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Insertion dans les réseaux globaux de production et de commercialisation

I – Les marges se connectent au monde

A. Insertion dans les réseaux globaux de production et de commercialisation

L’exploration et l’extraction minières constituent les premières étapes de la chaîne de valeur d’une ressource, avant ses différentes phases de transformation, puis de commercialisation. Les gisements, et plus largement les espaces extractifs sont ainsi liés à des réseaux globaux de production et de commercialisation (Gudynas, 2015). Ils les alimentent en ressources et permettent le maintien de processus productifs répartis sur l’ensemble du globe.

Ainsi, les exploitations lithinifères sud-américaines fournissent des réseaux mondialisés dont elles font intrinsèquement partie. Décentrer le regard en considérant ces réseaux apporte un nouvel éclairage sur les gisements. En effet, si la production de lithium ne représente respectivement que 1,8 % et 0,5 % des exportations totales de minerais de l’Argentine et du Chili (données ONU pour 2015), les exportations sud-américaines alimentent la moitié du marché mondial de lithium (illustration 17). Ce changement de perspective montre que les gisements lithinifères andins jouent un rôle crucial à l’échelle mondiale.

Illustration 17 – L’Argentine et le Chili fournissent une large part du lithium mondial

Source : USGS, 2008 ; USGS, 2018. Réalisation : Audrey Sérandour, 2018.

Ce diagramme présente la quantité de lithium (en tonnes) produite par les principaux pays producteurs, en 2006 et en 2016. Les États-Unis n’y figurent pas, car les données ne sont pas divulguées par les

entreprises.

En 2006, le Chili produisait 35 % du lithium mondial et l’Argentine 12,3 %. En 2016, ils produisent respectivement 37,6 % et 15,3 %.

Ce graphique montre que quatre pays produisent la majorité du lithium mondial (en volume) : le Chili, l’Australie, l’Argentine et la Chine. Les deux premiers dominent largement le marché, se relayant en tête du classement. Au Chili, les exploitations d’Albemarle et SQM sont en phase d’expansion. En Australie, les projets se multiplient. Entre 2006 et 2016, le Chili a ainsi connu une hausse de 75 % de sa production et l’Australie de plus de 150 %. L’Argentine, entrée plus récemment sur le marché, s’impose également peu à peu dans le paysage depuis le début des années 2000 : sa production a doublé entre 2006 et 2016 (passant de 2 900 à 5 800 tonnes). Quant à la Chine, elle a connu un pic de production entre 2011 et 2013, avant de perdre des parts de marché. En 2016, sa production était de 2 300 tonnes de lithium. Toutefois, elle est repartie à la hausse en 2017, avec un record historique pour le pays de 6 800 tonnes de lithium produites.

Enfin, la Russie et le Canada ont mis fin à leur production de lithium en 1997 et 2009 respectivement (Hache et al., 2018a : 18). S’ils occupaient une large part du marché dans les années 1990, aux côtés du Chili et de l’Australie, ils ne figurent plus parmi les pays producteurs en 2016. Notons toutefois que depuis 2016 de nouveaux projets d’exploitation de lithium en roche émergent au Canada, notamment au Québec, avec Nemaska Lithium Inc.

L’Argentine et surtout le Chili jouent donc un rôle clé dans la production mondiale de lithium. Toutefois, dans la mesure où ils n’industrialisent pour l’instant pas cette ressource et ne développent pas sa chaîne de valeur sur leur territoire, leur consommation intérieure est inexistante et leur production intégralement exportée. D’un point de vue strictement productif, ces espaces extractifs andins sont donc des espaces extravertis, intégrés au marché mondial et à ses réseaux, mais pas aux marchés nationaux argentin, bolivien ou chilien.

Le lithium produit en Argentine et au Chili est principalement exporté depuis la côte chilienne, et plus spécifiquement les ports d’Antofagasta et de Tocopilla. L’entreprise SQM dispose d’un accès exclusif au port de Tocopilla, où un bras mécanique télescopique a été construit en 1961 spécifiquement pour le transport du salpêtre en vrac. Aujourd’hui, cette infrastructure sert au chargement d’une diversité de produits, dont le carbonate et les hydroxydes de lithium, qui voyagent également en vrac. Puis, les produits sont acheminés un peu partout dans le monde, principalement en Asie de l’Est et aux États-Unis, mais aussi en Europe (illustration 18). Précisons que si la Belgique occupe une place significative sur ce diagramme, cela est dû à sa position géographique côtière et à ses infrastructures portuaires, par lesquelles transite une grande part du lithium importé en Europe. La Belgique ré-exporte 94 % de ses importations de carbonate et d’hydroxydes de lithium (données UN Comtrade, pour 2016).

Illustration 18 – Des exportations de carbonate de lithium principalement vers l’Asie

Source : UN Comtrade Database, 2019. Réalisation : Audrey Sérandour, 2019.

Le diagramme présente les destinations des exportations de carbonate de lithium, depuis l’Argentine et le Chili, en 2016. Si 42,6 % de la production argentine partent à destination des États-Unis, c’est parce que l’entreprise étasunienne FMC dispose d’usines de transformation du carbonate de lithium dans ce pays.

Le diagramme montre que les plus grands importateurs de lithium sont des pays où se sont largement développées les industries de l’équipement électronique, mais aussi des véhicules électriques : Chine, Corée du Sud, États-Unis, Japon. Le lithium y est principalement employé dans la construction de batteries, notamment pour véhicules électriques, un secteur dans lequel la consommation de lithium est en forte hausse (Hache et al., 2018a). Les entreprises consommatrices de lithium sont donc à la fois des entreprises d’électronique, telles que la compagnie japonaise Panasonic ou la coréenne Samsung, mais aussi des entreprises spécialisées dans la fabrication de batteries comme la compagnie coréenne LG Chem ou les chinoises BYD et CATL. L’ensemble de ces entreprises produit des accumulateurs ion-lithium utilisés dans les véhicules électriques. Le leader actuel de ce marché est Panasonic, qui détenait 33 % des parts de marché en 2016 et qui collabore avec les constructeurs automobiles Volkswagen, Ford et Tesla Motors (Ibid. : 35).

Dans le contexte de la transition énergétique, amorcée depuis le début du XXIe siècle, la demande mondiale en lithium est désormais portée par le marché des batteries pour véhicules hybrides et électriques. Car, si « la demande en petit électronique mobile (téléphone, ordinateur…) a propulsé l’industrie des batteries à la première place [des industries consommatrices de lithium] dès l’année 2015 » (Hache et al., 2018a : 12), le déploiement des véhicules électriques depuis le milieu des années 2010 et les annonces des constructeurs pour les années à venir soutiennent

désormais la demande. En effet, « le marché des véhicules légers électrifiés a été multiplié par 10 en l’espace de 5 ans. En 2016, on comptabilisait 753 000 VE124 au niveau mondial, soit une progression de 40 % par rapport à 2015 » (Ibid. : 33). Cette tendance à la hausse devrait se poursuivre, au moins à moyen terme, dans la mesure où les technologies de stockage des batteries au lithium demeurent actuellement les plus efficientes en termes énergétiques.

Les constructeurs automobiles, situés dans les mêmes régions du monde (illustration 19) cherchent également à sécuriser leurs approvisionnements en lithium – nous y reviendrons.

Illustration 19 – La production automobile se répartit entre l’Asie, l’Europe et les États-Unis

Source : carte issue de l’Atlas Mondes émergents (2012) du Monde Diplomatique.

Le carbonate et les hydroxydes de lithium produits en Argentine et au Chili circulent dans des réseaux de production et de commercialisation qui s’étendent à l’échelle du globe (carte 8). La prise en compte de ce commerce mondial met en évidence les liens de dépendance réciproque entre, d’une part, ces pays sud-américains qui fournissent les matières premières nécessaires aux industries du reste du monde et, d’autre part, le marché mondial dont la demande maintient les investissements en Argentine et au Chili.

Carte 8 – À l’heure de la transition énergétique, le « triangle du lithium » se situe au cœur du marché mondial de production de lithium

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