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1.2.1 Pourquoi former des animateurs ?

Obligation légale, besoin de diplôme, croyance dans la formation.

Les formations de l’animation sont rendues nécessaires par la réglementation. Pour encadrer un accueil collectif de mineur, il faut une proportion de diplômés ou de stagiaires en formation BAFA supérieure à 80 % de l’effectif, dirigés par un titulaire ou un stagiaire du BAFD116. Pour encadrer (poste de direction) plus de quatre-vingt mineurs pendant plus de quatre-vingt jours par an, il faut un BPJEPS ou un autre type de diplôme donnant les mêmes « prérogatives ».

Ces obligations légales se couplent avec la sécurité juridique que l’embauche de personnes diplômées apporte aux employeurs117.

Par ailleurs, la société dans laquelle nous vivons partage ce qui semble une évidence : pour exercer une activité à responsabilité – et là, il s’agit le plus souvent de la responsabilité de mineurs –, il faut y être formé. La compétence que tous estiment nécessaire est censée être délivrée par la formation et validée par le titre118. Elle a pour corollaire une autre évidence commune, qui veut qu’une formation soit sanctionnée par un diplôme, comme preuve à la fois de la capacité de la personne et de sa non dangerosité. Les parents des mineurs confiés à l’animation sont, ainsi, eux aussi rassurés par l’existence de ce dispositif de formation et de diplomation119.

116 Précisément, les accueils collectifs de mineurs – déclarés – doivent employer au moins 50 % de titulaires et 30 %

de stagiaires du BAFA, ce qui laisse un peu de place pour ceux qui n’ont encore engagé aucune démarche de formation. A contrario on peut, et dans la suite du décret sur l’aménagement des rythmes scolaires un arrêté de novembre 2014 en a allongé la liste, encadrer des enfants dans le cadre d’un accueil collectifs de mineurs ou d’un accueil péri-scolaire en disposant de certains autres diplômes que le BAFA. Pour l’exotisme, citons le diplôme d’animation de section de jeunes sapeurs pompiers ou le diplôme universitaire de musicien intervenant (DUMI). Le Ministère tient d’ailleurs des statistiques sur le taux de « non BAFA » encadrant des activités d’animation. Pour d’autres précisions, cf. également l’annexe « Trouver un emploi dans l’animation sans être diplômé ? ».

117 Tout simplement parce que, en cas de problème, ils peuvent se défendre en indiquant que leurs animateurs sont

diplômés, donc ont été formés et sont compétents et responsables.

118 Et c’est cette croyance qui amène Michel Fabre (2015, p. 23) à parler de « l’inflation pédagogique ».

119 Les historiens montrent ce que doit le développement, sinon l’origine, de la formation professionnelle (donc à

destination des adultes) et l’idée qu’une formation est un préalable nécessaire à une prise de responsabilité au régime de Vichy et à son action en ce domaine. C’est en particulier l’histoire de « l’école des cadres » (dont la

L’ensemble est soutenu par une autre croyance largement partagée par les classes moyennes culturelles, celle de l’utilité de la première formation de l’animation, le BAFA, pour la maturité des jeunes adultes, citoyens et futurs parents.

En pratique, aucun des acteurs de l’animation n’a donc intérêt à remettre en cause l’utilité des diplômes, partant des formations. Les premiers protègent les employeurs, donnent un sentiment de sécurité aux parents, justifient l’activité des représentants de l’État, rassurent ou donnent de l’assurance aux stagiaires en les autorisant à penser qu’ils sont préparés à l’animation. L’évidence partagée du lien entre formation et compétence permet aux organismes de formation d’en vivre, partant de développer leur projet éducatif et social120.

Un discours de l’engagement social.

Tous semblent d’accord, l’animation est considérée comme une forme de l’engagement social, une contribution à la société, à son caractère apaisé, juste, protecteur et éducatif.

Pour les animateurs les premiers, et contrairement à ce qui se dit volontiers, il ne s’agit pas seulement ni principalement d’un « petit boulot sympa » qui permet de gagner un peu d’argent. Cette motivation n’est classée, statistiquement, qu’en quatrième position, les deux premières étant la contribution à l’éducation des enfants (ce qui est au cœur de la définition de l’animation) et l’engagement social :

« On devient animateur avant tout parce qu’on est attiré par ce qui apparaît au cœur de la définition même de l’animation  : la relation aux enfants, l’organisation d’activités, le travail en équipe avec pour objectif de contribuer à l’éducation de ces enfants […] »

« Par ailleurs, les motivations des stagiaires se structurent autour de la notion d’engagement  : ils

souhaitent devenir animateur pour contribuer à une action sociale [...], jouer un rôle dans la société en s’impliquant dans les activités d’une association. »121

célèbre école d’Uriage) mise en place dans cette période historique. À ce sujet, voir Antoine Prost, 2008. L’histoire des formations de l’animation est à situer dans ce contexte plus large.

120 Seul accroc à cette logique, l’existence de la validation des acquis de l’expérience (VAE) qui permet d’obtenir un

diplôme (ou des « modules » de celui-ci) sans passer par la formation, comme son nom l’indique sur la foi de l’expérience acquise (attestée par un dossier consistant). La VAE se développe mais elle est quantitativement marginale. De plus, le dispositif ne porte que sur les diplômes professionnels ou assimilés et on ne peut, à ma connaissance, obtenir le BAFA ou le BAFD par ce biais.

121 OVLEJ, 2008, pp. 16 et 19 (caractères gras de l’original). L’auteure de cette étude, Isabelle Monforte, a mené à

bien de nombreux travaux statistiques sur l’animation qui semblent solidement conduits et étayés et sont reconnus comme tels, ce qui donne du crédit à cette étude pour le compte de l’OVLEJ. L’étude des motivations est toujours à prendre avec une certaine distance, tant elle peut ne (re)produire que des discours convenus. Ce travail montre au moins que ces motivations sont plus riches que la seule et triviale raison de faire de l’animation : « c’est une manière de passer des vacances en gagnant un peu d’argent ».

Cette façon d’envisager l’animation en tant qu’engagement éducatif apparaît comme une évidence partagée. C’est ce qui en ferait la noblesse. Elle résulte pourtant d’un glissement logique qui affirme l’équivalence entre animation et éducation. L’animation serait, sans conteste possible, et en tout cas sans que cela fasse jamais l’objet d’une argumentation ou d’une analyse critique en son sein, une activité éducative122. Cette manière de présenter l’animation est centrale dans les formations : elle en est le filigrane. Une partie de l’effort pédagogique qui y est déployé vise, dans les interstices, les évidences, les arguments implicites, les équivalences de vocabulaire, les exemples, à en convaincre les stagiaires. Elle se trouve aussi au cœur de la rhétorique de promotion et de défense de l’animation développée par les organismes de formation.

« Soulignons d’ailleurs que ce rôle éducatif est davantage plébiscité par les stagiaires en approfondissement que par ceux en début de formation ».123

L’animation, en tant qu’éducation, est également systématiquement reliée à l’éducation populaire124. Celle-ci, utilisée comme un grand récit, lui donne sa grandeur supposée125. Une autre forme d’argument d’ennoblissement est l’affirmation que « l’animation est politique »126, la reliant donc à une vue d’ensemble de la société et de ses enjeux et récusant son caractère « technique » disent les acteurs, local, modeste, marginal127.

122 Nous sommes donc en présence d’une équation, animation = éducation. Pourtant, si l’on prend les mots des

acteurs au sérieux, autant les animateurs peuvent se sentir des éducateurs, autant les métiers qui se revendiquent comme produisant de l’éducation ont peu de chance de souscrire à l’égalité inverse, éducation = animation. Ni les éducateurs spécialisés, ni les enseignants ne considèrent leur métier comme ne serait-ce que comprenant une part d’animation. Leur attitude vis-à-vis de l’animation relève plutôt du sentiment de supériorité, voire du mépris, comme en ont témoigné, ces dernières années, les frictions entre animateurs et enseignants à propos des activités péri-scolaires. Dire les choses ainsi fait apparaître la première équation pour ce qu’elle est au moins en partie : une argumentation implicite visant à valoriser symboliquement l’animation. Ce qui ne veut nullement dire que l’animation n’ait pas ou jamais d’effets éducatifs.

123 OVLEJ, 2008, p. 19. Le travail de persuasion effectué en formation est efficace. Bien sûr, cela ne lève pas

l’interrogation sur l’appropriation par les stagiaires en question : reproduction d’un discours ou authentique conviction ?

124 Le nom des diplômes professionnels de l’animation, BPJEPS et DEJEPS, comprennent la formule « éducation

populaire ». Les exigences de ces diplômes (référentiels de compétences) y font référence. Cf. l’annexe « L’éducation populaire ».

125 Il n’est pas jusqu’à Stefan J., responsable des formations de l’animation de l’UCPA, activité marchande s’il en est,

qui ne m’ait servi cet argument pour défendre son activité. Pourtant, selon certains observateurs avertis, « l’animation, c’est le contraire de l’éducation populaire » (cf. l’annexe qui porte ce titre).

126 Cf. à ce sujet l’annexe (de la 2ème étape) « L’animation et la formation sont-elles techniques ou politiques ? » La

formulation précise des tenants de l’animation « politique » est la suivante : « l’animation est éducative et l’éducation est politique ». Une succession d’égalités, au sens où je l’ai reformulé ci-dessus.

127 Cf. aussi l’annexe (de la 1ère étape) « L’ambition de transformer le monde » et l’annexe (de la 2ème étape) « Une

Éducation ou instruction ?128

Clarifions le vocabulaire et les principales conceptions en présence.

Les acteurs de l’animation parlent d’éducation et de formation. Ils n’emploient jamais le mot instruction qui est choquant pour eux car ils y voient l’imposition univoque d’un savoir. Ils donnent au mot éducation le sens que lui a donné l’histoire des idées : la combinaison d’un côté de l’acquisition de compétences – savoirs et capacités à les utiliser en situation pratique, c’est-à-dire savoirs et savoir-faire –, de l’autre de l’émancipation et du développement du sens critique. Dans les termes du débat historique, leur conception de l’éducation et celle des buts des formations qu’ils délivrent comprennent donc instruction et formation du citoyen.

Dans les termes de ce débat, l’un des reproches fait à l’éducation par différence avec l’instruction est son potentiel ou son intention d’influence et de conformation. Inversement, on reproche à l’instruction son caractère restreint et son utilité limitée pour la construction et la reproduction de la société. Reste bien sûr à savoir s’il est possible d’instruire sans éduquer, si une instruction pure est pratiquement envisageable.

Dans les faits, la plupart des organismes visent une transformation des individus qui suivent leurs formations. Dans des formes et avec des buts différenciés selon les organismes, ils mettent donc l’accent sur la formation du citoyen et tendent à accorder moins d’importance, voire à négliger, l’acquisition de compétences opératoires, l’instruction. On pourrait pourtant penser – et c’est la position que je défends – que le but premier de la formation est justement l’acquisition de ces compétences : un stagiaire qui achète une formation accepte de la payer parce qu’il compte sur celle-ci pour être ensuite « apte » à exercer les « fonctions d’animateur », comme le dit le sigle BAFA. Les organismes de formation récusent presque tous cette finalité, habituellement en dénonçant le caractère selon eux réducteur d’une formation qui ne serait, toujours selon eux, que « technique ». Les plus explicites à ce sujet affirment que la formation est de nature « politique » et opposent technique – ici assimilable à l’instruction – et politique – que l’on peut relier à la formation du citoyen.

Les mêmes affirment vouloir éviter d’influencer leurs stagiaires et au contraire leur permettre de se former une conception personnelle du rôle de l’animateur. Il s’agit là d’une vue de l’esprit, ou si l’on veut d’une rhétorique. Les formations sont intégralement conçues et menées pour faire en sorte que les stagiaires adoptent « spontanément » les conceptions de leurs formateurs129. Dans les termes du vocabulaire précédent, les

formateurs récusent donc vouloir faire l’éducation de leurs apprenants, ici perçue comme une forme de manipulation et d’empiétement sur la liberté individuelle, sur la base donc d’une conception pédagogique qui met justement cette éducation au centre de la formation, là considérée comme plus noble et plus utile que l’instruction.

128 Pour une analyse plus étayée, cf. l’annexe « Éducation ou instruction ? ». Un autre débat majeur a traversé

l’histoire de la formation des adultes, traité dans l’annexe « Formateurs professionnels ou formateurs occasionnels ». Dans l’animation, le fait que les formateurs professionnels ne soient pas réellement des professionnels de la formation, au sens où ils auraient été formés pour cela et y feraient carrière, laisse ce second débat ouvert en pratique, car il n’y est pas formulé théoriquement comme il l’a été à l’origine dans le monde politique et syndical.

129 Ce fonctionnement relève typiquement de la « double contrainte » (double bind) décrite par Gregory Bateson,

On le voit, les deux termes, « éducation » et « instruction », leurs significations et leurs différences, sont devenus obscurs aux formateurs de l’animation – ils en étaient plus familiers lorsqu’il s’agissait d’enseignants – et ceux-ci réagissent instinctivement, compte tenu de ce que le mot évoque pour eux, par un rejet de l’idée d’instruction. En réalité, sous d’autres apparences et avec un autre vocabulaire, le débat n’est pas éteint et les pratiques ne sont pas aussi clairement établies que cela.

Des ambitions multiples, qui ne portent pas que sur la transmission de compétences.

Les organismes de formation ont la mission, l’ambition et la prétention à transmettre ce que l’animation, en tant qu’activité et que métier. Ils en sont explicitement chargés tant par les pouvoirs publics que par les employeurs. Mais ils ont généralement de la formation une conception extensive : non seulement la transmission d’un savoir-faire, d’une « technique » pour employer la langue vernaculaire ; mais aussi l’ambition de faire adopter des caractéristiques de savoir être, des attitudes, des croyances, ainsi qu’une conception du métier, de sa place sociale, de son rôle, de ses missions et finalités, de ses valeurs, de son « sens », donc de son caractère « politique », dans la même langue vernaculaire ; ainsi qu’une intention de transformation de la personne, dans une visée qui va de la responsabilisation à l’émancipation, comprend l’éducation à la citoyenneté, au futur « métier de parent » et pousse parfois jusqu’à l’éducation politique. Transmettre étant leur finalité principale, mettre en mots une nécessité, ils donnent une certaine intensité à l’expression de ces conceptions. Il s’agit donc d’une socialisation à l’animation, dans le sens que F. Dubet donne à ce qu’il nomme le programme institutionnel.

Si l’État charge les organismes de formation de mener à bien la formation des animateurs, et de quelques autres messages (sur les « valeurs de la République », la laïcité, les discriminations etc.), les buts que ceux-ci se donnent sont loin de se limiter à ces missions.

Former pour délivrer quoi ?

Pascal C., CEPJ130 : « Quand on paye 7000 € pour un BPJEPS, on estime qu’on a payé son diplôme, même si

c’est la Région qui paye. Quand ce n’est pas le cas [c’est-à-dire en cas d’échec], il y a de plus en plus de recours. Y compris dans certains cas avec un avocat. Et puis il y a un effet de certification qui fait baisser le niveau parce

130 Conseiller d’éducation populaire et jeunesse, fonctionnaire des services décentralisés du Ministère de la Jeunesse

que les stagiaires choisissent des organismes qui sont réputés délivrer plus facilement la certification. Alors devant la demande, les organismes relâchent plus ou moins leurs exigences quant à la formation elle-même parce qu’ils se concentrent sur la préparation des certifications. »

Mickaël L., référent national BAFA-BAFD, Ministère de la Jeunesse et des Sports : « Les organismes sont financés par les candidats, et ils sont en concurrence. Il y a des cas où, manifestement, il suffit de payer pour avoir son stage. Il y a en fait un jeu subtil entre les organismes, ils se connaissent les uns les autres, ceux qui alimentent une réputation de valider facilement et d’autres qui prônent la valeur du diplôme131. »

L’essentiel est dit.

Dans l’animation volontaire, pour les stagiaires, l’exigence est faible – essentiellement ne pas apparaître comme dangereux pour les mineurs et participer à l’ensemble du stage – permettant aisément d’obtenir la validation d’un stage BAFA132. Elle s’accentue toutefois quelque peu au stade du BAFD. Du point de vue des formateurs, cela résulte soit d’un principe qui récuse plus ou moins le rôle d’évaluateurs qu’on leur fait jouer, soit tout simplement de l’impossibilité même de juger des capacités du stagiaire. De celui des participants aux formations, cela pourrait ne faire de ces stages que de simples « tickets d’entrée » dans l’animation. Pour adopter ce dernier point de vue, encore faudrait-il démontrer qu’en réalité ces formations, soit ne sont pas nécessaires à l’exercice de l’activité d’animateur, soit n’apportent rien.

L’enjeu que constitue l’emploi alimente le marché de la formation professionnelle et tend à faire évoluer les formations de l’ambition de transmission de compétences vers la préparation à l’obtention du diplôme. Une pression en ce sens – portant sur le taux de réussite aux épreuves de certification – est exercée sur les organismes de formation par les stagiaires mais aussi par les financeurs des formations professionnelles et même par les fonctionnaires de la Jeunesse et Sports. Il s’agit d’un critère de jugement des organismes de formation par le marché, implicite mais opératoire. Bien conscients du risque sur la valeur des diplômes mais aussi de leur cohérence dans l’ensemble des diplômes de l’animation, les fonctionnaires de la Jeunesse et Sports s’efforcent, disent-ils, de « maintenir le diplôme à son niveau »133.

131 On pourrait parler d’« effet de niche ».

132 En BAFA, le taux de non validation de la formation générale est de 1 % des stagiaires et il est de 0,5 % au stage

d’approfondissement. Les échecs en stage pratique sont dix fois plus nombreux.

133 Leur position est pour le moins ambivalente : d’un côté, explicitement devant les intéressés (en séance de jury), ils

jugent les responsables de formation au taux de réussite des stagiaires aux épreuves certificatives et ne se privent pas de critiquer ceux qui, selon eux, obtiennent des résultats bas ; de l’autre, ils discourent sur le maintien du diplôme au niveau qu’il doit avoir.