• Aucun résultat trouvé

4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.3.3 L’acte colonial (1930)

Le 8 juillet 1930, alors qu’il exerce par intérim au Ministère des Colonies, Salazar fait adopter l’Acte colonial. En 1933, ce décret est incorporé dans la Constitution. Il fait office de loi-cadre de la politique coloniale salazariste jusqu’en 1961. À l’image des autres empires coloniaux163, le Portugal réaffirme le régime de l’indigénat : on donne un statut politique, civil et militaire aux indigènes. C’est l’élément principal qui juridiquement enlève presque tous leurs droits aux Angolais classés comme indigènes.

L’article 1 précise que la Constitution politique de 1933 est destinée à la métropole et aux colonies, unifiant juridiquement les deux espaces de l’Empire. L’idéologie de l’époque se révèle dans l’article 2 :

[por] [il] est de l’essence organique de la Nation portugaise de remplir la fonction historique de posséder et de coloniser les domaines d’outre-mer et de civiliser les populations indigènes qui s’y trouvent, exerçant aussi l’influence morale qui est adjointe au patronat164 d’Orient165.

Le régime de l’indigénat est détaillé dans le chapitre 2166 de l’Acte colonial. L’article 20 confirme la possibilité de contraindre les indigènes au travail forcé. L’article 24 entérine le régime de l’indigénat institué en 1926167 :

[por] Dans les colonies, on répondra au stade d’évolution des peuples natifs en ayant des statuts spéciaux pour les indigènes, qui établissent pour eux […] des régimes juridiques en compromis avec les us et coutumes individuels, domestiques et sociaux, qui ne soient pas incompatibles avec la morale et les idées d’humanité168.

L’humanisme affiché prône la supériorité des Portugais et le caractère indispensable de la mission civilisatrice. L’ethnocentrisme persiste et produit un discours, qui au fil des trois décennies à venir, est de plus en plus anachronique dans la mesure où

163 Dans le second empire colonial français, notamment en Algérie, les militaires établissent le Régime de l’indigénat destiné aux autochtones dès les années 1830. Il prend fin en 1946.

164 Le terme « patronat » date du traité de Tordesillas de 1494 lors duquel la supervision des missions d’Orient est déléguée par la papauté au Portugal et à l’Espagne (cf. Supra. : 140).

165 É da essência orgânica da Nação portuguesa desempehar a função histórica de possuir e colonizar domínios ultramarinos e de civilizar as populações indígenas que nêles se compreendam, exercendo também a influência moral que lhe é adstrita pelo Padroado do Oriente.

166 Articles 15 à 24.

167 Le Statut politique, social et criminel des Indigènes d’Angola et du Mozambique est approuvé par le décret n°

12:533 du 23 octobre 1926.

168 Nas colónias atender-se-á ao estado de evolução dos povos nativos, havendo estatutos especiais dos indígenas, que estabeleçam para estes, […] regimes jurídicos de contemporização com os seus usos e costumes individuais, domésticos e sociais que não sejam incompatíveis com a moral e com os ditames de humanidade.

les premiers soubresauts indépendantistes traversent l’Afrique puis culminent avec le tournant des indépendances de 1960.

La progressive mise en place institutionnelle du système légal portugais à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle a ainsi créé une société de ségrégation et d’assimilation en catégorisant la population. Dans la province d’Angola, les habitants sont répartis en trois groupes définis en premier lieu par la couleur de peau et en second lieu par des critères subjectifs :

- les « civilisés » sont les [eng] « habitants indigènes des colonies portugaises considérés comme ayant atteint un degré d’intégration à la culture portugaise et aux normes socio-économiques coloniales (Chabal, 2002 : xi).

- Les « assimilés », qui ont théoriquement les mêmes droits que les civilisés,

« doivent remplir des conditions économiques, culturelles (langue, niveau d’instruction, religion, mode de vie) et même morales et politiques (acceptation des valeurs portugaises et loyauté) » (Messiant, 2008 : 27) ; [eng] « habitants indigènes des colonies portugaises considérés comme assimilés à la culture portugaise et aux normes socio-économiques coloniales : le statut d’assimilado apporte certains bénéfices civiques incluant l’accès à la loi portugaise » (Chabal, 2002 : xi).

- Les « indigènes » qui n’ont pas un niveau de civilisation « suffisant » : [eng] « habitants indigènes des colonies portugaises qui ne sont pas considérés comme s’étant intégrés à la culture portugaise et aux normes socio-économiques coloniales » (Chabal, Ibid. : xi).

Le principe d’assimilation est instauré comme forme de promotion sociale. De manière officielle, tout Angolais noir ou métis peut donc en théorie être reconnu comme

« assimilé » et ainsi obtenir le même statut légal qu’un Européen. En pratique cependant, les contraintes d’obtention de ce statut sont fortement discriminatoires : avoir 18 ans, prouver qu’on sait lire, écrire et parler portugais couramment, être travailleur salarié, manger, se vêtir à la façon des Portugais et avoir la même religion qu’eux, adopter une norme de vie et des coutumes semblables au style de vie européen et avoir un casier judiciaire vierge.

L’instrumentalisation juridique et idéologique de cette politique instaurée par l’Estado Novo de Salazar, dans le cadre de l’Acto colonial de 1930, de la Carta orgânica do império colonial de 1933, de la Reforma ultramarina de 1933, s’inspirait des idées d’hommes de la fin du 19e siècle […] qui ne déguisaient pas leur racisme d’observance social-darwiniste.

(Barbeitos, 1997 : 313).

Le classement hiérarchique des habitants crée une échelle sociale complexifiée par les réalités de la vie quotidienne :

on commençait à répartir les « civilisés » en une séquence raciale qui plaçait au sommet les « Blancs », au milieu les

« métis », et à la base, les « Noirs » dits assimilados169. Enfin, assez loin de ce premier groupe se tenait la masse anonyme des « indigènes » (Barbeitos, Ibid. : 314).

Dès sa mise en place, l’État nouveau perpétue l’idéologie impériale qui avait inspiré l’ensemble des régimes précédents (y compris la République) : la mission civilisatrice et l’indépendance nationale, vis-à-vis de l’Espagne en particulier, nécessitent la possession d’un empire. À partir de 1933, la mystique impériale est exaltée lors de manifestations nationalistes dont le paroxysme est atteint à l’occasion de l’Exposition du monde portugais en 1940. On célèbre la gloire du régime salazariste, très éloigné « d’un quelconque éloge du métissage et du mélange des cultures » (Léonard, 1997 : 215). Les propos de Barbeitos sont éloquents pour résumer cette période :

On peut dire que le colonialisme moderne avait abouti en Angola à un abaissement de l’homme noir auquel n’était parvenu ni le trafic, ni la captivité. Avec cet arrière-plan, les discours sur le respect et la protection de l’individu sonnaient faux, malgré leur habillage bienveillant, car ils visaient à perpétuer une humanité réduite à la condition de main-d’œuvre, dont on voulait qu’elle acceptât docilement sa subordination (Barbeitos, 1997 : 311).

En écho aux pratiques de la métropole française durant le début du 20e siècle, tous les moyens sont bons pour illustrer la grandeur du Portugal. La carte de 1935 exaltant la taille de l’Empire portugais est emblématique :

en surimpression, le Mozambique recouvre une partie de l’Espagne et de la France tandis que l’Angola se superpose au Reich allemand et à une partie de l’Europe centrale et orientale, avec pour légende, en lettres capitales, PORTUGAL NÃO É UM PAÍS PEQUENO170 (Léonard, 1997 : 216).

Elle présente pourtant le paradoxe de comparer un empire à des métropoles coloniales : l’addition des superficies de l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne continentales réunies n’atteint pas celle de l’Empire colonial portugais…

169 Assimilés.

170 Le Portugal n’est pas un petit pays.

Figure 15 : Carte [por] Le Portugal n’est pas un petit pays : superficie de l’empire colonial portugais comparée à celles des principaux pays d’Europe (Galvão, 1935)171.