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4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.2.3 Les prémices de l’école coloniale

Ce n’est véritablement qu’après le décret du 14 août 1845 que la Couronne portugaise s’intéresse de plus près à la politique éducative pour sa province angolaise. Les prémices de cette politique éducative coloniale ont pour partie pour origine les demandes croissantes des civilisés qui veulent des écoles pour leurs enfants. Des écoles primaires sont ouvertes dans les deux principaux foyers de peuplement portugais, Luanda et Benguela. L’hypothèse d’avoir, en sus des écoles destinées aux enfants « évolués », un réseau d’écoles « rudimentaires » est pour la première fois formulée à cette occasion (Santos, 1970 : 86).

Parallèlement, le décret du 19 novembre 1856 autorise de nouveaux avantages pour les sacerdoces européens : un concours est ouvert par le Conseil d’outre-mer pour pourvoir les églises coloniales. Une des missions est d’assurer l’enseignement primaire.

En 1861, un diocèse ouvre ses portes à Luanda. Par la suite, quatre centres missionnaires sont solidement établis en province de manière à couvrir au maximum le territoire : dans la province de Huíla en 1881, Cassinga en 1886 et Cadonda et Malange en 1890. Ce décret détermine également que les enfants des chefs et responsables locaux du pouvoir

traditionnel doivent être éduqués à Luanda aux frais de la métropole. Le principe d’assimilation de l’élite locale en est la finalité. L’administration portugaise pense former de futurs agents locaux de leur propagande qui pourront diffuser auprès des leurs la culture et les habitudes occidentales ainsi que la langue portugaise (Zau, 2005).

En 1863, il y a 24 écoles primaires pour l’ensemble de la province d’Angola. Leur nombre baisse rapidement à 16 en 1869. La fréquentation scolaire est particulièrement inégalitaire entre filles et garçons : d’après les chiffres de fréquentation des écoles publiques entre 1846 et 1862, moins de 4 % des inscrits sont des filles. En 1869, un nouveau décret promulgué par le ministre de la Marine et de l’Outre-mer vise à entériner la responsabilité de la Couronne portugaise dans l’orientation et le financement de l’éducation.

[por] La compétence et l’obligation de l’État à donner suite à la création et à l’installation des écoles dans tous les villages d’importance relative (ce qui, à cette époque, ne se rencontrait pas au-delà de Luanda, Benguela, Moçâmedes124 et Golungo Alto), apparurent renforcées à travers ce nouveau décret125 (Zau, 2005 : 425).

Cependant, le manque de professeurs, de supports didactiques adaptés et d’infrastructures a empêché un accroissement significatif de la fréquentation scolaire.

Santos (1970) montre que le système éducatif est déficient en raison du faible niveau de formation initiale des enseignants et du fait que peu de parents sont soucieux d’envoyer leurs enfants dans des écoles de moindre qualité en province ou ont les moyens financiers nécessaires pour les envoyer étudier en métropole.

Les rares écoles publiques sont destinées à cette époque aux Européens et à leurs descendants, blancs ou métisses: [por] « au-delà de ces écoles, immédiatement destinées aux populations évoluées, on ne manquait pas d’admettre l’hypothèse d’avoir des écoles rudimentaires »126 destinées à la population locale (Zau, 2002a : 89). Mais leur création demeure hypothétique. Différents facteurs expliquent ce développement limité de l’enseignement public : l’esclavage, la carence de plan politique à long terme, le manque d’action des gouvernements et l’expulsion des religieux. De plus, l’Angola n’attire pas les

124 Ville du littoral au Sud de l’Angola et aujourd’hui nommée Namibe.

125 A competência e a obrigação do Estado, em dar provimento à criação e instalação das escolas em todas as povoações de relativa importância (que, à época, em Angola, não ima além de Luanda, Benguela, Moçâmedes e Golungo Alto), aparecem reforçadas através deste novo decreto.

126 Além destas escolas, já próprias das populações evoluídas, não deixara de admitir a hipótese de haver escolas rudimentares.

lettrés portugais : à titre illustratif, la première bibliothèque publique est ouverte en 1873 dans la chambre municipale à Luanda (Zau, 2002a).

À la fin du 19e siècle, alors même que dans les colonies françaises l’enseignement aux indigènes commence à se développer suite aux lois Ferry, le Portugal se refuse à un véritable enseignement destiné aux autochtones de ses colonies africaines. Les thèses raciales, fondées sur des arguments construits à partir de travaux anthropologiques, justifient la prétendue impossibilité de l’homme noir à apprendre. En 1890, à l’occasion de sa nomination en tant que Ministre de la marine et de l’outre-mer, António Enes, affirme que [por] « l’unique moyen efficace de transmettre la civilisation portugaise aux Africains était le travail manuel, qui […] était rendu nécessaire pour conduire les Africains à apprécier la dignité du travail »127 (Zau, 2002b : 95).

Jusqu’au début du 20e siècle, tant l’éducation que la diffusion de la langue coloniale reposent au plan formel sur l’œuvre missionnaire. Au plan informel, les contacts de langues sont néanmoins plus fréquents à l’oral en raison du fait économique. L’expansion impérialiste n’est synonyme d’expansion linguistique que de manière extrêmement réduite : la situation est celle d’une « lusophonisation restreinte » au sens que lui attribue la politologue Goheneix (2012) pour parler de la diffusion du français en Afrique Occidentale française durant la première moitié du 20e siècle. Dans le cas français, la francisation des citoyens métropolitains entamée en 1789 met en tension unification linguistique et démocratisation du territoire métropolitain.

Dès lors que l’on accepte cette imbrication entre la politique de la langue et l’édification républicaine de la métropole, la question de savoir quelle langue devaient parler les populations colonisées de l’empire prend une dimension intrinsèquement politique, puisque le fait d’inclure ou d’exclure les colonisés dans la communauté des parlant-français peut constituer un indice de leur inclusion ou de leur exclusion de la communauté des citoyens (Goheneix, 2012 : 82).

Si l’époque et les conditions historiques nationales sont bien différentes pour la seconde moitié du 19e siècle en Angola, il n’en demeure pas moins que le lien fait par Goheneix entre politique nationale et politique coloniale souligne l’importance de la question idéologique. Le fait d’inclure ou d’exclure l’autre, le colonisé, de l’accès aux droits, à la langue et à l’éducation du citoyen dépend de la politique et celle-ci est

127 O único meio eficaz de transmitir a civilização portuguesa aos africanos era o trabalho manual, o qual […] se tornava necessário para levar os africanos a apreciar a dignidade do trabalho.

déterminée tant par les conditions économiques que par les conditions idéologiques de l’époque.