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1.3 Les organismes de formation

1.3.1 - « Qui » sont les organismes de formation ?

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Les organismes de formation sont dans leur grande majorité des associations, et précisément des fédérations nationales généralement subdivisées, selon l’organisation administrative de la France, en associations régionales et parfois départementales230.

Dans le domaine de l’animation volontaire, seules (« pour l’instant ») sont habilitées des associations231. Ce sont toutes des entités affiliées à une structure nationale, dite « tête de réseau », elle-même habilitée. Dans l’animation professionnelle – et en en restant au territoire des Pays de la Loire –, font exception à cette situation, pour les diplômes qui intéressent ma recherche, l’établissement public du CREPS des Pays de la Loire dont les formateurs sont d’ailleurs des fonctionnaires de la Jeunesse et Sports (CEPJ) ; le CNAM-IFORIS (pour le DEJEPS uniquement) ; un CFPPA (également pour le DEJEPS)232.

L’observation laisse à penser que les différences entre organismes de formation sont plus importantes que, au sein d’un même organisme, les écarts entre (équipes de) formateurs et entre formations233. Ces différences portent sur leur manière de conduire une formation, les caractéristiques sociales de leurs membres actifs, le fonctionnement de l’organisation elle-même, leur conception de l’animation, leurs rhétoriques, leurs manières de raisonner, leurs positions

229 Cf. l’annexe « Les organismes de formation habilités en Pays de la Loire ».

230 Les organismes de formation sont presque tous des fédérations nationales d’association régionales, elles-mêmes

parfois fédérations d’associations départementales. Ces associations régionales comprennent souvent d’autres acteurs de l’animation, en particulier des employeurs. Les associations régionales sont les « briques » opérationnelles de ces structures nationales complexes, celles par exemple auxquelles sont attribuées les habilitations pour la formation professionnelle. S’agissant de fédérations, les associations régionales sont largement autonomes. Le directeur régional est, comme son nom l’indique, le salarié qui dirige une association régionale, l’équivalent associatif du directeur général dans une entreprise. Les intéressés sont encore généralement, mais pas tous, des « gens du métier » de l’animation. La loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui a renforcé les compétences  régionales entre autres sur la formation professionnelle, a donné symétriquement d’autant plus de poids aux directeurs régionaux associatifs dans leurs organisations respectives.

231 22 associations nationales se « traduisant » en Pays de la Loire en 18 associations régionales.

232 Voir en annexe une liste des organismes habilités pour les différentes formations, données de 2016. À noter

l’habilitation d’une formation BPJEPS menée par une association locale, Animaje, dont la vocation est de former les animateurs professionnels nécessaires aux communes du Pays de Clisson (Loire Atlantique). CNAM : Conservatoire national des arts et métiers. IFORIS : Institut de formation et de recherche en intervention sociale. CFPPA : Centre de formation professionnelle et de promotion agricoles.

233 Il y a un « style » spécifique à chaque organisme, reposant théoriquement et souvent rhétoriquement sur des

politiques234. Au sein de chaque organisme elles se traduisent également, de manière très repérable, par un

« uniforme de gestes, de formules et de traits vestimentaires qui [l’]assimilent […] à une culture déterminée. »235

Ces différences sont aussi historiques et identitaires (« nous », « les autres »). Elles sont stabilisées par les normes internes, de plus en plus écrites ; confirmées par les situations objectives de concurrence et les discours de valorisation ou dévalorisation qui les soutiennent ; rendues solides et plus ou moins incontestables par les grands récits et les « corpus idéologiques »236 spécifiques de chaque organisme ; parfois devenues rigides du fait de l’appauvrissement des compétences et des savoirs ; rigidifiées également par les effets de la pression économique et par l’instrumentalisation réciproque de l’organisation par ses membres et des membres par l’organisation.

En ce qui concerne leur activité, on peut classer les organismes de formation à habilitation nationale de l’animation volontaire, qui constituent la plupart de ceux qui sont également habilités régionalement pour l’animation professionnelle, en trois grandes catégories relativement à leur modèle économique. Il y a d’une part les organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, particulièrement de centres de vacances. La formation leur permet d’utiliser au mieux, et les lieux de séjour dont ils sont propriétaires, et leurs animateurs permanents. On peut citer dans cette catégorie la Ligue de l’enseignement, Familles Rurales, l’UFCV, l’UCPA. On trouve ensuite les organismes qui ont une activité principale dans le péri-scolaire, l’accueil de loisirs, et bénéficient souvent pour cela d’une délégation de service public. Ces activités sont peu rémunératrices en elles- mêmes mais elles permettent de disposer de lieux pour les formations et de compléter l’activité des salariés animateurs permanents. C’est le cas des Francas, de l’IFAC, pour partie de l’UFCV237. Enfin il est des organismes dont la seule activité est la formation. Ils doivent donc louer les structures d’accueil pour leurs formations et n’ont pas d’animateurs permanents. Ce qui les fait vivre est constitué par les bénéfices réalisés dans le cadre de la formation elle-même, si cela est possible. Les cas principaux sont l’AFOCAL et les CEMÉA238.

234 Cf. l’annexe « Un essai de caractérisation des organismes de formation ». 235 André Leroi-Gourhan, 1965, tome II, p. 196.

236 Selon la formule d’un dirigeant des CEMÉA.

237 Les deux premières catégories ont donc accès à des possibilités d’optimisation croisées de leurs diverses activités

dont ne dispose pas la catégorie suivante. C’est particulièrement sensible sur le plan budgétaire en raison du coût des lieux de stage.

238 Le CREPS présente une configuration intéressante dont je traite dans une annexe de la 2ème étape, « Le CREPS,

Il est difficile d’avoir des données chiffrées sur les volumes d’activité des différents organismes, ceux-ci les gardant pour eux afin de ne pas donner d’indications à leur concurrence239. On sait toutefois qu’en Pays de la Loire, l’activité de l’animation volontaire est principalement assurée par l’UFCV (environ 2000 stagiaires annuels) les CEMÉA (de l’ordre de 1.800 stagiaires) et les Francas (autour de 1200 stagiaires)240. Celle de l’animation professionnelle est répartie de manière plus homogène entre les CEMÉA, Familles Rurales, les Francas et la FAL, avec un avantage en volume aux deux premiers. Pour les données nationales, F. Lebon apporte des éléments d’information :

« […] jusque dans les années 1970, l’UFCV et les CEMÉA sont en situation de quasi-duopole. Les CEMÉA notamment occupent plus de la moitié de l’espace de formation. De nos jours, ils représentent moins de 20 % du nombre de stagiaires en session générale.

La fin des années 1970 voit en fait l’ouverture du marché […].

Aujourd’hui […] l’UFCV arrive en tête de ces formations avec par exemple, pour la formation générale, environ un quart du marché national, devant les CEMÉA (moins de 20 %) et les Francas (environ 14 %). »241

Mimétisme organisationnel ?

Selon la théorie de l’isomorphisme mimétique242, les organisations qui mènent leurs activités dans un

même champ finissent par faire les mêmes choix organisationnels : face à des contraintes semblables, elles développent des normes et des comportements similaires. Cet isomorphisme proviendrait du fait que les organisations sont fortement ancrées dans leur contexte institutionnel (clients, financeurs, salariés, fournisseurs, réglementation), ce qui engendrerait des réactions proches aux pressions externes. Les auteurs distinguent trois types d’isomorphisme. L’isomorphisme normatif provient entre autres d’un cadre de professionnalisation similaire. L’isomorphisme mimétique est engendré par la tendance des organisations, dans un contexte marqué par l’incertitude, à s’imiter entre elles. L’isomorphisme coercitif est produit par la confrontation au même ensemble de règles sociales, qu’il s’agisse de la réglementation ou des attentes culturelles de la société.

Sur la base de cette théorie, dans quelle mesure y a-t-il mimétisme organisationnel entre les organismes de formation ? Et si ce n’est pas le cas, comment l’expliquer ?

À première vue, les similitudes sautent aux yeux. En raison du cadre réglementaire, les organismes de formation de l’animation volontaire sont tous des associations même si manifestement des entreprises du secteur

239 Comme cela m’a été clairement expliqué par un directeur associatif régional.

240 En n’oubliant pas que chaque formation suppose deux stages. Cela correspond donc à presque deux fois moins

d’individus. Le nombre annuel de BAFA délivrés en Pays de la Loire est d’environ 3.500.

241 Francis Lebon, 2007b, pp. 90-91. Au niveau local (c’est-à-dire celui de la Région), les répartitions d’activité entre

organismes peuvent varier notablement d’une année sur l’autre. Nationalement, ces variations sont plus lentes, le phénomène principal étant l’érosion continue de la position des CEMÉA.

242 Les travaux initiaux sur ce concept ont été publiés dans Paul J. DiMaggio, Walter W. Powell, (1983) « The Iron

Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Irganizational Fields », American

lucratif sont toutes prêtes à s’engager dans ce marché. Par ailleurs, ces associations, pour leurs activités de formation, ont les mêmes clients, les mêmes sources de financement, à peu de choses près les mêmes formateurs, sans qu’aucune ne semble bénéficier de marchés de niche. On constate ainsi que toutes ont le réflexe de chercher à obtenir des marchés « parce que les autres y vont », comme disent leurs directeurs ; de même, face à la concurrence, elles font appel aux mêmes types de solutions. On peut dès lors se demander pourquoi, dans leur fonctionnement interne, certaines maintiennent des modalités associatives avec une volonté affirmée de démocratie interne alors que chez d’autres les instances propres aux associations sont de pure forme243. Selon la

théorie du mimétisme organisationnel, ces diverses modalités devraient converger vers un fonctionnement unique qui serait alors vraisemblablement, sous la pression économique, celui du « pôle marchand » du continuum actuellement observé.

En réalité, tout est une question de distance d’observation.

Les similitudes apparaissent évidentes à distance et erronées examinées de plus près. Tout d’abord, observées non pas pour leurs seules productions de formations mais dans l’ensemble de leurs activités, les associations concernées n’ont pas les mêmes composantes – par exemple certaines fédèrent des employeurs – ni les mêmes activités – d’aucunes font de l’insertion professionnelle, nombre d’entre elles sont en même temps organisatrices de séjours de vacances, certaines prennent en charge des activités périscolaires. D’autre part, si la nature de leur clientèle n’est pas différente et si leur accès aux financements publics est comparable, leurs recrutements de stagiaires sont en réalité marqués par leur implantation géographique et locale : certains sont dominants dans un département et absents des autres, d’autres sont liés à certaines villes. Par ailleurs leurs formateurs professionnels sont pour la grande majorité recrutés dans leur « marché du travail privatif » au sein de leurs effectifs de formateurs occasionnels. Le recrutement de ces derniers ne répond guère à des critères professionnels qui pourraient, selon la théorie du mimétisme organisationnel, engendrer des convergences ; les séductions réciproques, entre formateurs potentiels et organismes, se font dans la plupart des cas sur la base de principes pédagogiques, de « valeurs » ainsi que largement de positions politiques et idéologiques. Si les formateurs semblent les mêmes en ce qui concerne leurs caractéristiques sociales, ils sont nettement différenciés en ce qui concerne leurs croyances. Les organismes prennent d’ailleurs grand soin de cultiver ces différences en les soutenant par une activité discursive continue. Ils les concrétisent également dans leurs dispositions de fonctionnement interne, ce qui explique leurs modalités plus ou moins démocratiques en ce domaine et surtout le maintien de celles-ci dans le temps. Enfin, il faut également faire valoir que, face à des dispositifs qui installent entre eux de la concurrence, typiquement les appels d’offre du financement de la formation professionnelle, les organismes de formation ont été capables de faire taire leurs réflexes antagonistes pour se coordonner et répondre conjointement aux marchés publics correspondants, ce qui au moins pour l’instant leur permet de préserver leurs spécificités244.

243 Cf. l’annexe « un essai de caractérisation des organismes de formation ».

244 Ajoutons que, si je me réfère à ma propre expérience des associations et de nombreuses entreprises, je ne souscris

pas à la théorie du mimétisme organisationnel, qui ne cadre pas avec mes propres observations. Vues de loin, les structures des organisations plongées dans le même environnement peuvent apparaître comme très proches ; ce n’est plus le cas quand on les étudie in vivo. Dès lors la question étudiée me semble quelque peu imprécise : quels types de similitudes cherche-t-on, quelles sont celles qui permettent de conclure ? Les nageoires du requin et du dauphin, les ailes du martinet et du faucon ont des fortes ressemblances, et ce sont pourtant des espèces fort différentes : c’est ce que les biologistes nomment la « ressemblance fonctionnelle ».

Finalement, pour les organismes de formation de l’animation, la question ne se pose pas tant en termes de mimétisme organisationnel que de nécessité éventuelle, à terme, de fusions entre eux. Thème que j’examine par ailleurs245.