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4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.2.1 Cadre historique général

Au 16e siècle, période à laquelle les premières navigations européennes sont entreprises en direction de l’Atlantique Sud, la présence des futures grandes nations colonisatrices est véritablement ponctuelle sur les côtes africaines : les Espagnols et surtout les Portugais ont des comptoirs le long des côtes atlantiques et une partie des côtes bordant l’Océan indien. L’Empire ottoman contrôle la majorité des côtes méditerranéennes. De plus, quelques villes et îles de la côte Est sont des sultanats arabes.

Les royaumes africains sont quant à eux concentrés dans les zones les plus favorables au peuplement humain : le long des côtes et des fleuves, dans les plaines fertiles et hors des déserts et des zones de forêt dense.

Figure 12 : carte de l’Afrique au 16e siècle107

107 Source carte : [en ligne], >http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1011312-LAfrique_XVIe_si%C3%A8cle.jpg<.

Les premières navigations européennes en direction de l’Atlantique Sud datent du 14e siècle. Pour le Royaume de Portugal, la prise de Ceuta en 1415, laissant présager de richesses lointaines, fait figure de premier jalon dans la navigation depuis la péninsule ibérique vers l’Extrême-Orient et l’Amérique du Sud (Lugan, 2009).

La découverte par la voie maritime de la côte atlantique de l’Afrique prend plusieurs décennies. Son but originel est de lutter contre l’encerclement de l’Europe occidentale par l’Islam en convertissant les populations autochtones au Christianisme ou encore en trouvant d’autres royaumes chrétiens, comme celui, supposé, du prêtre Jean en Ethiopie. L’œuvre d’évangélisation et le patronat de l’ordre du Christ, qui a juridiction spirituelle sur l’Afrique noire, sont officiellement confiés à la Couronne portugaise depuis la Bulle papale Romanus Pontifex en 1455108. En 1433, l’infant Dom Henrique, surnommé le Navigateur, initie un véritable mouvement d’expansion maritime motivé par le droit du quint109 octroyé par son frère, le roi Dom Duarte. Les premières expéditions qu’il finance visent à assurer le contrôle des îles de l’Atlantique et des côtes africaines. C’est également à partir de cette époque que la capture de populations noires s’établit et devient croissante110. Si l’ambition initiale est de « lutter contre les Maures et d’étendre l’empire du Christ, elle est peu à peu doublée de perspectives matériellement plus enrichissantes » (Enders, 1994 :14). Rapidement, une véritable « thalassocratie » émerge : les découvertes de nouveaux territoires s’accompagnent de l’instauration de comptoirs commerciaux (factoreries) et de l’extension des activités de traite négrière le long des côtes et sur les îles.

Le premier contact européen avec le territoire que constitue l’Angola aujourd’hui est conssécutif à l’assignation par Dom João II111 de deux objectifs aux découvertes : contourner l’Afrique pour atteindre la péninsule indienne et entrer en contact avec le supposé royaume du prêtre Jean. En 1483112, Diogo Cão, le navigateur du roi, passe l’Équateur et découvre l’embouchure du Congo. Trois caravelles portugaises mouillent

108 Elle autorise le roi du Portugal à asservir tous les « Maures, païens et autres ennemis du Christ » (Enders, 1994 : 25).

109 Ce droit lui permet de percevoir un cinquième des bénéfices tirés des expéditions et des possessions ultra-marines (Enders, Ibid. : 14).

110 Dans les années 1490, le cosmographe allemand Jérôme Münzer s’étonne de la profusion de marchandises exotiques et du grand nombre d’esclaves que l’on trouve à Lisbonne. Vers 1551, ceux-ci représentent 10 % des 100 000 habitants de la ville (Enders, Ibid. : 25).

111 Il règne de 1481 à 1496 et l’expansion maritime s’inscrit au cœur de sa politique.

112 D’après Birmingham (1966) et Randles (2002 [1968]) la date exacte est incertaine mais le consensus se situe entre 1482 et 1484.

sur la côte Sud de l’estuaire, dans la province de Soyo du Royaume de Kongo. Les Européens entrent ainsi en contact avec un royaume qui, avec ses provinces vassales, est aussi étendu que le Portugal. Diogo Cão envoie des émissaires vers la capitale pour délivrer un message de paix et un cadeau au roi, le Mani Kongo, Nzinga Nkuwu.

En 1491, Dom João II organise une expédition afin d’assurer une alliance avec le Royaume du Kongo qui, dans la conception portugaise, doit passer par la christianisation des souverains locaux. Le fait religieux constitue un des éléments de l’échange de serments. Les émissaires du roi débarquent dans un port de la province de Soyo dont le chef se convertit avec empressement au Christianisme. Vingt jours plus tard, à l’arrivée dans la capitale du royaume, Mbanza Congo113, le Mani Kongo, sa femme et quelques notables de sa cour sont à leur tour baptisés le 3 mai 1491. Dans la conception du Roi du Kongo, le christianisme apparaît comme un puissant outil de renforcement du pouvoir central sur les provinces vassales114.

Parallèlement, la traite négrière se développe rapidement dès les débuts de cette relation entre les deux royaumes. Les navigateurs, s’ils ne s’attaquent pas directement aux sociétés établies, leur inoculent deux virus graves : la « religion catholique » et un « commerce spécial », celui des esclaves (Enders, Ibid. : 17). Le Portugal, en étendant progressivement son empire, augmente ses besoins en personnels administratifs. Sa faible population métropolitaine et le manque de main-d’œuvre agricole l’obligent donc à importer une aide extérieure115.

Le Mani Kongo, friand des produits européens mais n’ayant à proposer en échange que de l’ivoire et des produits dérivés du travail de la feuille de palme, découvre vite que la marchandise humaine a une grande valeur pour les Portugais. Pour autant cette manne économique est passagère : en l’espace de quelques décennies, la traite négrière contribue à l’affaiblissement du Royaume du Kongo. Au sommet de sa puissance à l’arrivée des Portugais, cet empire africain avait réussi à imposer son hégémonie sur tous les autres États de la région. Mais la création en 1575 d’un comptoir portugais dans le royaume du

113 Mbanza Congo est la capitale administrative de la province éponyme au Nord de l’actuel Angola.

114 Par la suite, pour tenter d’échapper au protectorat des Portugais, les rois du Kongo essaieront d’établir un contact direct avec le pape. Mbanza Congo devient le siège d’un évêché en 1596 (Cuvelier et Jadin, 1956).

115 Les colons de l’île de São Tomé, vierge de toute population à l’arrivée des Portugais en 1470, ont droit à une femme esclave pour aider à l’accroissement du peuplement. La culture sucrière nécessite également une main d’œuvre complémentaire (Birmingham, 1966).

Dongo plus au sud, l’intensification de la traite négrière et l’invasion par l’Est de la civilisation Jaga à partir de 1568 signent son déclin progressif (Lugan, 2009).

L’intérêt des Portugais pour le royaume du Dongo, plus au sud, s’accroît suite à la plaidoirie de Paulo Dias de Novais116, gouverneur et capitaine-général de la conquête du royaume d’Angola, qui est en faveur de la conquête militaire et de la colonisation agricole. São Paulo de Luanda, qui deviendra la capitale actuelle de l’Angola, est fondée en 1575. La présence portugaise est suffisamment importante pour justifier la création d’un gouvernement-général en 1592 et pour transférer le siège de l’évêché de São Salvador à Luanda en 1623 (Enders, 1994 : 41). Le roi du Ndongo refuse les propositions portugaises et à partir de ce moment les campagnes militaires commencent. En 1581, Novais et ses troupes gagnent des batailles dans la province de Kissama (au sud de Luanda). Plus de cinquante chefs sont vassalisés. En 1585, la victoire des troupes portugaises laisse la porte ouverte aux missionnaires et signe la fin du royaume Ndongo (Amaral, 1996). Ainsi, un siècle après les premiers contacts, le contrôle d’une petite partie du territoire permet la diffusion progressive de la langue des missionnaires vers l’intérieur.

Le besoin croissant en esclaves, dû notamment à l’installation de nombreuses capitaineries sur les côtes brésiliennes durant la première moitié du 16e siècle, contribue à la lente conquête territoriale depuis le littoral. Le royaume du Kongo ne pouvant plus couvrir à lui seul les commandes, les négriers se tournent alors vers la côte angolaise117. Jusqu’alors, la principale langue autochtone avec laquelle les colons sont en contact est le kikongo, langue du Royaume du Kongo. En s’installant plus au sud, les colons entrent en interaction avec des Mbundus qui parlent le kimbundu. Ce groupe ethnolinguistique occupe l’actuel territoire où Luanda, la capitale, est située.

Au 17e siècle, l’Angola est, après le Brésil, la colonie la plus rentable pour la couronne portugaise en raison du trafic négrier. La traite se fait également depuis São Felipe de Benguela, actuelle Benguela, fondée en 1617. Durant cette période du commerce triangulaire, la majorité des esclaves sont envoyés au Brésil. Davidson (1972) estime à 3 500 000 le nombre d’hommes déportés de 1550 à 1836. Dans le cas précis de l’esclavage, la colonisation est bien un aspect de la globalisation. Les déplacements de

116 Il a dirigé une ambassade auprès du N’Gola, le roi du Dongo, en 1560.

117 Traders soon began to go there direct, since […] it was the only slave supplying area accessible by sea (Birmingham, 1966 : 26).

populations se font à l’échelle mondiale, entre continents, mettant en contact des communautés langagières et culturelles, contribuant, dans un environnement de souffrance et d’asservissement, à l’hybridation des cultures et des langues. Dès lors, des langues et des cultures sont en péril ou prennent le dessus ou encore se redéploient dans le métissage. Par exemple, c’est à cette époque que la capoeira brésilienne trouve ses racines : ce sont les populations originaires d’Angola et transportées vers les plantations brésiliennes qui ont apporté cet élément culturel118.

Les phénomènes de résistance et de révoltes119 jalonnent l’ensemble de la colonisation portugaise en Angola (Pélissier, 1977). L’atomisation des royaumes locaux va permettre au Portugal de maintenir sa domination malgré de fréquents mouvements de résistance jusqu’au début du 19e siècle (CEDETIM, 1977).

Suite aux invasions napoléoniennes dans la métropole lusophone, le Royaume-Uni, qui défend Lisbonne en 1809 et réussit à rétablir la monarchie portugaise, domine le Portugal durant la majeure partie du 19e siècle. En 1825, le Brésil obtient son indépendance. En 1836, le Royaume-Uni impose au Portugal l’abolition de l’esclavage mais est cependant obligé d’intervenir avec sa flotte pour faire graduellement diminuer les exportations (Labourdette, 2000).

En 1858, une loi prévoit l’abolition de l’esclavage à l’intérieur de l’Angola pour 1878. Les colons tentent de s’opposer à cette loi, pourtant ils ont vingt ans pour s’adapter, mais pour eux il y a une évidence : s’ils ne sont plus esclaves, les Noirs ne voudront plus travailler pour eux ; il faudra donc les y obliger d’une façon ou d’une autre, et la première mesure est d’obliger les affranchis à travailler encore quelques années pour leurs anciens maîtres (CEDETIM, 1977 : 30).

Le décret du 7 décembre 1836 donne le statut de province à l’unité administrative constituée à la suite de la fusion des territoires des anciens royaumes du Kongo, de Ngola et de Benguela (Santos, 1969) : la « province d’Angola » est née.

118 À l’heure de la globalisation contemporaine, les liens des communautés capoeiristes dans le monde sont particulièrement forts entre le Brésil et l’Angola. Les flux Sud-Sud de population engendrés ont pour particularité de décloisonner la circulation migratoire culturelle de la sphère des élites nationales. Au contraire de sa vocation initiale brésilienne, celle de danse de combat des esclaves, elle est aujourd’hui ouverte à tous et considérée comme une alliance d’apport culturel et physique pour le sujet. En Angola, elle met en contact des sujets de différentes sphères sociales.

119 À titre d’exemple, durant les années 1630-1640, le Portugal doit faire face à une coalition, menée par la Reine N’Zinga (sœur du N’Gola défunt et ancien roi du Kongo), englobant les royaumes Kongo, Jaga (à l’est), ceux de la région côtière de Luanda et des provinces autonomes. Les Portugais sont donc obligés de s’enfoncer dans les terres pour contrer cette rébellion. En 1641, les Hollandais, profitant de l’absence de la majorité des troupes portugaises, s’emparent de Luanda et coupent la route des esclaves. Le fondement économique de la colonie portugaise est donc mis en péril. Une expédition brésilienne de mille hommes est alors envoyée vers l’Angola pour mettre fin à cette interruption du trafic négrier. Luanda est finalement reprise en 1648.

À partir de 1870, le trafic devient clandestin et se maintient jusqu’en 1916 vers l’île de São Tomé. Pour Messiant (2008), la suppression de la traite a eu pour principale conséquence une crise de la colonisation en rompant l’alliance économique tacite entre les royaumes de l’intérieur, les intermédiaires africains et les colons. Elle entraîne alors le départ de nombreux Blancs.

Lors de la Conférence de Berlin de 1884-1885, le Portugal bénéficie des velléités anglaises de couper l’avancée française et belge vers le Sud. Il se voit ainsi attribuer d’immenses territoires (dix fois plus grand que ce qu’il contrôle) en Angola et au Mozambique, avec pour mission de les occuper physiquement (CEFEDIM, Ibid. : 26)120. Dans la conjoncture du bouleversement économique produit par l’abolition de l’esclavage, la métropole portugaise voit se fixer les frontières de son empire et commence à envisager la province d’Angola sous un nouveau jour. L’exploitation des hommes va se transformer et l’exploitation de la terre et des ressources va véritablement commencer.

4.2.2 La diffusion linguistique : quel rôle pour l’école, quel rôle pour