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2.2.2 Le contrôle de gestion

Fondamentalement, les outils du contrôle de gestion servent aux organismes à apprécier la situation économique de leurs différents secteurs d’activité. Il s’agit d’un instrument de mesure, d’un outil de pilotage, d’un dispositif de jugement et de décision439.

« De fait, la critique comme l’éloge de la mesure tendent à la réifier, en la considérant à la fois comme un reflet du réel et une réalité en soi, plutôt que comme une pratique qui transforme le monde autant qu’elle est transformée par lui. »440

Pour ses auteurs, pour ses défenseurs ainsi que pour le sens commun, le contrôle de gestion constituerait un reflet du réel, une photographie représentative et fidèle. Il est plus conforme à mes propres observations d’affirmer qu’il s’agit plutôt d’un dispositif qui transforme ce qu’il mesure, étant bien sûr transformé par lui en retour. Les situations saisies in vivo441 permettent de constater de

437 Lequel pourtant, dans la conception courante, constitue un « investissement de forme » qui, une fois consenti,

donnerait une « forme » stable à la présentation des données et aux analyses qui en résultent.

438 Exemples saisis sur quatre années successives pour les CEMÉA. Par exemple le budget prévisionnel 2018 est

déficitaire, ce qui n’était pas le cas les années précédentes. Il a été corrigé en faisant l’hypothèse – qui bien sûr se transforme ensuite en objectif – d’un meilleur remplissage des stages, passant de 20 à 24 stagiaires par stage. D’où l’apparition d’une mesure de la marge par stagiaire qui n’avait jamais été établie auparavant. L’investissement de forme ne fige pas la forme car il est en permanence remanié.

439 Cf. l’encadré « La comptabilité comme investissement de forme, savoir d’action et activité sociale » dans l’annexe

« Analyse budgétaire de l’activité de formation ».

440 Pauline Barraud de Lagerie et al., 2013, p. 8. À vrai dire, si je partage d’un point de vue général l’affirmation des

auteurs, le caractère « vivant » des outils de contrôle de gestion auxquels j’ai pu accéder contredit quelque peu cette idée de réification.

441 Pour un exemple, cf. l’annexe « “Le secteur Petite enfance est déficitaire” ». Le contrôle de gestion sert ici

d’instrument à des décisions de gestion courante (comment rendre le secteur rentable ?) et stratégiques (faut-il le maintenir malgré tout ?).

quelle manière le contrôle de gestion peut être utilisé pour dire le vrai, fixer des objectifs, éventuellement exercer des pressions hiérarchiques, prendre de décisions y compris stratégiques. Malgré tout, dans les débats qui, par exemple, se déroulent au sein d’un Conseil d’administration442, les informations apportées par le contrôle de gestion ne sont guère perçues comme des constructions qui pourraient être agencées autrement, en utilisant un autre mode d’affectation de dépenses, pour image du réel qui serait alors différente.

Bien sûr, on ne peut sérieusement affirmer que la structuration d’un contrôle de gestion serait arbitraire et seulement une construction destinée à soutenir la démonstration que veut apporter, éventuellement, son auteur. La réalité est intermédiaire : sans être une construction ad hoc, celle-ci peut parfaitement être envisagée autrement, par exemple pour soutenir une autre argumentation.

Cette ignorance collective est un atout pour le dirigeant salarié, en l’occurrence maître du jeu, lorsqu’il veut obtenir certaines décisions. Elle s’appuie souvent sur une forme de rejet épidermique des « chiffres » et de la question économique, largement partagée par les acteurs de l’animation. L’incompréhension est à l’origine de craintes, lesquelles sont également exploitées par le directeur. Lorsqu’il discourt sur la fragilité économique de l’association, il ne peut être contredit et cela constitue un important levier pour justifier ou préparer certaines décisions443.

Les instruments de la mesure économique appliqués spécifiquement aux formations sont quant à eux extrêmement simples. Ils comportent très peu d’informations, essentiellement les dépenses directes en cours de formation. Les formateurs, mêmes les professionnels, n’ont donc guère accès aux informations économiques. Cela ne contribue pas à leur compréhension des enjeux, ni ne leur permet de contredire leur directeur lorsque celui-ci utilise des arguments économiques444.

Ainsi, le contrôle de gestion en tant que dispositif de mesure est tout sauf neutre. Il contient et est structuré par un système de valeurs et un ensemble de choix politiques, au sens des règles de la vie collective, ici associative, et des principes qui la sous-tendent. Il occulte également un pouvoir très efficace pour qui sait le manier. Mais ceux-ci sont enfouis dans l’outil, que seul le directeur associatif maîtrise. F. Vatin écrit à ce propos :

442 Selon les organismes, les Conseils d’administration sont composés de membres actifs élus, donc formateurs « de

base » à peu près néophytes en matière de gestion, ou de dirigeants professionnels de l’animation, tout à fait au fait des outils et raisonnements en la matière. Les discussions et la manière de prendre les décisions y sont radicalement différentes. Pour autant, les administrateurs de la seconde catégorie ne s’interrogent généralement pas plus sur les modalités de la construction du contrôle de gestion et donc sur ce qu’il met en évidence.

443 Ceci est vrai dans la configuration où le directeur ne se réserve pas l’exclusivité de l’analyse économique. Pour

éclairer empiriquement les manières de faire des dirigeants, on peut se reporter à l’encadré « Un conseil d’administration sous tutelle, ou la régulation impossible » (§ 3.2.5) ainsi qu’à l’exemple proposé dans l’annexe « Un budget élaboré démocratiquement ».

444 Cela arrive par exemple lorsqu’un formateur estime que sa charge de travail est trop importante et qu’il a besoin

d’être aidé par l’embauche d’un adjoint. L’injonction « démontre-le moi , ou la réponse « on n’a pas les moyens », éteint rapidement la revendication.

[…] les systèmes de valeurs cachés dans leurs [il s’agit des mesures, des ratios, des dispositifs calculatoires] “boîtes noires”, dès lors que la mesure a été institutionnalisée et opère comme une “machine” […]. Il ne s’agit pas de dire que les machines de gestion n’agissent pas parfois comme des machines déshumanisées, mais de montrer que, comme les machines ordinaires d’ailleurs, elles sont bien des production sociales à visée normative. Si leurs effets ne sont dans doute jamais réductibles à leurs intentions, on ne saurait pour autant les réduire à d’aveugles forces naturelles comme on les présente parfois. »

Et comme le dit un directeur associatif :

« Montre-moi la compta analytique d’une association et je te dirai quelle conception elle a de son rôle social. »

L’investissement de forme consistant à élaborer ce type d’outil est en même temps un processus de cristallisation d’idées, de principes, de concepts et de valeurs.

Le contrôle de gestion est donc un outil de l’efficacité : collective, quand il s’agit de comprendre la situation de l’association et d’en décider des orientations ; personnelle, pour ceux qui en maîtrisent la conception et l’exploitation, singulièrement les directeurs associatifs.