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Plan d’étude

CHAPITRE 1 1 Présentation de la recherche

1.3 Problématique de la recherche

1.3.2 Deuxième axe : langues, scolarisation et politiques linguistiques

Le deuxième axe de réflexion repose sur la relation entre l’enseignement d’une langue étrangère et celui de la langue de scolarisation menant à la question de la

« littératie » (Marquilló-Larruy, 1997 ; Chiss, 2004 ; Molinié et Moore, 2012).

Lorsque nous avons observé des classes de français langue étrangère, nous avons toujours fait suivre l’observation par la prise en main durant une heure de la classe objet de notre regard de didacticienne. Outre les bénéfices en terme de confrontation aux pratiques instituées et de prise de mesure du niveau linguistique et de la réactivité des apprenants à une approche différente, notre volonté de compréhension du terrain justifiait cette manière de ne pas seulement jouer un rôle externe mais bien de prendre le rôle ponctuel d’un des acteurs sociaux de la classe de langue. Ayant constaté qu’à la fin du secondaire, rares sont les apprenants atteignant le niveau A1 du CECRL en français et que les pratiques de classe dominante sont fondées sur une progression grammaticale, une communication « didactique » ou « imitée » (Weiss, 1984) et un modèle de transmission privilégiant un oral répété et un écrit copié, il convenait d’opérer des choix réfléchis pour créer une leçon expérimentale. Compte tenu du faible niveau linguistique des apprenants, nous avons privilégié l’intercompréhension portugais / français de manière à rassurer et à favoriser la compréhension (Blanche-Benveniste et Valli, 1997).

Dans l’idée de stimuler les apprenants habitués à un abord grammatical de la leçon, nous avons choisi une approche interculturelle simple s’appuyant sur les savoirs généraux supposés des apprenants au sujet de l’Angola et de la France. Sans entrer dans les détails de cette expérience riche d’informations, nous faisons simplement appel aux points saillants de cette expérience de la classe de langue en Angola. En l’absence de manuel pour les élèves, nous avions préparé des photocopies d’un support élaboré par nos soins, riches en illustrations, pensant que le simple fait d’avoir un signe matériel à soi de l’apprentissage du français pouvait représenter un facteur de changement et de motivation pour les apprenants. Le document déclencheur de la première activité

représentait une carte du monde en noir et blanc où seules les frontières des États apparaissaient. Après un bref travail à l’oral respectant une forme de routine de classe mettant à profit l’acte de parole incontournable de la classe de langue (se présenter et donc dire son nom et sa nationalité, ce que la majorité des élèves sont en mesure de faire) nous avons demandé aux apprenants de repérer l’Angola sur la carte ce qui n’a globalement pas posé de difficulté. Par contre, le repérage suivant a systématiquement posé problème : en moyenne, moins de 10 % des apprenants16 étaient en mesure de situer l’Europe puis le Portugal – l’ancienne métropole coloniale – et encore moins la France. En revenant vers le continent africain, même les pays frontaliers de l’Angola étaient majoritairement méconnus. Pour des apprenants scolarisés dans les deux cycles du secondaire (les classes observées couvraient l’ensemble des niveaux) et suivant des cours de géographie plusieurs heures par semaine, ce constat nous a renvoyé à nos propres représentations de l’apprentissage scolaire tout en soulevant la question des savoirs de base effectivement transmis dans le système éducatif angolais et plus largement à la connaissance du monde en dehors de l’Angola (Byram, 1997 ; Galisson et Puren, 1999 ; Haloui ; 2005).

Un autre aspect important que nous avions déjà relevé lors de la phase d’observation, est le paradoxe d’un enseignement qui demande à l’apprenant de copier pour garder une trace de l’apprentissage alors que les compétences graphiques sont souvent défaillantes. Ainsi faire copier quelques mots nécessite beaucoup de temps, ce qui a été par ailleurs relevé par d’autres formateurs français lors de formations continues destinées aux adultes. De plus, alors que l’ensemble des professeurs observés centrent la leçon sur la grammaire (un aspect faisant office de titre de la leçon du jour au tableau), il est apparu que même en portugais les catégories grammaticales simples étaient bien souvent non acquises (nom, complément, adjectif par exemple), bloquant ainsi un possible transfert de compétences de la langue de scolarisation vers la langue étrangère et reproduisant un environnement encombré par un métalangage trop souvent crypté pour les apprenants.

Cette esquisse permet de formuler plusieurs questions. Quelle méthodologie doit être privilégiée pour répondre à des problématiques de classe basiques (surreffectifs,

16 Les effectifs des classes observés oscillaient entre quarante et cent onze apprenants inscrits. Le taux d’absentéisme étant cependant très élevé, nous avons fait face à un maximum de quatre-vingt-un apprenants.

absence de matériel, faible niveau linguistique et formatif des enseignants, etc.) ? Pourquoi la progression de l’enseignement / apprentissage dans les classes est-elle conçue à partir de points grammaticaux alors que les nouveaux programmes s’inspirent de l’approche communicative ? Les programmes officiels constituent-ils un socle pour un apprentissage homogène au niveau national et jouent-ils un rôle dans la conception de la progression par les enseignants ? Comment envisager de manière réaliste une amélioration qualitative de l’enseignement / apprentissage d’une langue étrangère quand les enseignements de base apparaissent défaillants ?

Le postulat de la relation langue-culture (Humboldt, 2000 [1828]; Whorf, 1964 [1956] et Infra. : 80 et sq.) permet de poser par ailleurs la question de la place de la culture dans les classes de français et plus largement dans le système éducatif angolais. Quelles sont les orientations officielles à ce propos et sur quel héritage et quelle(s) conception(s) du monde se fondent-elles ?

La notion de littératie17 représente une entrée pertinente pour se demander comment travailler pour le français alors même que la question de l’enseignement de base et de l’acquisition d’une littératie en langue portugaise n’est pas réglée. Autrement dit, nous supposons qu’il existe un possible rapport d’influence entre les pratiques d’enseignement du portugais langue maternelle ou seconde et celles des langues étrangères, en particulier le français (Puren, 1988 ; Cuq, 1991 ; Arditty et Vasseur, 1999 ; Spaëth, 2005b ; Johnson, 2009).

Par la suite, ce questionnement a mené à la volonté de comprendre plus précisément comment la question de la langue est appréhendée dans les politiques nationales et dans les représentations sociales.

Le moment inaugural de l’indépendance nous est apparu comme un élément déterminant des évolutions postcoloniales puisqu’il constitue tout autant une rupture historique (Benot, 1975 ; Appadurai, 2001 [1996] ; Lazarus, 2006 ; Bancel, 2010) que le moment où les nouveaux gouvernements opèrent des choix pour la nation et ses citoyens. Comment la situation de « diglossie coloniale » (Lienhard, 2008) caractéristique

17 Une définition restrictive de la litteratie correspond à l’aptitute à comprendre et à utiliser l’écrit dans la vie quotidienne.

de la majorité des nations d’Afrique subsaharienne a-t-elle évolué en Angola ? À ce sujet, Coelho déclare :

[por] Comme le sort qui se retourne contre le sorcier, la langue, l’arme la plus utilisée par le colonisateur pour asseoir sa domination, s’est transformée, paradoxalement, en l’outil le plus puissant de décolonisation et en facteur basique d’unité nationale en Angola. Ainsi, un quart de siècle d’indépendance a plus contribué à l’implantation et à la diffusion du portugais sur le territoire que cinq siècles de colonisation18(Coelho, 2002 : 25).

Ces propos laissent supposer qu’un important changement de langue (Fishman, 1972 ; Matthey et Py, 1995) s’est produit après l’indépendance.

Notre troisième hypothèse est qu’un cadre sociolinguistique, articulant données historiques et statistiques sur les langues des locuteurs angolais et politiques linguistiques nationales et exogènes, pourrait tout d’abord permettre de vérifier l’ampleur de ce changement de langue et d’en proposer une explication. Il serait également le moyen de dégager les enjeux sociaux contemporains en lien avec la question linguistique (Kamwangamulu, 2003 ; Baneth-Nouailhetas, 2006 ; Mufwene, 2010) et de formuler des recommandations pour les politiques linguistiques (Calvet, 1987 ; Augusto, 2012).

La condition est de nouveau de mettre à profit une démarche historicisante dans laquelle l’indépendance fasse figure de moment potentiel de rupture. De cette manière et en tirant partie des contributions des réflexions postcoloniales, notre objectif est de produire des éléments pour repenser le cadre d’une didactique des langues et des cultures adaptée aux configurations sociolinguistiques angolaises et de formuler des recommandations pour l’élaboration de politiques linguistiques adaptées à l’évolution des usages des langues.

Il s’agit alors de mettre au jour les contours réels de la situation sociolinguistique contemporaine des communautés langagières en Angola et de déterminer quel(s) rôle(s) et quel(s) statut(s) ont les langues en présence à travers la distinction entre langue maternelle, langue seconde et langue étrangère. Cette réflexion portant sur les langues, en particulier à l’école, ne peut passer outre la question de la langue officielle de scolarisation

18 Como o feitiço que se volta contra o feiticeiro, a língua, a mais importante arma utilizada pelo colonizador para impor domínio, transformou-se, paradoxalmente, no mais importante meio de descolonização e factor básico de unidade nacional em Angola. Assim, um quarto de século de independência fez mais pela implementação e difusão do português no território que do cinco séculos de colonização.

sur un continent où l’éducation de base pour tous demeure un objectif persistant, avec l’idéal – défendu depuis plus de 60 ans sous l’impulsion des premiers travaux de l’Unesco (1953) – de prise en compte de la langue maternelle (ou « vernaculaire » pour reprendre l’expression onusienne) des écoliers comme facteur de réussite scolaire.