• Aucun résultat trouvé

4 Approche historique du contexte linguistique et éducatif

4.3.4 Conséquences éducatives de l’acte colonial

Pour cette étude sur la question linguistique et éducative en Angola, le fait que la langue soit un des principaux critères déterminant l’accession à un statut juridique supérieur doit être souligné. Emblématique des tensions linguistiques engendrées par la diglossie coloniale, le pouvoir juridique, social et politique attribué à la langue portugaise rappelle clairement tout l’enjeu posé par l’accès inégalitaire à l’école.

Dans cette période de l’entre-deux guerres, l’État portugais choisit de continuer à déléguer l’enseignement des indigènes aux missionnaires, signe révélateur du désengagement à ce niveau et du caractère restreint de l’enseignement aux populations locales : l’article 24 de l’Acte colonial stipule ainsi que ce sont les missions catholiques

171 Portugal não é um país pequeno : superfície do império colonial português comparada com a dos principais países da Europa.

portugaises d’outre-mer, « instruments de civilisation et d’influence nationale », qui sont chargées de l’enseignement des indigènes.

En métropole, le régime salazariste accorde une forte attention à l’appareil scolaire.

Les nouveaux curricula permettent d’une part de réintroduire l’enseignement religieux dans les écoles officielles et d’autre part d’insérer une relecture nationaliste et traditionnaliste de l’histoire portugaise.

[por] Si les attitudes face au système scolaire sont révélatrices de la stratégie de la modernisation, les réformes de l'État nouveau exprimaient une crainte prononcée de l’alphabétisation et se caractérisaient par une véritable stagnation de l’éducation en dehors même de la modification radicale du contenu des programmes (Pinto, 1999 : 21).

Alors même que Salazar est un universitaire de formation, son régime tend donc à mettre en place une éducation élitiste en métropole. D’un point de vue didactique, la production de programmes en phase avec l’idéologie salazariste n’affecte pas seulement les apprenants portugais. Les contenus élaborés en métropole sont transposés directement des les écoles coloniales officielles, destinées aux enfants des habitants classés comme civilisés.

L’observation des politiques linguistiques et éducatives destinées aux provinces d’outre-mer montre que l’idéologie de l’État nouveau est clairement ségrégative. Le décret n°238 du 17 mai 1930 établit de façon nette la distinction entre enfants « civilisés » et « indigènes » au niveau de leur scolarité.

Pour les premiers, [por] « on visait à donner à l’enfant les instruments fondamentaux de tout le savoir et les bases d’une culture générale, en le préparant à la vie sociale »172.

Pour les seconds, le but est [por] « d’élever graduellement la population autochtone des provinces d’outre-mer de la vie sauvage à la vie civilisée des peuples cultivés »173 (Zau, 2002b : 97). L’article 7 précise que l’enseignement primaire « rudimentaire » vise à

« nationaliser » les enfants indigènes des colonies en leur faisant acquérir la langue et les coutumes portugaises.

172 Visava dar à criança os instrumentos fundamentais de todo o saber e as bases de uma cultura geral, preparando-a para a vida social.

173 Elevar gradualmente da vida selvagem à vida civilizada dos povos cultos, a população autóctone das províncias ultramarinas.

Dans cette perpétuation de la vision évolutionniste, la langue apparaît dans le discours officiel comme un outil d’assimilation des populations colonisées. Toutefois, en 1940, seuls 0,7 % des Angolais noirs ont le statut d’ « assimilés » contre 82 % des métis.

De plus, le taux de scolarisation est extrêmement faible : moins de 5% des enfants de 5 à 14 ans sont scolarisés en 1950. À cette date, des écoles dédiées aux enfants noirs sont implantées par le biais des missions catholiques. Les redoublements sont très fréquents et en règle générale, les enfants ont besoin de quatre à six ans pour atteindre la troisième année du primaire. Des écoles techniques spécialisées sont également créées (électricité, mécanique, activités domestiques et commerce) dans lesquelles la proportion d’Angolais est plus importante (Oliveira, 1994). Les données avancées par le CEFEDIM (1977 : 43) concernant l’analphabétisme des « civilisés » et « assimilés » d’après le recensement de 1950 sont éloquentes :

- 23 % d’analphabètes pour le groupe des Portugais et des Blancs.

- 38,2 % pour le groupe des métis assimilés.

- 50,9 % pour le groupe des Noirs assimilés.

Sachant que 0,74 % des Angolais noirs ont le statut d’assimilés à cette date, « 0,37

% de la population noire, après quatre siècles et demi de « présence portugaise », savait lire […] ce qui correspond à un taux d’analphabétisme de 97 % chez la population noire de plus de 15 ans » (Zau, 2002b : 52). Oliveira (1994) avance les mêmes chiffres et illustre le caractère restreint de l’accès à l’éducation pour cette population en rappelant qu’en 1958 seulement 251 enfants noirs et métis fréquentent la sixième année du cycle secondaire à Luanda. Elle ajoute également qu’un rapport de l’Unicef relève des discriminations raciales dans la correction des examens pour le dernier niveau.

À la veille des premiers mouvements nationalistes angolais, Vitória, ancien directeur des services d’instruction en Angola, souhaite que le Portugal continue à développer le système éducatif dans cette colonie tout en insistant sur la mission que la Nation doit porter.

[por] Aux naturels174 il s’impose de montrer les excellences de notre ascendance, leur inculquer avec courage, les qualités primordiales des bonnes Lusiades175 dans l’embrassade fraternelle que l’on doit à des fils de la même patrie176 (Vitória, 1957 : 21).

174 On pourrait aussi écrire natifs pour cette traduction de naturais.

175 Poème épique de Luís de Camões (1572).

176Aos naturais impõe-se mostrar-lhes as excelências da nossa ascendência, incutir-lhes no ânimo, as qualidades primordiais de bons lusíadas, no amplexo fraterno a que têm direito de filhos da mesma pátria.

Le patriotisme se traduit par une vision classique de l’enseignement / apprentissage dans lequel le texte littéraire de référence pour les métropolitains doit le devenir pour les colonisés. La citation du poème de Camões, qui glorifie le destin du Portugal et de son empire, met en exergue le caractère conservateur de l’Estado Novo alors même que les indépendances africaines sont en cours. Les Luisiades sont aux anciennes colonies portugaises d’Afrique ce qu’est l’histoire des Gaulois pour les françaises.

Les trois premières décennies de la République salazariste perpétuent les fortes inégalités sociales entre colons et colonisés et l’idéologie évolutionniste instaurées durant la fin de la période monarchique. L’éducation de la population noire demeure cantonnée à l’œuvre missionnaire et la lusophonie l’apanage d’une micro-élite urbaine, majoritairement métisse.

4.3.5 Synthèse

Dès sa mise en place, l’État nouveau de Salazar perpétue l’idéologie impériale et s’appuie sur l’idéologie de la mission civilisatrice. La discrimination linguistique est officiellement inscrite dans le décret Norton de Matos. La majorité de l’enseignement destiné aux habitants classés comme indigène est déléguée aux missionnaires.

L’alphabétisation de la population noire d’Angola est alors quasiment inexistante.

Nous avons fait le choix d’insister sur les textes officiels dans la mesure où ils maintiennent et renforcent les catégories distinguant les Angolais entre eux et, de ce fait, ancrent dans les esprits des représentations et des distinctions sociales non sans conséquences pour la période postcoloniale. La figure de l’indigène noir, non lettré et rarement lusophone, préfigure celle de l’Angolais postcolonial exclu du champ socioéconomique dominant constitué par la micro élite, souvent métisse. La maîtrise de la langue portugaise, emblématique pour la période salazariste des immenses disparités sociales, constitue alors un levier rarement accessible pour s’élever dans l’échelle sociale.

4.4 Période coloniale. L’Angola terrain de peuplement portugais et de révoltes indépendantistes (1961-1975) : quelles conséquences pour les langues et l’éducation ?

Après la Seconde Guerre mondiale, l’économie de la province angolaise connaît une forte croissance, en particulier à Luanda. Avec ce développement économique, la capitale se peuple de manière exponentielle et la proportion de la population blanche croît rapidement. Pélissier (1976 : 1182-1183) parle ainsi de la « désafricanisation » de la population et qualifie Luanda de ville « lusotropicale » au sens où ce sont les revenus des habitants qui déterminent leur quartier d’habitation et non leur couleur de peau.

1930 1940 1950 1960

Blancs 11,8 % 14,7 % 14,6 % 24,7 %

Métis 11 % 10,1 % 6,9 % 6,1 %

Noirs 77,2 % 75,2 % 78,5 % 69,2 %

Population

totale 50 588 61 028 141 647 224 540

Figure 16 : Évolution de la population luandaise en trente ans, adapté de Pélissier (1976 : 1182)177.

En l’espace de trente ans, on passe de 6 008 à 55 567 habitants blancs et la population totale de la ville est presque multipliée par cinq. En 1959, la discrimination par couleur de peau se traduit en particulier au niveau salarial : à travail égal, les Européens gagnent entre deux et neuf fois plus qu’un indigène.

En dehors de la capitale, la population portugaise augmente également en raison du développement des surfaces cultivées, notamment pour la production de café et de coton. La langue portugaise pénètre ainsi progressivement d’Ouest en Est : le besoin croissant de main-d’œuvre entraîne des mouvements de population importants et la nécessité d’une lingua franca se fait sentir. Le portugais commence à devenir la langue véhiculaire dans les régions les plus colonisées et dans les centres urbains (Coelho, 2002).

Dans la phase finale de la colonisation, l’Angola est une colonie de peuplement dans laquelle les discriminations raciales sont fortes. La constitution progressive d’une élite locale depuis le 19e siècle contribue, en sus du contexte international, à mettre en

177 Pélissier fait appel aux chiffres des recensements officiels du gouvernement portugais. Ils ne sont pas forcément fiables mais permettent d’avoir un aperçu global de la société luandaise durant cette période.

question le système colonial. À partir de 1961, le pouvoir colonial doit faire face à une guerre d’indépendance fondée sur la montée des nationalismes.

4.4.1 Idéologie coloniale : une forme d’anachronisme propre à