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4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.1 Période précoloniale : les langues endogènes en présence

4.1.3 Esquisse d’un contexte plurilingue

Cette partie vise à tracer à grands traits le paysage sociolinguistique constitué par les langues nationales angolaises. Son caractère principalement descriptif ne prête pas à une problématisation de la question linguistique : l’objectif de cette partie est de fournir des éléments généraux qui seront utiles pour la suite de ce chapitre consacré à l’approche historique puis pour le chapitre suivant portant sur le contexte sociolinguistique

Les études ethnolinguistiques, et plus particulièrement le recensement et la cartographie des ethnies et de leurs aires de peuplement, constituent une source précieuse pour aborder un contexte sociolinguistique en Afrique. Nous convoquons des références historiques de nature et de fonction sociale différentes pour faire état de l’usage social des langues en Angola. Pour cette nation, tout comme pour celles issues d’autres empires coloniaux après les indépendances en Afrique, ce sont principalement les écrits des missionnaires dans leur effort de description des langues des populations à évangéliser qui représentent un premier accès au paysage linguistique à l’arrivée des Portugais96. L’intensification des études ethnographiques durant la seconde moitié du 19e siècle, les recherches sur les « indigènes » durant la période salazariste (1926-1974) puis, plus récemment, l’abord pluridisciplinaire et international du terrain angolais97 accroît le nombre de données historiques98.

L’inconstance des données en fonction des auteurs et des époques est particulièrement frappante lorsqu’il s’agit de présenter, même succinctement, des données sociolinguistiques concernant la population angolaise. La première difficulté concerne le recensement et le classement des langues sur le territoire angolais. De nombreux auteurs (Redinha, 1962 ; Greenberg, 1963 ; Milheiros, 1967 ; Grimes, 1996, 1975 ; Mingas, 1994 ; Zau, 2002b ; Lienhard, 2008) s’accordent véritablement sur un

96 Estermann (1983), personnage emblématique dans l’histoire des prêtres missionnaires en Angola et auteur de nombreux travaux ethnolinguistiques, dresse une longue liste d’écrits missionnaires couvrant la période coloniale jusqu’au milieu du 20e siècle (cf. Infra. : 154 et sq.). Pour approfondir et consulter les écrits missionnaires, voir les excellents fonds disponibles au Centre Gulbenkian à Paris et, entre autres, à la Bibliothèque nationale du Portugal à Lisbonne.

97 Soulignons par exemple l’exhaustivité des travaux de l’historien français René Pélissier dont la thèse d’État, publiée en trois volumes en 1976, couvre les mouvements de résistances et les révoltes de 1845 à 1961. La bibliographie dressée par Chabal et al. (2002) référence avec exhaustivité les travaux, principalement anglophones, les plus approfondis à propos des nations d’Afrique lusophone durant la période postcoloniale jusqu’en 2000.

98 Par contre, les données sociolinguistiques récentes et fiables sont peu nombreuses, fait qui pour partie peut s’expliquer en raison de la longue période de guerre en Angola (1961-2002).

point : les deux familles de langues en présence avant l’ère coloniale sont les langues khoisanes et les langues bantoues.

La consultation de nombreuses cartes, dans des ouvrages mais également sur Internet, semble permettre de confirmer la cartographie de Redinha (1962, 1975). Malgré son ancienneté pour l’étude sociolinguistique sur le plan synchronique et contemporain, le travail de cet anthropologue et ethnologue portugais, conservateur du musée ethnographique de Dundo durant l’époque coloniale, demeure l’une des références les plus fiables aujourd’hui. Une autre difficulté pour aborder le contexte sociolinguistique angolais est bien la question des statistiques et données disponibles concernant la population99.

Durant la période de l’État nouveau au Portugal, la métropole s’est efforcée de quadriller administrativement les dix-huit provinces angolaises, facilitant la collecte d’informations sur la population. Redinha (1962), en collaboration avec l’administration coloniale, illustre, comme Milheiros (1967) après lui, la répartition géolinguistique de la population autochtone. Dans une note liminaire aux trois volumes de sa thèse, l’historien Pélissier (1976) choisit la Carte ethnique de l’Angola100 élaborée en 1962 par Lopes Cardoso (et reprise par Lima en 1970) qui, à cette date, était le conservateur du musée d’Angola.

Cette carte est en fait une réédition du travail de Carlos Lopes Cardoso qui l’élabora en 1963 alors qu’il était responsable de la division d’ethnologie et d’ethnographie de l’Institut de recherche scientifique d’Angola101. Comme Redinha, il poursuit un travail ethnographique au début des années 1960, au moment où justement un vaste mouvement migratoire du Portugal vers l’Angola a lieu et que, par conséquent, la population coloniale s’accroît très fortement.

En annexe, Lopes Cardoso présente les trois formes écrites possibles pour chaque ethnie et langue : en « portugais courant », en « portugais correct » et en « langue

99 Durant la seconde moitié du 20e siècle, la société angolaise a dû se développer dans un contexte de guerre pendant plus de quatre décennies. La première campagne de statistiques à l’échelle nationale depuis l’indépendance en 1975, est réalisée en 2014 (INE) avec l’appui des Nations Unies notamment. L’ensemble des grands acteurs de l’aide au développement, qu’ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux, s’accordent sur un point : la nécessité d’un recensement actualisé et la difficulté à dégager des tendances et besoins, à cartographier et à planifier.

100 Carta étnica de Angola.

101 Instituto de investigação de Angola, Divisão de etnologia e etnografia.

native »102. L’enjeu de la transcription, déjà fort durant l’époque coloniale, persiste pour un objet d’étude traité dans de nombreuses langues. Au sujet du nom des langues nationales en Afrique, De Féral (2009) précise qu’il existe différentes formes de catégorisation103. Pour l’Angola, l’ensemble des auteurs s’appuie sur la catégorisation ethnique. Pour notre part, nous avons choisi les formes les plus stabilisées et les plus communes rencontrées lors de nos lectures en français, en portugais et en anglais et avons donc également privilégié la catégorisation ethnique.

Nous avons retenu la carte de Lopes Cardoso et l’avons simplifiée pour présenter les onze principales aires linguistiques. Le groupe des langues khoisanes se superpose en îlots sur les aires bantouphones du Sud du pays.

102 Nous verrons en quoi cet usage simultané de trois langues (ou variétés) illustre la notion de « diglossie coloniale » (cf. Infra. : 145-146 ; 203 et sq.)

103 Les autres catégorisations relevées par De Féral (2009 : 11) sont la nationale (kabuverdianu pour le créole du Cap Vert) ; sociale et / ou géographique : (français populaire d’Abidjan) ; linguistique (broken English, anglais du Cameroun) ; auto-centrée (nnam « notre langue / parole » pour l’ewondo ; citation (stigmatisation d’une expression récurrente « tok se » « dire que » pour le pidgin-english du Cameroun).

Figure 10 : Carte des aires linguistiques, d’après Lopes Cardoso (1962).

Seules les langues des groupes mbundu (le kimbundu) et ovibumbu (l’umbundu) sont au plan national strict – c’est-à-dire sans tenir compte du fait migratoire –exclusivement des langues angolaises au sens où les neuf autres groupes chevauchent les frontières. Par ailleurs, compte tenu de la taille du pays, chaque aire géolinguistique est vaste et prête par conséquent à une variation importante.

Martins (1993) et Zau (2002a) précisent que chacun de ces onze groupes linguistiques répertoriés en Angola est constitué de sous-groupes ethniques avec une langue dérivée. Ils comptabilisent ainsi 93 langues, ce qui correspond à la liste donnée par Lopes Cardoso (1962). Zau (2002a) apporte également des précisions sur chaque groupe ethnique, travail que nous synthétisons dans le tableau ci-après.

Groupe ethnique Langue Nombre de sous-groupes

Bakongo kikongo 14

Premier groupe à entrer en contact avec les Portugais, traditionnellement vivant de la pêche, de l’agriculture et du commerce.

Mbundu / Ambundo kimbundu 14

Groupe qui a eu les contacts les plus intenses avec les Européens durant l’ensemble de l’époque coloniale et également le premier a avoir été « assujetti ». On considère que c’est le groupe ethnique le plus « acculturé ».

Chokwe104 / Lunda-Chokwe lunda et chokwe 6

À l’origine, ce groupe vivait principalement de la chasse. Aujourd’hui il pratique l’agriculture. Il se distingue pour son travail artistique du bois et du métal.

Luba chiluba 3

Groupe très présent en RDC mais isolé en Angola.

Ovimbundu umbundu 14

Groupe le plus homogène et le plus important numériquement. C’est également l’ethnie clé pour le développement économique durant l’époque coloniale. Ce groupe de l’intérieur du pays s’est intégré dans la vie économique et sociale en travaillant sur les chemins de fer, dans la cueillette du café, dans l’exploitation des mines, etc.

Ganguela (chi)ganguela 12

C’est le groupe le plus hétérogène, il est divisé en deux de par la pénétration des Chokwe et n’a été que peu en contact avec les Européens et est dominé par les autres groupes ethniques. Son organisation sociale est la gynécocratie.

Herero (chi)herero 6

Ce groupe nomade et pastoral a eu très peu de contacts avec les Portugais.

Nhaneca nhaneca105 11

Groupe connu comme étant le plus « conservateur », vivant de l’agriculture.

Ambó kwanhama 15

Groupe pastoral, qui a « férocement » résisté aux Portugais jusqu’en 1916.

Xindonga106 xindonga 5

Groupe vivant principalement de l’agriculture.

Khoisan cuissis, cuepes et cungues 3

Groupes nomades, très isolés et peu en contact avec les Européens Figure 11 : Tableau des groupes ethniques et des langues en Angola.

104 En portugais, la graphie <ch> se prononce [tʃ].

105 En portugais, la graphie <nh> se prononce [nj].

106 En portugais, la graphie <x> se prononce [ʃ].

Au plan linguistique, cette importante diversité au niveau des langues nationales a pour première conséquence de poser la question de leur description. Au plan didactique, dans le cas de la réalisation de l’idéal de scolarisation en langue maternelle, cette situation linguistique pose le défi d’une structure éducative ouverte au plurilinguisme et étant en mesure d’en proposer les moyens – à tous les niveaux de la pyramide éducative et tant au niveau humain que matériel, ce qui implique tout autant d’avoir, pour chacune de ces langues, des cadres éducatifs, un système de formation initiale ou encore un corpus et des outils didactiques disponibles.

4.2 Période coloniale (1483 – 1910) : l’Angola, colonie