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4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.2.4 L’œuvre missionnaire et le développement de l’éducation

4.2.4.3 Développement de l’éducation missionnaire

Dans un article qu’Estermann consacre à des réflexions sur l’éducation et l’instruction des peuples bantous du Sud de l’Angola (1983 [1960-1961], Vol.2 : 397-405),

il met en avant l’importance de l’oralité dans la transmission traditionnelle en donnant pour exemple des contes, chansons, proverbes et devinettes. En guise d’introduction il précise : [por] [l]es peuples primitifs n’ont pas d’établissements d’enseignement, mais ce n’est pas pour autant que l’on peut affirmer qu’ils laissent au hasard l’instruction et l’éducation145. Ainsi, dans un ouvrage consacré à l’histoire de l’éducation et de la culture en Angola, Neto T. S. (2010 : 73-114) détaille les procédés culturels de chaque groupe ethnolinguistique. Elle s’intéresse en particulier aux modalités de la transmission orale et de la vision du temps, aux rites d’initiation des jeunes et à la question de la résistance culturelle associée aux religions locales146.

De manière générale, peu de données fiables sont disponibles concernant l’éducation dans les différentes ethnies avant et durant l’époque coloniale. De nouveau, les écrits des missionnaires fournissent les rares renseignements à ce propos mais leur objectif est avant tout de décrire l’action missionnaire et le fonctionnement de l’éducation dispensée auprès des Angolais colonisés et à évangéliser.

En 1912, le Révérend Rooney publie dans le Journal of Race Development147 un rapport sur les missions catholiques en Angola. Ce texte s’apparente en majeure partie à un récit de voyage ethnographique teinté de remarques raciales. Quelques pages décrivent

145 Os povos primitivos não tem estabelecimentos de ensino, mas nem por isso pode afirmar-se que a instrução e a educação sejam entre eles deixadas ao acaso (Estermann, 1983 [1960-1961], vol 1 : 397).

146 Elle évoque également des exemples de mouvements de révolte locaux face aux missions d’évangélisation et donne pour exemple emblématique la vie de Kimpa Vita qui devint à la fin du 17e siècle une dirigeante religieuse et politique combattant pour la restauration du royaume du Kongo et de sa religion et l’arrêt de la traite négrière.

147 Première revue américaine consacrée aux affaires étrangères.

méthodiquement le fonctionnement des missions avec des indications concernant

Il explique que le prêtre missionnaire enseigne les « classes littéraires supérieures » et, quand il le peut, il étudie « [eng] certaines langues bantoues, le folklore, les légendes, les coutumes, les superstitions et la musique des tribus environnantes »151. Les frères lais

« [eng] sont chargés de l’instruction élémentaire, des intérêts matériels et de l’enseignement du commerce et de l’artisanat »152. À chaque mission est attaché un couvent où « [eng] les nonnes éduquent les jeunes filles de couleur habituellement destinées à être professeure et catéchiste de leurs pairs »153 (Rooney, 1912 : 292-293). La question du genre est déjà présente, le taux de scolarisation des filles étant moitié moins élevé que celui des garçons. En comparaison avec d’autres régions du monde à la même époque, dont les métropoles, cette fréquentation scolaire des filles, bien que positive, pose en creux la question de l’utilitarisme de ce choix des missionnaires. Ce qui peut par exemple aujourd’hui apparaître comme sexiste dans les « leçons de choses » (Spaëth,

148 Il exclut le district de San Salvador du Congo (actuelle Mbanza Kongo, province de Zaïre, au Nord-Ouest de l’Angola).

149 Chargés des travaux manuels et des affaires séculières. Rooney en donne la définition suivante : [eng] ce n’est pas un clair ; il n’a pas reçu les ordres, mais il est un religieux, c’est-à-dire qu’il a fait les trois vœux comme adjudant dans le travail missionnaire (1912 : 293). He is not a cleric; he has not received the orders, but he is a religious, that is, he has made the three vows as adjutant in missionary work.

150 Les catéchistes étaient des natifs convertis, connaissant le catéchisme et chargés de le transmettre auprès des leurs.

151 Some of the Bantu languages [...], of folk-lore, legends, customs, superstitions and music of the surrounding tribes.

152 Charged with the elementary instruction, material interests and teaching of trade and handicrafts.

153 Nuns educate young colored girls destined to be teachers and catechists of their own people.

1996) spécialement destinées aux filles souligne qu’il existe une vision précise de ce qui est attendu des colonisés, femmes comprises.

Rooney souligne également l’importance des catéchistes dans la diffusion du christianisme. [eng] Les catéchistes hommes et femmes pris parmi les plus intelligents et les meilleurs élèves sont indispensables pour le succès du travail missionnaire154. La barrière de la langue oblige la majorité des prêtres missionnaires à s’appuyer sur ce personnel local : [eng] les premières notions élémentaires de religion et les prières usuelles sont enseignées aux enfants dans leur propre langue155 (Roney, Ibid. : 295). La vision utilitariste de la langue transparaît à ce niveau aussi.

L’important étant de diffuser les bases de la pensée chrétienne au plus grand nombre, on délègue aux catéchistes la tâche de transmission. Dès lors, la langue d’entrée dans les savoirs est la langue maternelle de l’élève. Se pose alors la question de l’alphabétisation dans des langues dont le corpus écrit est extrêmement limité et se limite au domaine religieux. Le critère de « l’intelligence » est la principale porte d’entrée vers une véritable alphabétisation dans la mesure où seuls les meilleurs élèves peuvent espérer accéder à des enseignements de niveau supérieur. Par ailleurs, compte tenu de l’absence de déploiement d’un système éducatif colonial hors des rares écoles dans les centres urbains, l’alphabétisation des enfants angolais est à cette époque plus que limitée.

Corrélativement, la langue portugaise, une des clés d’accès à un statut supérieur (d’ « assimilé »), n’est que très faiblement enseignée comme le soulignent les chiffres annoncés par Rooney. La « lusophonisation restreinte » des sujets colonisés assoit par conséquent l’hégémonie coloniale. L’éducation des indigènes se fait exclusivement à des fins utilitaires et, stratégiquement, demeure exceptionnelle dans la mesure où l’éducation et la maîtrise de la langue portugaise sont perçues comme un moyen d’émancipation possible et une des clés sociales à l’accession à un statut juridique supérieur, celui de civilisé.

La sociologue Messiant, spécialiste de l’Angola postcolonial, parle d’une

« portugalisation » (2008 : 29) des populations autochtones ne relevant pratiquement que des seules missions, ce qui est d’ailleurs reconnu par les représentants de l’État portugais à la veille des premiers mouvements nationalistes. Ainsi, en 1957, un ancien directeur des services d’instruction en Angola déclare que de l’époque de la découverte à celle du Marquis de

154 The catechists male and female taken from among the most intelligent and best of the pupils are indispensable for the success of missionary work.

155 The first elementary notions of religion and the usual prayers are taught to the children in their own language.

Pombal156, […] tout le travail de défrichage des populations nègres, a reposé, uniquement, sur les missions religieuses157 (Vitória, 1957 : 10). Il fait également l’éloge du travail « herculéen » des pères missionnaires mais regrette que cette évangélisation se soit cantonnée au sertão (l’intérieur des terres) et ait manqué d’accompagnement dans les agglomérations. À titre comparatif, dans l’espace francophone, [c]’est donc plutôt l’étape de l’institutionnalisation de la mission sous forme d’écoles qui permet la pénétration de la langue des missionnaires (Spaëth, 1998 : 17). Dans les deux cas, l’œuvre missionnaire a un double impact : la diffusion de la langue d’évangélisation et la connaissance des langues locales. Toutefois, que ce soit pour la diffusion ou l’étude des langues, la portée est restreinte.

Au plan éducatif, l’action missionnaire et coloniale fonctionne sur des critères essentiellement religieux et économiques. La mission vient partiellement remplir la place laissée vacante par les acteurs gouvernementaux de la colonisation – à cette époque encore peu institutionnelle en Angola et dans les autres colonies portugaises en Afrique.

Par la dualité utilitariste dans le choix de la langue d’enseignement au début de l’apprentissage – soit le portugais à l’école coloniale, soit la langue nationale de l’élève à l’école missionnaire, le critère linguistique souligne la différence idéologique de ces deux types d’interventionnisme. D’un point de vue idéologique, la mission et la colonisation ne peuvent être confondues (car elles servent des buts différents). Leurs histoires respectives, elles, sont fortement liées.

(Spaëth, 1996 : 20).

4.2.5 Synthèse

Durant les quatre premiers siècles de la progressive colonisation de l’Angola, l’esclavage, principale activité d’exploitation économique, modifie profondément les sociétés locales. De nouveaux centres urbains apparaissent où le pouvoir colonial est centralisé et où la langue portugaise domine. L’exploitation des hommes et des femmes esclaves puis forcés à travailler constitue le rapport principal du colon vis-à-vis des populations colonisées. Le tardif tournant vers l’exploitation des terres angolaises, tout comme le développement de l’activité missionnaire à la fin du 19e siècle, accroît

156 1699-1782. Pombal est un homme politique portugais emblématique. Il est notamment à l’origine d’une réforme de l’enseignement permettant la formation de cadres et d’administrateurs.

157 Desde a Descoberta até à época pombalina, […] todo o trabalho de desbravar as populações negras, coube, unicamente, ás missões religiosas.

cependant les contacts à l’intérieur des terres. Le poids de l’idéologie coloniale portugaise conjugué à des conditions économiques moins favorables par rapport au Royaume-Uni ou à la France, mène, au plan linguistique, à une situation de « diglossie coloniale » très aigüe. La ville coloniale et le sertão sont deux espaces sociaux distincts où la langue portugaise domine tout en étant absente ou restreinte en milieu rural. Le sujet angolais, tout au long de cette période, est systématiquement exploité et infériorisé – sauf lorsqu’il est métis ou qu’il maîtrise la langue et la culture des colons. La constitution d’une élite principalement métisse et progressivement exclusivement lusophone a pour conséquence de complexifier la division sociale entre sujets. La langue coloniale est un enjeu de pouvoir et de liberté. En creux, se pose la question de l’identité qui préfigure une partie des tensions nationalistes africaines.

Au tournant du 20e siècle, la lusophonie en Angola demeure un privilège ou un outil de communication pour travailler avec l’Autre. Quant à l’éducation, elle repose sur deux systèmes : l’un, très hétérogène dans sa forme et son étendue est celui mis en place par l’Église catholique et l’Église protestante ; l’autre, très sélectif et peu développé, est celui mis en place par le Gouvernement colonial. Dans l’ensemble, l’éducation est un privilège rare et un procédé de l’idéologie évolutionniste dans lequel l’enfant angolais, parce qu’il est noir, est racialement discriminé. Pour notre travail, l’historicisation de cette période permet de comprendre les origines de la répartition inégale de l’usage du portugais sur le territoire national angolais tout en faisant ressortir le rôle déterminant des missions religieuses à cette époque.

4.3 Période coloniale. La période républicaine et de l’État nouveau (1910 – 1961) : quelles évolutions pour les langues en présence et pour l’éducation des indigènes ?

Nous faisons le choix de proposer la constitution de la Première République portugaise comme borne historique en premier lieu parce que cette période coïncide avec un accroissement des mesures politiques prises vis-à-vis des provinces d’outre-mer en Afrique. Élaborer une contextualisation historique de l’Angola pour cette période coloniale nécessite ce va-et-vient entre centre et périphérie, entre métropole et colonie, entre nation hégémonique et territoire soumis. Alors que l’Europe sort de la première

guerre mondiale et que l’ère des Empires s’achève (Hobsbawm, 1999 [1994]), l’arrivée de Salazar dans le monde politique portugais a d’importantes conséquences tant en métropole que dans les territoires colonisés. Le repli progressif du Portugal au niveau international produit un effet décuplé au niveau des colonies : elles sont appréhendées comme des piliers pour maintenir la grandeur défaillante de la nation. Nous proposons une synthèse chronologique rapportant les dates clé de 1884 à 1975 en annexe 4 (p.8)

La borne de 1910 est donc un choix pratique pour cette contextualisation historique. Elle permet de mettre l’accent sur des données politiques et économiques concernant la métropole dont la compréhension permet d’appréhender plus justement les évolutions linguistiques et éducatives en Angola.

La Première république portugaise, proclamée en 1910 suite au coup mené par les Républicains, l’armée et la marine, souffre rapidement de divisions internes et des conséquences de la Première guerre mondiale. En 1917, le Portugal est proche de la faillite et le pouvoir des Monarchistes et des Réactionnaires est accru : l’effort de guerre et les pertes humaines sont mal ressentis par la population. Sidónio Pais, meneur de la révolte du 5 décembre 1917, met en place une dictature militaire avec l’appui des Monarchistes, de l’Église et de la haute bourgeoisie en devenant président en avril 1918 (Labourdette, 2000). Il est assassiné par les Républicains en 1918 et le Portugal plonge dans une nouvelle guerre civile. De 1919 à 1926, le parti démocratique est au pouvoir mais fait face à de nombreux attentats politiques.

4.3.1 Le Décret Norton de Matos (1921) et le développement de