers les époques, les relier à une culture nationale, étudier la rencontre avec d’autres usages culturels et pédagogiques (Cicurel, 2011 : 192).

Ces propos permettent de préciser ce qui fait défaut pour prétendre à une intervention didactique soucieuse du contexte d’application (Kramsch, 1993 ; Blanchet et al., 2008 ; Castelloti et Moore, 2008 ; Beacco, 2011). Ce besoin n’est d’ailleurs pas seulement ressenti pour le français langue étrangère. Il est valable pour la totalité du

15 Ici s’ouvrent de nombreuses perspectives de recherche de terrain de type micro ou macro, quelle que soit la discipline scolaire de référence.

système éducatif et l’ensemble des disciplines scolaires, aucune étude traitant de cette question dans une perspective historique n’ayant été réalisée à ce jour à notre connaissance.

Par conséquent, notre première hypothèse est que l’approche historique peut contribuer à mettre au jour les grandes caractéristiques du système éducatif et de la culture éducative actuels. Fondée sur l’idée que l’histoire participe à mettre en lumière les creux, les ruptures et les traits saillants du contexte d’étude (Durkheim, 1968 [1922];

Chakrabarty 2000 ; Spaëth, 2014), une telle hypothèse induit que le souci d’historicisation (Bourdieu, 1998 ; Hartog, 2003) est ce qui fait défaut à l’intervention didactique en Angola jusqu’à aujourd’hui. Historiciser la question linguistique et l’évolution de l’enseignement des langues en Angola implique dès lors d’élaborer un cadre historique pour contextualiser les textes, les propos et les faits relatifs à ces deux aspects. Un tel cadre, fondé sur une synthèse critique des études pluridisciplinaires existantes dans nos trois langues de travail (le français, l’anglais et le portugais) tout autant que sur une analyse de corpus des textes officiels relatifs aux langues et à l’éducation (Benveniste, 1966, 1974 ; Dufour, 2010 ; Auger, 2011 ; Auger et Verdelhan-Bourgade, 2011 ; Jones, Scollon R. et Scollon S. W., 2012), est un outil pour contribuer à dégager de nouveaux éléments de compréhension du contexte contemporain et de la (les) culture(s) éducative(s) dominante(s).

Notre deuxième hypothèse est que l’articulation des données historiques et de l’analyse d’un corpus constitué de supports produits à des moments clé de l’histoire angolaise peut également permettre de dégager des traces ou encore des éléments de compréhension de l’évolution des pratiques enseignantes (Salon, 1981 ; Bancel et Blanchard, 2006 ; Hatzky, 2012).

Un de nos objectifs de recherche est donc de pouvoir proposer des moyens d’améliorer l’enseignement / apprentissage des langues en Angola. Pour ce faire, il convient de dresser un cadre historique qui ne soit pas simplement un élément d’introduction au contexte d’étude mais bien une base solide pour appréhender les problématiques sociales contemporaines en relation avec l’usage des langues dans l’éducation publique en Angola. Le but est également de proposer de nouvelles pistes de réflexion concernant l’agir professoral contemporain pour dégager des recommandations

pour l’ingénierie de formation des enseignants de langues. Enfin, un cadre historique centré sur la question linguistique n’étant à ce jour pas disponible, celui dressé dans cette thèse constitue une contribution significative pour d’autres chercheurs.

1.3.2 Deuxième axe : langues, scolarisation et politiques