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Un espace minier : des ressources déterminantes dans le rapport au territoire

I – Un espace transfrontalier composé de marges

C. Un espace minier : des ressources déterminantes dans le rapport au territoire

Du Nord au Sud du continent sud-américain, c’est-à-dire des Caraïbes à la Terre de Feu, s’étire un axe montagneux présentant de fortes concentrations minérales. Cette richesse minière a d’ailleurs « joué un rôle essentiel dans la diffusion du peuplement dans les régions les plus hostiles du continent » (Deshaies, 2016). Comme le formule le géographe A. Bebbington, « l’extraction des ressources a une longue histoire en Amérique latine : en fait, elle pourrait être définie comme l’Histoire de la région »48 (Bebbington, 2009 : 7).

L’espace de marges situé à la triple frontière entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili se situe au cœur de cet axe andin et a vu s’ouvrir de très nombreuses mines depuis l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui. Des coopératives boliviennes aux firmes transnationales installées en Argentine, en passant par les entreprises étatiques comme Codelco (Corporación Nacional del

45 Entretien réalisé avec un géographe de la UBA et du CONICET, en octobre 2016, à Buenos Aires (Argentine). 46 Entretien réalisé avec la maire de la commune de San Pedro de Atacama, en février 2016, à San Pedro de Atacama

(Chili).

47 Entretien réalisé avec un habitant de Peine, ancien employé de Rockwood Lithium et désormais propriétaire d’une agence de tourisme à San Pedro de Atacama, en février 2016, à San Pedro de Atacama (Chili).

48 Extrait original : « Resource extraction has a long history in Latin America: indeed, it could be defined as the

Cobre) au Chili, les exploitations minières s’organisent sous différentes modalités. Elles

s’inscrivent également dans différentes temporalités. La Bolivie s’appuie sur un long passé minier, qui débute avant la colonisation espagnole et a aujourd’hui atteint une certaine stabilité (Gudynas, 2013). De même, au Chili l’activité minière s’inscrit dans le temps long et le désert d’Atacama « constitue un des seuls points du globe où l’histoire de l’occupation humaine repose principalement sur l’exploitation minière » (LIA Mines Atacama, 2018). Alors que de son côté, l’Argentine constitue « la nouveauté minière » (González, 2010 : 9). En effet, l’activité s’y développe surtout depuis l’instauration d’un cadre législatif favorable dans les années 1990. Toutefois, dans les trois pays, l’activité minière est promue politiquement par les États, qui cherchent à attirer les capitaux qui investissent dans le secteur.

En Amérique latine davantage que dans d’autres régions du monde, l’activité minière occupe une place centrale dans la société, notamment parce que ses impacts sur l’économie et le développement font l’objet d’un débat au sein de l’espace public et politique (Gaudichaud, 2016). En Argentine, comme en Bolivie et au Chili, les années 2000 ont vu s’établir le modèle néo-extractiviste progressiste. Répondant à « une nouvelle division territoriale et mondiale du travail » (Svampa, 2011 : 104), mais également à un retour de l’interventionnisme de l’État, il est présenté par les gouvernements sud-américains comme une voie de développement pour leurs territoires. Selon les discours de ces derniers, l’extraction et l’exportation de matières premières généreraient des bénéfices permettant une sécurité économique et une redistribution à l’échelle nationale.

Malgré la variété des contextes nationaux et des processus de régulation, et au-delà de ces aspects politiques et économiques, « ce modèle présente de puissants effets territoriaux » (Gudynas, 2013 : 54). Tout d’abord, il engendre des processus de fragmentation territoriale, dans lesquels les sites d’exploitation deviennent de véritables enclaves mondialisées (Magrin, Perrier Bruslé, 2011 ; Magrin et al., 2015 ; Forget, 2015). D’autre part, l’imposition de la géographie minière a des conséquences sociales et environnementales, telles que le déplacement de populations ou la perte de biodiversité (Gudynas, 2013 ; Brain, 2017). Enfin, l’extractivisme impose une vision de la nature comme entité distincte du monde social (Gudynas, 2015), comme produit commercialisable, bouleversant les rapports sociaux à l’espace. Dans le « triangle » andin, l’activité minière est ainsi au cœur du vécu territorial (Raffestin, 1980), dans le sens où elle participe de la définition des relations nature-société. Tous les acteurs n’ayant pas la même conception de ces relations, des conflits sociaux émergent régulièrement autour de projets miniers.

Ainsi, « l’activité minière a façonné les relations économiques, politiques et sociales de la région andine depuis la période coloniale »49 (Brain, 2017 : 411) et détermine en partie les rapports des sociétés à l’espace. En effet, les ressources minières sont associées aux problématiques de souveraineté, de développement territorial et même de sentiment national, car elles ont parfois intégré le récit national (Sérandour, 2017). C’est notamment le cas en Bolivie, où chaque période de l’histoire du pays est associée à une ressource minière (Molina, 2011) et où la majorité des citoyens considère les ressources naturelles de leur pays comme raison fondamentale de leur « fierté d’être bolivien » (données PNUD, 2007 dans Espinoza Morales, 2015 : 50).

L’activité minière prend donc part aux dynamiques nationales, mais elle s’insère également dans des visions de développement à l’échelle locale, en particulier dans les marges. En effet, elle

49 Extrait original : « Mining has shaped the Andean region’s economic, political, and social relations since the

apparaît aux yeux de certains acteurs politiques comme une opportunité, voire la seule, pour les espaces isolés. Ainsi, le directeur national de la Promotion minière argentin estime en parlant de la Puna (zone andine du Nord-Ouest de l’Argentine) que :

« C’est un lieu où il n’y a pas d’alternatives de travail. Il est à 2 500 kilomètres d’un port, il n’a pas d’énergie électrique, il n’a pas de voies de communication importantes, il n’y a personne... qui va aller installer une usine d’automobiles dans la Puna ? Non, les usines de voitures vont s’installer proche des ports, proche de là où il y a de l’énergie électrique, proche de là où il y a de la main-d’œuvre à pourvoir pour l’usine. Personne ne va aller s’installer dans la Puna ! Une usine... de rien ! Parce que c’est loin, parce que le fret est cher. Tout ce qui peut être généré là-bas, la valeur importante qui peut permettre de changer les possibilités pour beaucoup de gens qui vivent là-bas, c’est l’activité minière » (directeur national de la Promotion minière, octobre 2016).

Ces propos illustrent le rapprochement qui est régulièrement fait entre l’espace marginal andin et l’extraction minière. Le lien s’explique par la localisation même des gisements, mais également par les représentations associées aux marges : ces espaces dits désertiques et non-compétitifs d’un point de vue économique se voient assigner un rôle de pourvoyeur de matières premières. Celui-ci serait même l’unique voie de développement possible pour les marges.

À la triple frontière entre l’Argentine, la Bolivie et le Chili, l’activité minière est ancrée dans le territoire. Cette situation trouve ses racines dans une longue histoire minière et se traduit localement par l’incorporation de la mine dans l’identité des populations locales.

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