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2.2.1 Quelle efficacité ?

L’efficacité étant caractérisée par le meilleur rapport entre la ressource engagée et le résultat obtenu, j’entends la définition que F. Vatin donne de la gestion – « acte de gestion » – comme étant la recherche de l’efficacité :

« J’ai proposé […] de redéfinir l’économie comme acte de gestion, c’est-à-dire comme pratique prenant en considération, dans un calcul implicite ou explicite, le rapport d’un produit à une dépense. »435

Vue par les dirigeants des organismes de formation, l’efficacité a deux cibles principales : les flux et les stocks d’argent, les flux et les stocks de personnes, tous deux à la fois en tant que ressources de production et résultats de celle-ci. Mais ce serait oublier que les organismes de formation ont également des ambitions sociales. Les formateurs, même si ce n’est pas leur seul objectif, visent à ce qu’on peut qualifier d’efficacité pédagogique. En ce domaine ils sont même, on le verra, souvent remarquablement efficaces. On a donc affaire, dans les divers « actes de gestion » de l’activité des organismes de formation, à une multiplicité de types d’efficacités : efficacités financière, productive, pédagogique, idéologique. Sans forcément que les acteurs les nomment ainsi, ils recherchent le meilleur résultat dans ces différents domaines. J’examine donc, dans les pages ci-après et dans la suite de mon exposé, ces différentes formes de recherche de l’optimisation. Et je le fais en règle générale et à chaque fois que cela est pertinent, selon trois facettes : sa visée et son horizon, terme ou délai ; la démarche d’optimisation, si tant est qu’on puisse la nommer ainsi, étant souvent implicite ; les instruments d’appréciation, d’évaluation, de mesure qu’elle met en œuvre pour prendre la mesure du résultat obtenu.

Il faut également, en ce domaine, avoir présent à l’esprit que les finalités des différents acteurs ne sont pas identiques, y compris au sein d’un même organisme, par exemple entre celles de l’organisme lui-même telles que portées par son encadrement et celles des formateurs ou des

435 François Vatin, 2009, p. 24. Cf. la définition que je retiens pour les termes « efficacité » et « efficience » dans le

équipes de formation. Et que, s’il y a des visées explicites – prescrites, explicitées au sein de l’organisme, expliquées aux stagiaires –, il en est d’autres implicites et d’autres encore occultes ou occultées. De même, dans l’environnement des organismes de formation, les intentions et les attentes, là aussi explicites ou non, partant les jugements d’efficacité, ne sont pas les mêmes pour les parents des jeunes stagiaires, les organismes financeurs, les fonctionnaires de la Jeunesse et Sport, les employeurs. Mais aucun de ces acteurs ne perd de vue, même s’ils sont dotés de moyens très différents, cette question de l’efficacité.

Par ailleurs l’efficacité est contingente. Elle est définie et jugée différemment selon les époques et selon les lieux sociaux. Par exemple, pour la même activité, dans le même contexte social et économique, les divers organismes se donnent des raisons d’être différentes : Familles Rurales cherche à développer son réseau d’employeurs ruraux et son action sociale en milieu rural ; les Francas se disent « militants de l’enfance » ; et les CEMÉA visent la transformation sociale via celle de l’éducation. Ces différences correspondent à une histoire collective et à un projet associatif, mais sont aussi ancrées dans des différences d’origine ou de caractéristiques sociales des acteurs. De même, compte tenu des changements intervenus en une génération dans les caractéristiques sociologiques des formateurs, les objectifs que ceux-ci se donnent ainsi que les critères qui leur permettent de juger leur travail sont nécessairement différents. Il n’est pas jusqu’à la conception politique de l’animation, qui fait souvent débat, qui n’ait changé dans le cours du temps, par exemple sur la place relative donnée à l’individu et au collectif dans les formations. Le milieu détermine ce qu’on entend par efficacité, même si tous ont comme but certains résultats fondamentaux, comme des comptes annuels équilibrés ou le maintien d’un volant suffisant de formateurs. Les différences de mesure de l’efficacité – ce que l’on mettrait au numérateur et au dénominateur si on les formalisait ainsi – ne sont pas des différences techniques mais des différences sociales.

La recherche de l’efficacité, partant ce qui est visé, est aussi liée à ce que les acteurs savent faire, c’est-à-dire ce qu’ils imaginent possible. Il y a là aussi une forme de contingence436. Les ambitions initiales des « inventeurs » des formations de l’animation ont été continûment reformulées en relation avec la nature et la stabilité de leurs ressources financières ; elles ne sont pas les mêmes quand celles-ci proviennent du marché que lorsqu’elles étaient constituées en partie importante d’aides étatiques.

L’évaluation de l’efficacité, sa mesure, fait ainsi toujours l’objet de débats de norme. Faut-il ou non mesurer ? Que recouvrent les mots, et donc que faut-il mesurer ? Quelle utilité à la mesure ? Pour en faire quoi ? Quels sont les risques à l’existence d’une mesure ? La mesure ne découle pas

directement, logiquement et inévitablement de l’activité et de ses finalités. A fortiori quand celles-ci sont aussi foisonnantes qu’on peut le constater. Et, en restreignant le champ de vision, quand on suit année après année les critères de jugement qui apparaissent ne serait-ce qu’au travers des documents de présentation d’un « simple » contrôle de gestion437, on se rend compte que ce qui est mis en avant, les enjeux sur lesquels porte le regard et se mesurera l’action gestionnaire, par exemple dans le cadre limité de l’élaboration d’un budget prévisionnel, n’est jamais identique : cela porte, tantôt sur le taux de CDD, tantôt sur l’importance des financements par appels à projet, tantôt sur la contribution des stages à la marge bénéficiaire, tantôt sur la répartition des salaires et les inégalités438. Ces quelques exemples montrent comment, hors le cœur que constitue le compte de résultat, la mesure est essentiellement contingente.