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4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.2.2 La diffusion linguistique : quel rôle pour l’école, quel rôle pour la mission ?

De la découverte au tournant de la seconde moitié du 19e siècle, de profondes modifications sociales sont apparues. L’histoire négrière a un impact fort sur les côtes et dans les centres urbains où une population qualifiée côtoie une bourgeoisie coloniale multiraciale (Noirs, métis et Blancs). Aux 16e et 17e siècles, des pidgins du portugais sont utilisés le long des côtes africaines servant de lingua franca pour de nombreux échanges.

Pour Chavagne (2005), le fait que ces variations orales du portugais aient survécu sous la forme de créoles ou de pidgin au Cap Vert, à São Tomé et Principe, en Guinée Bissau et en Casamance et qu’elles aient disparu en Angola ou au Mozambique s’explique par une prépondérance des langues en contact dans les deux nations d’Afrique australe.

Vers 1850, les bases blanches qui subsistent sont Luanda et Benguela. Le nombre de colons portugais s’élèvent à quelques milliers alors qu’à la même époque et à titre comparatif il y a environ 300 000 Européens en Algérie. Ainsi, durant la seconde moitié

120 Toutefois, ce n’est qu’en 1922 que l’occupation effective de l’ensemble du territoire angolais est accomplie.

du 19e siècle, les métis sont numériquement dominants par rapport aux Blancs. Cette bourgeoisie métisse locale va continuer à jouer un rôle important dans la vie économique angolaise durant le reste de la colonisation portugaise121. Elle s’approprie la langue et la culture du colon et laisse peu à peu de côté les langues endogènes / nationales. Le philologue Lienhard (2008) montre bien en quoi le contexte angolais constitue un cas typique de « diglossie coloniale ».

[por] Elle se caractérise par le monopole absolu de la langue du colonisateur dans l’espace officiel et par la marginalisation non seulement des langues natives ou autochtones mais également des variétés orales de la langue officielle et des créoles qui se développent peu à peu à travers les échanges entre colonisateurs et colonisés122 (Lienhard, 2008 : 220).

Au début du processus de colonisation, la langue du colonisateur est forcément minoritaire et demeure réservée aux représentants politiques, militaires et religieux ainsi qu’aux membres de la société autochtone privilégiée et engagée dans les échanges avec les colons. Ainsi se constitue une élite qui, dans le cadre de la diglossie coloniale, est la plus experte dans la langue de l’autre, du colon, celle qui au début est une langue seconde. Elle devient ensuite la langue maternelle de l’élite qui perd alors la langue d’origine ou ethnique. La constitution graduelle d’une expertise dans la langue du colonisateur contribue à une forte division de la société coloniale. Lienhard (Ibid.) considère que la diglossie coloniale est un processus constitué de trois phases successives que nous schématisons ci-après :

121 Voir par exemple le roman historique de Pepetela, A gloriosa familia, qui retrace l’histoire de la famille métisse Van Dunem sur plusieurs siècles.

122 Ela se caracteriza pelo monopólio absoluto da língua do colonizador no espaço oficial e pela marginalização não só das línguas nativas ou autóctones, mas também das variedades orais da língua oficial e das línguas crioulas que vão se desenvolvendo aos poucos através dos intercâmbios entre colonizadores e colonizados.

Figure 13 : Phases de la diglossie coloniale d’après Lienhard (2008).

Durant la seconde moitié du 19e siècle, les Portugais veulent remplacer la principale manne économique de la province d’Angola jusqu’alors : la traite des esclaves. La bourgeoisie portugaise encourage le développement de l’agriculture pour l’exportation.

Forte d’une organisation coloniale déjà en place dans les deux villes côtières, elle peut mettre en œuvre une véritable stratégie économique (Zau, 2002a). Des matières premières sont produites (coton, sisal, caoutchouc et café) mais elles nécessitent terre et main-d’œuvre. La métropole accorde en conséquence de grandes concessions aux colons et surtout, elle se préoccupe de trouver un moyen pour faire travailler les indigènes. Le code du travail indigène entre en vigueur en 1899 et instaure le travail forcé qui va se généraliser avec l’extension des surfaces administrées.

Article premier : Tous les indigènes des provinces portugaises d’outre-mer sont soumis à l’obligation morale et légale de s’efforcer d’obtenir, par le travail, les moyens d’existence qui leur font défaut, et d’améliorer leur condition sociale. Les indigènes jouissent de toute liberté dans le choix des moyens leur permettant de s’acquitter de cette obligation ; toutefois, au cas où ils n’y satisferaient pas, les autorités publiques peuvent les contraindre à remplir cette obligation123.

À l’image du Code de l’indigénat adopté en 1881 dans l’Empire colonial français, ce code du travail indigène accroit la domination européenne, divise la société entre sujets libres et sujets soumis et garantit au pouvoir colonial une main-d’œuvre servile et bon marché.

Cette masse humaine, taillable et corvéable à merci, utilisable selon le gré des colons avec l’aide puissante de l’administration coloniale est employée d’une façon brutale, déplacée selon les besoins, et rémunérée, on s’en doute, de la façon la plus misérable qui se puisse imaginer (CEFEDIM, 1977 : 36).

La question du moyen de communication entre dominants et dominés devient cruciale pour accompagner cette transformation statutaire mais également l’évolution économique et l’exploitation des potentielles richesses agricoles. Avec le développement des concessions, les colons ont besoin de faire travailler, de donner des ordres, de se faire obéir. Les langues nationales ne présentant aucun intérêt dans la vision évolutionniste de l’époque, le portugais doit occuper la place de langue véhiculaire. Pour mener à bien ces nécessaires interactions langagières avec des individus colonisés n’ayant pas le portugais pour langue maternelle, les colons ne peuvent tirer parti que des aménagements linguistiques qu’ils instaurent. Dans de rares cas (compte tenu du caractère limité des effectifs d’individus évangélisés), ils peuvent tirer bénéfice de l’instruction religieuse menée par les missionnaires, qui, pour les meilleurs élèves, passe par l’apprentissage du portugais. Ils ne voient cependant pas en l’école une réponse à ces besoins linguistiques : l’idéologie dominante consiste à penser que l’école est réservée aux civilisés tout comme la maîtrise de la langue portugaise.