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2.4 Le marché du financement de la formation professionnelle

Dans les formations de l’animation professionnelle, en moyenne environ la moitié des stagiaires bénéficie d’un financement par le Conseil régional, ès compétences légales relatives à la formation professionnelle, ce qui fait de l’obtention de celui-ci un quasi passage obligé pour les organismes de formation513. Contrairement à ce qui a été examiné jusqu’à présent, où l’activité concurrentielle entre organismes se développait dans le marché, ce que nous allons étudier maintenant est une concurrence – ou son contournement – pour le marché. Mon propos est donc de montrer comment fonctionne cette concurrence, quels sont les comportements d’adaptation adoptés par les organismes de formation, comment ils composent avec leur acceptation ou leur refus de principe des mécanismes marchands.

La plupart des organismes de formation de l’animation proposent des formations professionnelles et ont, pour cela, obtenu les habilitations nécessaires par la Jeunesse et Sports. Leurs tarifs étant en général très proches, la concurrence ne se fait guère, comme on l’a déjà vu, sur ce critère.

Le coût d’une formation est élevé et hors de portée de la plupart des candidats à l’inscription514. La quasi totalité d’entre eux cherche donc un financement, qui peut provenir de plusieurs sources : outre le Conseil régional, ce peut être soit leur employeur, (éventuellement via un congé individuel de formation et donc le FONGECIF) ; soit Uniformation, OPCA de l’animation515 ; occasionnellement et en complément Pôle Emploi ; éventuellement une Mission locale, la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) voire l’Europe (Fonds Social Européen FSE)516.

Mon propos se concentre, dans les pages qui suivent, sur le principal dispositif de financement, celui mis en place par la Région dans le cadre de son objectif de lutte contre le

513 La situation des autres stagiaires des formations de l’animation professionnelle est comparable à celle des

stagiaires de l’animation volontaire : ils constituent pour les organismes de formation une clientèle individuelle, atomisée.

514 Il arrive, dans une proportion que l’on peut estimer à 5 à 10 % des stagiaires inscrits en BPJEPS (un participant

tous les deux ans), que certains financent eux-mêmes leur formation : en pratique, ce sont de jeunes animateurs et elle est payée par leurs parents. On m’a parlé d’un cas où la formation a été financée par un prêt étudiant.

515 Uniformation indique que, depuis la loi sur la formation professionnelle de 2014, plus de la moitié des salariés qui

le sollicitent pour le financement d’une formation le font dans le cadre d’une initiative personnelle, sans passer par leur employeur, celui-ci pouvant par ailleurs être informé de la démarche.

516 Il existe en réalité de multiples possibilités pour un stagiaire d’obtenir un financement. À ceux que j’ai cités on

pourrait par exemple ajouter des organismes plus ou moins spécialisés, tels que ceux qui consacrent des fonds à la formation des handicapés (AGEFIPH  Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées). Il n’entre pas dans mon intention d’examiner ces différentes possibilités, qui sont d’ailleurs souvent détaillées dans les sites Internet des organismes de formation. Je me contente, pour l’utilité de mon exposé, de citer les plus fréquents, probables et accessibles aux candidats à la formation.

chômage517. C’est en effet celui qui, de loin, concerne la plus grande proportion de stagiaires et son « poids » est déterminant dans le modèle économique des formations professionnelles de l’animation

Dans cette situation, la plus courante donc, le coût – dit « pédagogique » – de la formation est pris en charge par la Région. Pour être en mesure de suivre une formation, le stagiaire doit également avoir les moyens de subvenir à ses besoins et de payer ses éventuels frais de déplacement et d’hébergement. Ces charges sont généralement financées également par la Région. Si ce n’est pas le cas et si la personne n’a pas de ressources propres (sa famille, généralement), interviennent alors les autres financeurs, le plus souvent Pôle Emploi.

Le financement par l’employeur ou l’OPCA est accordé directement à l’individu, l’organisme de formation n’intervenant pas dans cette relation. Le financement par la Région est au contraire attribué au candidat via l’organisme de formation. À l’issue d’un processus d’appel d’offre relevant des marchés publics, un organisme ou un groupement d’organismes, régionaux ou non, se voit attribuer par la Région un nombre de « places » financées. Jusqu’en 2013, le financement était acquis globalement par l’organisme pourvu que la promotion comporte le nombre convenu de bénéficiaires ; depuis l’appel d’offre ayant abouti en juin 2017, le financement n’est plus global mais individualisé. La différence entre ces deux modalités de financement – à la promotion ou à l’individu – apparaît au grand jour lorsqu’un stagiaire abandonne la formation au cours de celle-ci. Précisément, l’organisme ne peut présenter une facture pour son activité qu’en fonction de la présence réelle des stagiaires, certifiée par leur signature à la demi-journée sur une feuille de présence518. Lorsqu’un stagiaire est absent pour une quelconque raison, par exemple un arrêt maladie, l’organisme n’est pas rémunéré. Ce n’est pas, nous le verrons, sans conséquence pédagogique.

Cette attribution de fonds facilite l’inscription de stagiaires dans les formations proposées et le remplissage des promotions, conditionnant ainsi l’équilibre économique et l’éventuelle rentabilité de la formation. Les organismes qui ne bénéficient pas de cette aide se trouvent donc très défavorisés dans la situation de concurrence entre eux. Pour certains de ceux qui ont gagné l’appel

517 Pour une discussion sur la bonne désignation à adopter, cf. l’annexe « Traitement social du chômage ou politique

de l’emploi ? »

518 Dans le cadre de la première session du marché de 2017, certains organismes ont fait le pari qu’il y aurait des

absences dans leur effectif de stagiaires et que, de ce fait, le budget de la formation qui leur a été accordé ne serait pas dépassé. Pour profiter au mieux de ce budget, ils ont attribué le financement régional à un nombre supérieur à l’effectif nominal. Mais la Région ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle a bloqué les factures du groupement en attendant que la situation qui lui est présentée par ce dernier soit conforme. C’est l’ensemble des organismes du groupement départemental qui a alors été pénalisé par des retards de règlement qui peuvent durer plusieurs mois et porter sur des dizaines de milliers d’euros.

d’offre, le financement peut aller jusqu’aux deux tiers de leur effectif de stagiaires519. Lorsque c’est le cas, ils sont par voie de conséquence potentiellement très dépendants de ces aides.

Si dans les formations de l’animation volontaire, compte tenu du caractère atomisé de ce marché, les organismes de formation peuvent esquiver au moins rhétoriquement la relation de fournisseur à client qui les lie à leurs stagiaires, les formations de l’animation professionnelle présentent les caractéristiques inverses. Leur marché est donc particulièrement intéressant pour observer la manière dont ils se confrontent à cette réalité.

Quel modèle économique utiliser pour analyser la formation professionnelle dans l’animation ?

Trois modèles semblent envisageables auxquels comparer l’activité étudiée, en tant qu’analyseur de celle- ci : les marchés bifaces, la médecine libérale, la formation professionnelle continue.

Les marchés bifaces.

La configuration que je viens de décrire peut-être interprétée, au moins en première analyse, comme un « marché biface » : la formation est « vendue » deux fois, selon deux processus différents, aux individus futurs stagiaires d’un côté, aux financeurs de l’autre520. Chaque face du marché a besoin de l’autre pour qu’aient lieu les

formations et pour atteindre ses objectifs.

Si l’on porte toutefois un regard critique sur l’application de ce modèle, il faut constater que les deux « ressources » du marché, financement régional d’un côté, stagiaires de l’autre, ne peuvent être pensées comme au même niveau, ne sont pas indépendantes, ne peuvent être mises en concurrence521. Les « acheteurs » sont ici

de statuts différents, l’un des deux, les stagiaires (financés), ne contribuant pas financièrement. « Vendre » la formation à ceux-ci consiste à les convaincre de s’y inscrire s’ils sont éligibles, et de ne pas faire défaut ponctuellement ou définitivement durant le cursus. Cette « vente » n’est jamais gagnée mais elle n’est pas monétaire.

Par ailleurs une partie des stagiaires – en moyenne environ la moitié si l’on considère globalement les formations professionnelles de l’ensemble des organismes – bénéficient d’un financement qui leur est accordé par leur employeur, sans intervention de l’organisme de formation. Le marché n’a donc là qu’une seule « face ».

519 Pour les formations financées. Il paraît a priori évident que les organismes de formation ont économiquement

intérêt à « remplir » leurs promotions et à organiser chaque session avec un nombre de stagiaires le plus important possible compatible avec les conditions matérielles et pédagogiques de la formation. Cela résulte, en réalité, de la structure de frais, en particulier de la répartition en frais fixes et frais variables, de cette activité, laquelle détermine le « point neutre », celui au-delà duquel une formation devient rentable, repère essentiel pour les dirigeants dans leur stratégie marchande. Les frais fixes constituent en effet l’essentiel du prix de revient d’une formation. Je traite de cette question dans l’annexe « Une question de frais fixes et d’effectif de stagiaires ». Cf. également l’annexe « Coûts marginaux de la formation à court et à long termes ».

520 Les modèles canoniques du marché biface sont le périodique, vendu aux lecteurs et aux annonceurs publicitaires,

et la carte bancaire, financée à la fois par son utilisateur et par les commerçants.

521 Dans l’exemple de la vente des quotidiens on constate aisément que coexistent des modèles économiques qui vont

du média entièrement financé par la publicité (les « gratuits ») à celui qui vit exclusivement des achats et abonnements (Le Canard enchaîné, par exemple), tous les intermédiaires étant possibles.

La médecine libérale.

La configuration précédente – celle d’un stagiaire financé par son employeur – peut évoquer un autre modèle, celui de la médecine libérale.

Elle consiste en effet en un marché réglementé, où les fournisseurs sont des acteurs libéraux en situation concurrentielle mais dont les prestations sont rémunérées par la puissance publique ; où les clients disposent d’un droit de tirage pour accéder aux services vendus, services qu’ils ne payent pas ; où l’appariement entre fournisseurs et clients fonctionne comme un marché.

Ce modèle paraît cependant présenter nombre de différences avec celui des formations de l’animation, qui en font également un opérateur analytique imparfait. Voici les principales.

Les médecins sont habilités une fois pour toutes, à vie, pour leur activité ; les organismes de formation doivent obtenir cette habilitation pour chaque session de formation. Les premiers n’ont pas à gagner périodiquement un appel d’offre pour obtenir le financement de l’État comme c’est le cas pour les seconds. La clientèle des médecins est atomisée ce qui limite les effets de la perte d’un client (patient) et met rarement en danger leur ressources économiques, alors que le non renouvellement du financement (échec à l’appel d’offre) des formations professionnelles peut occasionner, pour un organisme de formation, la perte totale de sa clientèle en une seule fois, événement susceptible de l’amener au bord de la disparition. L’ensemble engendre sur les médecins une pression économique infiniment moindre que celle que connaissent les organismes de formation. Cela autorise également les premiers à ternir des raisonnements sur le long terme (par exemple pour leurs investissements) avec un risque bien moindre que les seconds522.

Par ailleurs, même s’ils ont le choix des spécialistes, les patients sont liés – le lien est certes lâche – à un médecin généraliste par le système du « médecin traitant », par lequel ils doivent passer pour accéder aux spécialistes ; il n’existe aucune obligation de ce genre pour les stagiaires animateurs. Ce lien, une fois établi, est potentiellement à vie, au moins durable, et pour un grand nombre de consultations alors que les stagiaires de l’animation professionnelle n’achètent, statistiquement, qu’une seule formation.

Notons aussi que la réputation d’un organisme de formation peut avoir une influence sur le devenir professionnel d’un stagiaire. On n’imagine pas aussi aisément que la réputation d’un médecin influe sur la santé future de son patient.

Enfin tous les stagiaires de la formation professionnelle ne sont pas éligibles à un financement de leur formation mais en moyenne la moitié d’entre eux. Ils ne disposent pas d’un droit « de tirage », personnel et opposable ; il s’agit plutôt d’une opportunité résultant de leurs caractéristiques sociales, et ils peuvent être refusés par les organismes de formation s’ils ne répondent pas aux exigences requises (en particulier s’ils n’ont pas trouvé un « lieu d’alternance » ou n’ont pas de ressources pour vivre) ou s’ils sont mal placés dans le classement issu du processus de sélection (en moyenne deux tiers de candidats recalés).

522 L’expérience montre que ce que j’exprime ici en termes économiques se traduit également en comportements.

L’horizon de sécurité dans lequel se trouve un acteur engendre un horizon de raisonnement. Un acteur qui bénéficie d’un grande visibilité ou sécurité non seulement prend moins de risques à investir, mais raisonne plus volontiers dans le long terme et situe son action dans un terme plus long. Partant, il ne mesure pas son efficacité, y compris économique, selon les mêmes modalités.

La formation professionnelle.

Le modèle de la formation professionnelle continue ressemble fort au précédent quant à ses caractéristiques principales : un droit se traduisant par un financement public, attribué à l’individu, lequel a le choix du prestataire sur un marché concurrentiel. Ce modèle présente approximativement les mêmes écarts que le précédent par rapport aux caractéristiques de la formation professionnelle dans l’animation.

Conclusion.

Il faut faire des choix avec ce que cela comporte de renoncements. Malgré ses défauts, le modèle du marché biface m’est apparu, en tant qu’analyseur, comme le plus porteur d’éclairages sur la formation professionnelle de l’animation, et c’est donc sur lui que j’ai choisi d’appuyer le principal de mon examen. Par contre, le modèle de la médecine libérale s’applique mieux à la situation des stagiaires individuels bénéficiant d’un financement à titre personnel, et je ferai donc allusion à ce modèle lorsqu’il me sera utile.