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Cette recherche s’inscrit dans une démarche géographique, tout en se nourrissant de travaux d’autres disciplines (sociologie, anthropologie, science politique...), au croisement de différents champs d’étude pluridisciplinaires. Ainsi, elle se situe à l’articulation d’une géographie des ressources questionnant leur processus de construction et de régulation, d’une géographie politique analysant les relations de pouvoir entre acteurs et d’une analyse des dynamiques des territoires, qui se centre en particulier sur les trajectoires des espaces de marges.

Avant de présenter ces différents champs d’étude, il me paraît important de préciser que l’élaboration de cette thèse intervient dans un contexte où le « triangle du lithium » constitue un objet de recherche peu documenté en sciences humaines et sociales, que ce soit dans le milieu académique européen ou sud-américain. Peu nombreux au début de cette recherche en 2016, les travaux sur le lithium andin se multiplient les années suivantes. Ils proposent généralement une analyse portant exclusivement sur l’un des trois pays composant le « triangle »9 : l’Argentine (Fornillo, 2015 ; Nacif, Lacabana, 2015 ; Fornillo, 2018), la Bolivie (Ströbele-Gregor, 2012 ; Guzmán Salinas, 2014 ; Revette, 2016 ; Fornillo, 2017 ; Olivera Andrade, 2017 ; Sérandour, 2017 ; Sanchez-Lopez, 2019) ou le Chili (Göbel, 2013 ; Gundermann, Gobel, 2018 ; Cademartori et al., 2018). Rares sont les analyses s’intéressant aux relations entre deux des trois pays composant le « triangle », comme les travaux de post-doctorat de B. Jérez, à l’université de Salta (Argentine). Quant à l’échelle régionale, elle n’est jamais envisagée, ou presque (en 2019, un ouvrage collectif cherche à proposer une vision intégrale du lithium sud-américain (Fornillo, 2019), mais en juxtaposant des cas d’études sans véritable analyse régionale). De manière générale, les analyses de sciences humaines et sociales sur le lithium sud-américain restent peu nombreuses, alors même que cet espace connaît des transformations importantes, liées à l’intérêt mondial pour cette ressource.

Au-delà de la réflexion sur les dynamiques d’intégration de marges à l’heure globale, cette thèse a donc pour objectif d’enrichir les connaissances sur la géographie politique du lithium en Amérique du Sud. Il s’agit à la fois de compléter et de prolonger les analyses existantes aux échelles nationales et locales et de proposer une nouvelle perspective, en envisageant le « triangle du lithium » dans son ensemble. Cette perspective consiste non seulement à prendre en compte l’échelle régionale dans l’analyse de cet espace transfrontalier, mais aussi à considérer le « triangle

9 Je mentionne ici les travaux publiés, auxquels il faudrait ajouter un certain nombre de mémoires, thèses et communications pour dresser la bibliographie complète des études menées sur le lithium sud-américain en sciences humaines et sociales.

du lithium » dans la pluralité des éléments qui le composent (ressource, représentations, flux, infrastructures).

Géographie des ressources : objet classique et intérêt renouvelé

Les géographes portent un intérêt ancien aux ressources naturelles et aux matières premières (Deshaies, Mérenne-Schoumaker, 2014). Au départ, il s’agit principalement de répertorier les gisements et leur répartition sur les territoires, dans une perspective descriptive, avant tout inscrite dans une démarche de géographie économique et commerciale. Il existe toutefois quelques travaux qui portent déjà une attention aux impacts environnementaux des activités extractives, tels que ceux de J. Brunhes (1910). Puis, à partir du milieu du XXe siècle, les études se diversifient, abordant par exemple l’histoire des activités minières, s’intéressant aux paysages miniers et aux acteurs de cette exploitation, à l’image de l’ouvrage Géographie des mines (Lerat, 1971). Au gré des mutations du secteur, les travaux de recherche évoluent : au regard économique sur les ressources s’ajoute notamment le prisme géopolitique. Le lien entre États et ressources (Bridge, 2014), et notamment le rôle de ces dernières dans le développement des territoires alimente de nombreux travaux à partir de la fin du XXe siècle. Ainsi, un champ de réflexion prend forme autour de la « malédiction des ressources naturelles », avec des auteurs qui mettent en avant le lien entre l’abondance de ressources et les difficultés économiques, politiques et géopolitiques des pays qui en sont dotés (Karl, 1997 ; Ross, 2001 ; Auty, 2004 ; Soares de Oliveira, 2007), tandis que d’autres interrogent, voire dénoncent, une vision déterministe et généralisatrice (Rosser, 2006 ; Donner, 2009 ; Magrin, 2013).

Depuis le début du XXIesiècle, les ressources font de nouveau l’objet d’un fort intérêt de la part des géographes, dans un contexte de boom extractif caractérisé par une forte demande en matières premières et des prix élevés, ainsi qu’une inquiétude et des questionnements sur la finitude de certaines ressources. Les liens entre ressources et développement (Lagos, Blanco, 2010 ; Magrin, 2013 ; Gaudichaud, 2016 ; Venables, 2016 ; Bebbington et al., 2018), ou entre ressources et pouvoir (Bridge, Jonas, 2002 ; Watts, 2004 ; Hogenboom, 2012 ; Perrier Bruslé, 2015b) font donc l’objet d’études de plus en plus nombreuses, qui montrent que les ressources constituent un enjeu politique. Les relations de pouvoir autour des activités extractives influencent les représentations et pratiques de l’espace (Bebbington, Humphreys Bebbington, 2009 ; Perreault, 2009). Les géographes analysent également les configurations territoriales liées à l’exploitation des ressources, allant de la formation d’enclaves (Antheaume, Giraut, 2005 ; Donner, 2014) au processus de fragmentation territoriale (Watts, 2004 ; Sébille-Lopez, 2005). Par ailleurs, les impacts environnementaux de

l’extractivisme (Bridge, 2000 ; Deshaies, 2016) et les liens entre environnement et développement sont de plus en plus étudiés (Pinton, Aubertin, 2000 ; Broad, Fischer-Mackey, 2016). Les recherches adoptent également une perspective critique, se focalisant sur l’analyse de discours, de production de savoirs, de représentations. C’est par exemple l’approche de la Political ecology, qui cherche à déconstruire les relations des sociétés avec l’environnement non-humain (Blaikie, Brookfield, 1987 ; Gautier, Benjaminsen, 2012), y compris en contexte minier (Watts, 2001).

Les ressources constituent désormais un objet classique de la géographie (Rosière, 2007). Ma recherche s’inscrit dans la perspective des réflexions nées de l’intérêt renouvelé pour les ressources, dans cet ensemble de travaux qui cherche à brosser le portrait des relations entre nature et société face à l’urgence de la transition énergétique.

Cet intérêt renouvelé pour l’analyse géographique des ressources prend forme dans un contexte de forte pression sur les gisements – augmentation de la demande, inquiétudes sur la finitude des réserves et volonté de transition énergétique –, lié à la mondialisation contemporaine. Loin de constituer de simples modalités conjoncturelles, les dynamiques et logiques de la mondialisation invitent à modifier le regard sur les ressources. Parce qu’elles circulent dans des réseaux déployés à l’échelle planétaire et parce que des acteurs transnationaux interviennent à différentes étapes de leur processus de production, les ressources sont bel et bien mondialisées (Magrin et al., 2015). Rompant avec les approches centrées sur l’échelle locale (Ostrom, 1990 ; Gumuchian, Pecqueur, 2007), différentes démarches ont donc été adoptées par les géographes pour appréhender cet objet mondialisé. Il y a par exemple l’approche par les Global Production

Networks (GPN), issue de réflexions économiques et sociologiques sur les Global Commodity Chains (GCC). Certains géographes ont adopté le cadre analytique des GPN afin de lier les espaces

miniers aux autres échelles, en s’attachant à l’étude des réseaux de production globale et à leurs configurations spatiales (Bridge, 2008 ; Smith, Mahutga, 2009 ; Mayes, 2015 ; Radhuber, 2015). Je me distingue de cette démarche, dans la mesure où ma réflexion s’inscrit davantage dans la veine de travaux partant « du postulat que la mondialisation contemporaine doit conduire à observer les circulations entre les échelles (Swyngedouw, 1997 ; Brenner, 2001) et à faire de l’échelle moins une catégorie ontologique qu’une réalité épistémologique (Jones, 1998 ; Magrin et al., 2015 : 7). Les ressources prennent forme à différentes échelles et dans l’articulation entre celles-ci. Dans cette perspective, les échelles sont appréhendées comme de véritables constructions sociales et politiques (Brenner, 2001 ; Marston, 2000 ; Masson, 2009), résultats de pratiques et de projets d’acteurs.

De ce fait, ma recherche se place dans la continuité des travaux qui envisagent les ressources comme des objets dynamiques, spatialement situés et socialement construits (Zimmermann, 1933 ;

Raffestin, 1980 ; Redon et al., 2015). Ces constructions sociales résultent de relations entre acteurs, ainsi que d’interactions entre acteurs et environnement, et s’inscrivent dans un espace caractérisé par ses dynamiques politiques, économiques, culturelles, sociales, environnementales et symboliques. Elles s’insèrent également dans une époque : une ressource existe parce qu’elle acquiert une utilité dans un contexte donné (Magrin et al., 2015) et qu’un acteur est capable de mobiliser une technique pour la mettre en valeur. C’est pourquoi C. Raffestin écrit qu’« il n’y a pas de ressources naturelles, il n’y a que des matières naturelles » (1980 : 205) : la matière existe par nature, la ressource est construite socialement.

S’appuyant sur ce fondement, un certain nombre de chercheurs se sont alors intéressés aux processus de régulation, c’est-à-dire aux arrangements sociopolitiques définissant les conditions de protection ou d’exploitation d’une ressource (Bakker, 2000 ; Perrier Bruslé, 2015b). Cette thèse s’attache également à l’étude de ces processus, riches d’enseignements sur les rapports d’acteurs aux ressources et aux espaces. En effet, il s’agit de négociations sur les relations entre nature et société, d’une pratique à la fois sociale (Clark, 1992) et discursive (Bakker, 2000). La régulation concerne aussi bien les modes de gestion de la ressource que les représentations et la dimension politique de la ressource. Les processus de régulation constituent ainsi l’un des fils rouges de ma lecture de la géographie politique du lithium sud-américain.

Les ressources en Amérique du Sud : un champ foisonnant

Étudier une ressource « naturelle » en contexte sud-américain nécessite de se positionner dans un contexte politique et scientifique spécifique. Historiquement, « les ressources minières – et plus généralement les ressources issues de la nature – sont au cœur de l’incorporation violente de la région latino-américaine au système-monde » (Gaudichaud, 2016). Elles ont motivé la colonisation du continent (Galeano, 1971), entraînant la mise en place d’un système de domination socio-politique qui s’est consolidé au fil des siècles, pour devenir – dans le cadre de la mondialisation contemporaine – une dépendance aux exportations de ces ressources et au marché mondial (Svampa, 2011 ; Gudynas, 2013 ; Deshaies, 2016 ; Gaudichaud, 2016). Cette exploitation des ressources établie en politique de développement économique relève d’une forme « d’accumulation par dépossession », pour reprendre les mots de D. Harvey (2008). En Amérique du Sud, ce système basé sur la libéralisation de l’économie – impulsée par le Consensus de Washington – et sur l’exportation de ressources naturelles est qualifié d’extractivisme (Acosta, 2011 ; Svampa, 2012 ; Denoël, 2019). Il s’est renforcé dans les années 1980-1990, avec les plans d’ajustement structurel. Puis, dans les années 2000, ce système extractiviste devient une véritable politique d’État (Denoël,

2020), à travers la naissance d’un modèle néo-extractiviste dans lequel l’État joue désormais un rôle actif d’encouragement des activités extractives. Ce néo-extractivisme suscite alors d’importants débats à travers tout le continent. Le rôle des États dans la régulation des ressources, la place des entreprises transnationales et les choix de modèle de développement, mais aussi les impacts économiques, sociaux et environnementaux locaux font l’objet de discordes. Organisé, voire institutionnalisé, le débat est incarné par des leaders politiques, des luttes indigènes et des mouvements anti-extractivistes.

Dès la fin du XXe siècle, les chercheurs sud-américains s’emparent de ces discussions (Goirand, 2010) en les intégrant au champ académique et en participant au débat politique (Gudynas, 2009b ; Delgado Ramos, 2013b ; Gudynas, 2015 ; Alimonda et al., 2017a). Courant emblématique de cette réflexion politique environnementaliste, l’Ecología Política développe une pensée critique à l’égard du modèle de développement occidental. Ses partisans dénoncent un système de domination politico-économique soutenu par des structures d’exploitation destructrices, affectant aussi bien les milieux naturels que les populations, souvent parmi les plus vulnérables. Face à ce constat, l’Ecología Política propose une vision alternative des relations nature-société, en lien avec les mouvements sociaux écologistes. Cette « tradition politico-intellectuelle spécifique » (Alimonda, 2017) invite à une relecture de l’histoire extractive sud-américaine, se situant à la confluence de l’histoire environnementale et politique, de la géographie critique et des études culturelles (Delgado Ramos, 2013a ; Leff, 2015 ; Toro Pérez, Martín, 2017). L’Ecología Política s’inscrit donc dans les débats politiques contemporains et alimente les luttes anti-extractives, mais aussi plus largement les mouvements dé-coloniaux, anti-capitalistes et anti-patriarcaux du continent. Si ma recherche se nourrit des réflexions de l’Ecología Política, qui sont particulièrement riches et comportent un effort intéressant de théorisation sur l’extractivisme, je me distingue toutefois de cette approche, ancrée dans une histoire académique, épistémologique et politique spécifique. De plus, je m’en différencie par les choix d’objets d’étude. Les chercheurs ancrés dans ce courant latino-américain proposent une lecture des activités minières par le prisme des mobilisations collectives qui s’y opposent et des conflits qui en émergent (voir notamment Svampa, Antonelli, 2009 ; Svampa, 2011 ; Alimonda et al., 2017b). Cette conflictualité socio-environnementale engendrée par les projets miniers en Amérique du Sud est indéniable. Toutefois, cette entrée conduit à présupposer le conflit. Autrement dit, elle amène à considérer les activités minières comme structurellement conflictuelles et les inscrit dans le registre de la dénonciation d’une « malédiction des ressources naturelles » (Acosta, 2009 ; Gudynas, 2015), sans interroger les

biais d’une telle approche10. L’entrée par les conflits n’est pas l’apanage des chercheurs sud-américains : cette lecture se retrouve chez des géographes nord-sud-américains et européens qui étudient le rôle des conflits miniers dans la construction des ressources et de leur régulation (Le Billon, 2008 ; Bebbington, 2009 ; Humphreys Bebbington, Bebbington, 2010 ; Perreault, Valdivia, 2010 ; Korf, 2011 ; Bos, 2017). Au-delà du contexte extractif, les conflits sont analysés par un certain nombre de chercheurs comme un apprentissage social et un vecteur de transformations spatiales.

Les projets d’exploitation du lithium sud-américain ne sont pas dénués de tensions sociales, ni de rapports de pouvoir, et se différencier de l’approche par les conflits ne signifie pas ignorer ces tensions. Simplement, je ne fais pas du conflit le point d’entrée de mon analyse. Pour aborder les rapports de pouvoir observables dans le « triangle du lithium », j’adopte une perspective de géographie politique, qui privilégie une entrée par le territoire, les acteurs et leurs représentations.

Une approche par la géographie politique

En tant que construction sociale, toute ressource s’inscrit dans des rapports de contrôle, de confrontation, de pouvoir. Dès lors, les relations entre acteurs constituent une clé de lecture essentielle pour saisir la manière dont la définition et le contrôle d’une ressource géographiquement située engendrent des dynamiques d’intégration et façonnent les territoires à différentes échelles. Dans cette perspective, la géographie politique se révèle être une approche particulièrement éclairante.

L’analyse relationnelle de l’espace et du pouvoir proposée par le géographe structuraliste C. Raffestin (1980) constitue une base féconde à partir de laquelle penser le « triangle du lithium » dans sa complexité territoriale. Au-delà de sa définition des ressources par le prisme de l’intentionnalité, C. Raffestin propose un système de pensée intéressant pour étudier les relations entre nature et société. En effet, sa proposition théorique passe notamment par la notion de territorialité (Raffestin, 1986 ; 1989 ; 1996), qu’il envisage dans une approche relationnelle : « la relation avec le territoire est une relation qui médiatise ensuite les rapports avec les hommes, avec les autres » (Raffestin, 1980 : 144). Malgré la réception mitigée de Pour une géographie du pouvoir au moment de sa publication, la critique éclairée des cadres analytiques de ses précurseurs – notamment F. Ratzel – et la capacité théorique de l’auteur ont assuré une influence internationale à l’ouvrage. En effet, celui-ci est rapidement traduit en italien (1981), puis il le sera en portugais

10 Nous avons développé cette critique des approches conflit-centrées et identifié ses biais à l’occasion du Congrès AFSP Bordeaux 2019, dans la communication suivante : SÉRANDOUR Audrey, REY-COQUAIS Solène, MAGRIN Géraud, GAUTREAU Pierre (2019), « Extractivisme sans conflit ? A propos de quelques interactions inattendues entre mines et territoires (Argentine, Bolivie, Chili, Pérou) », Communication au 15e Congrès de l’Association française de science politique (AFSP), Sciences Po Bordeaux, Pessac, 3 juillet 2019.

(1993) et en espagnol (2013). En France, l’ouvrage et la pensée de C. Raffestin ont été redécouverts dans les années 2010 par un certain nombre de géographes s’intéressant aux ressources (Magrin, 2013 ; Redon et al., 2015 ; Amilhat Szary, 2019), dont les travaux alimentent également ma recherche. Sa réédition aux éditions de l’ENS en 2019 témoigne de cet intérêt renouvelé pour les travaux de C. Raffestin.

Si cette thèse se situe dans le champ de la géographie politique, elle puise aussi dans les réflexions de l’école française de géopolitique sur les rivalités de pouvoir pour le contrôle d’un territoire (Lacoste, 1993). Dans leur analyse du rapport des acteurs à l’espace, Y. Lacoste et ses successeurs accordent une attention particulière aux représentations. De la même manière, ma démarche prend en compte les représentations et imaginaires sociaux, car ceux-ci expliquent les projets d’acteurs et déterminent leurs choix ou stratégies. Toutefois, je ne me place pas dans la perspective d’une géographie des représentations ; en matière de géographie politique, j’envisage les représentations autour de l’espace ou du territoire comme des construits sociaux dont la déconstruction et l’analyse permettent de saisir des jeux d’acteurs. En ce sens, et au-delà des propositions méthodologiques de l’école française de géopolitique, je m’inscris dans la continuité des réflexions de géopolitique critique portées par G. O’Tuathail et J. Agnew (1992). Ces derniers considèrent que « la géopolitique n’est pas seulement une description de politiques pensées dans l’espace, mais aussi des discours à "déconstruire" », dans la mesure où « ces discours sont des produits qui façonnent les représentations du plus grand nombre » (Rosière, 2007). La déconstruction des discours et l’analyse des représentations permettent d’intégrer la subjectivité des acteurs – et donc leurs points de vue – dans l’étude de leurs stratégies et pratiques territoriales.

Enfin, l’approche par la géographie politique permet d’envisager le « triangle du lithium » dans la diversité de ses échelles d’inscription. En effet, la géographie politique se soucie des échelles et de leur production sociale, ainsi que de leurs intersections et chevauchements (Lasserre

et al., 2016). Les échelles constituent des niveaux d’analyse, caractérisés par leur taille, qui

permettent d’appréhender un même objet de différents points de vue. Étudier un salar à l’échelle locale permet d’appréhender les relations entre entreprises extractives et populations voisines ; tandis qu’une analyse à l’échelle du pays donne accès à une autre information, sur les modalités de régulation de la ressource et son insertion dans les imaginaires nationaux ; enfin, l’étude de ce même salar à l’échelle mondiale amène à considérer les réseaux de valorisation du lithium et leurs logiques. Cela dit, les échelles ne varient pas uniquement dans le regard porté par le géographe : il s’agit d’une dimension constitutive des processus socio-spatiaux. En ce qu’elles sont des constructions sociales (Brenner, 2001 ; Marston, 2000 ; Masson, 2009), les échelles peuvent résulter de pratiques et projets d’acteurs. La pertinence de l’échelle d’observation relève donc aussi de

logiques d’acteurs. Ainsi, « l’analyse multiscalaire souligne la contingence des configurations spatiales des sociétés humaines, produit du jeu des relations entre homme et milieu, et le rôle prépondérant de l’homme et des sociétés humaines dans leur adaptation particulière et leur façon, unique pour chaque groupe et chaque époque, de concevoir leur rapport à l’espace » (Lasserre et al., 2016 : 66). Les échelles s’inscrivent dans des rapports de force (Smith, 1984 ; Swyngedouw, 2004). Elle se trouvent au cœur des relations de pouvoir et des interactions observées autour des projets d’exploitation du lithium andin.

Analyse des dynamiques spatiales et des recompositions territoriales

Enfin, réfléchir aux effets de la mondialisation sur les espaces de marge sud-américains, c’est s’intéresser aux dynamiques spatiales et aux recompositions territoriales qu’engendrent les projets d’exploitation des salares andins. La mondialisation d’une ressource implique des reconfigurations des rapports sociaux et spatiaux dans les territoires où se situent les gisements, dans une dialectique local-global (Swyngedouw, 2004). Partant d’une définition relationnelle de la marge, entendue comme un espace à la position singulière dans un système territorial (Prost, 2004 ; Monot et al., 2016), ma réflexion vise à comprendre la manière dont l’articulation avec l’espace mondial modifie ce système. En somme, cette recherche s’intéresse à la pratique que les acteurs ont de l’espace, et aux mutations des relations que les sociétés entretiennent avec leur espace.

J’emprunte à C. Raffestin son acception des notions d’espace et de territoire, inspirée des travaux de H. Lefebvre. L’espace impose une réalité matérielle, à partir de laquelle les pratiques et relations entre acteurs façonnent un territoire :

« Le territoire est généré à partir de l’espace, il est le résultat d’une action conduite par

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