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1.4.2 La ou les créances

Nous aurons l’occasion de voir plus loin, sur une base empirique, quel est le « produit » réel des formations de l’animation. Au stade où nous en sommes, il importe d’abord de cerner ce que serait la créance telle qu’elle apparaîtrait logique, naturelle, c’est-à-dire ce qu’un acheteur d’une formation de l’animation, stagiaire ou financeur, pense qu’elle doit et va apporter. Il s’agit de formuler une référence pure qui servira ultérieurement à évaluer les écarts de la réalité par rapport à celle-ci.

Partons donc d’une hypothèse économe, que nous aurons la possibilité d’enrichir au fil des analyses.

Les stagiaires (et leurs financeurs) achètent une formation pour acquérir un diplôme et se doter d’une compétence, nécessaires pour assurer une activité d’animation ; ils pensent que ça leur permettra de trouver un emploi d’animateur volontaire ou professionnel ; les formateurs et les organismes ont affaire à des personnes qui viennent se former et qui en ont, pour la plupart, fait le choix libre et volontaire ; les mêmes ont éventuellement opté pour un organisme plutôt qu’un autre,

353 Selon la formule de François Dubet, citée supra. 354 François Dubet, 2002, p. 31.

que les formations soient adaptées à leurs besoins ; l’administration estime qu’elle a habilité des organismes sérieux qui emploient des formateurs compétents ; les parents de stagiaires considèrent que « ça lui fera du bien » et que les intéressés trouveront ultérieurement par ce biais une source de rémunération ; les employeurs et les parents estiment que les animateurs ainsi formés sont compétents et sûrs pour prendre en charge des mineurs en toute sécurité.

Ceci étant, reste à savoir si les différents acteurs cités, et en particulier les stagiaires, « y croient », c’est-à-dire pensent que ce qu’ils vont trouver ou ont trouvé dans les formations correspond à ce qui précède. Si nous examinerons en détail, ultérieurement, les réponses que l’on peut apporter à cette question pour chacune des parties prenantes, il est possible pour l’instant de donner les grandes lignes du point de vue des stagiaires, principaux concernés355. En règle générale, vues par eux, les formations de l’animation se déroulent correctement. Tout particulièrement au premier stade c’est-à-dire essentiellement lors de la formation générale du BAFA, ils ont le sentiment de trouver ce qu’ils venaient chercher même s’ils n’étaient pas vraiment capables de le formuler. Ils se pensent préparés et, pour eux, « le stage s’est bien passé ». Ils y ont aussi rencontré quelque chose de plus grand que ce qu’ils envisageaient, le lien qu’on leur a fait sentir entre l’animation et l’éducation, à la fois leur propre éducation et le rôle éducatif qui pourra être le leur. Cela les encourage à continuer. Souvent, ils ont été séduits ou enthousiasmés par l’atmosphère du stage, les relations avec les formateurs, la possibilité de s’y exprimer « librement ». Bien entendu, l’expérience et la maturité aidant, ils deviennent volontiers plus critiques, sans que cela remette significativement en cause les formations, leur conception et leur conduite. Les principaux écarts sources de tension « de production » entre stagiaires et formateurs proviennent de trois facteurs : parfois les différences ou la distance sociale entre eux, immédiatement perceptibles par les intéressés par le langage, le style vestimentaire, les dispositifs pédagogiques ; une « forme scolaire » que ceux qui ont une histoire difficile avec l’institution scolaire peuvent avoir du mal à supporter ; une attente des uns – les stagiaires – qui serait prioritairement orientée vers le diplôme et l’emploi quand la proposition des autres – les formateurs – portent sur l’acquisition d’une compétence, l’exigence de réflexivité et la vocation, écart qui souvent redouble le précédent.

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La plupart des formateurs, et des professionnels que sont les CEPJ, affirment de plus que les formations de l’animation ont vocation à transformer les personnes. Reste à savoir vers quoi. Cette idée de transformation n’est d’ailleurs pas absente des intentions des parents qui inscrivent leurs enfants grands adolescents à la formation générale du BAFA. Elle ne paraît pas évidente quand on

disent mes interlocuteurs :

Xavier L., CEPJ : « Entre “une formation ne peut pas ne pas transformer les gens” à “il faut se servir des

formations pour transformer les gens”, et “il faut les transformer, pas pour les faire devenir des animateurs, mais pour faire devenir, on va dire gentiment, des militants d’éducation populaire”, il y a tout un glissement qui

correspond aussi aux différences entre les divers organismes. »

Catherine B., première adjointe à la jeunesse et aux sports de la ville d’Allonnes : « Je suis très pour le BAFA. C’est un passage ritualisé dans l’âge adulte356. Pour ça, on encourage les jeunes en service civique à faire leur

BAFA. »

Transformer ou, si l’on est plus précis, faire acquérir aux participants des comportements en situation qui sont considérés comme conforme à la « fonction » d’animateur ou de directeur :

Xavier L., CEPJ : « Je vois, une discussion, lors du dernier jury BAFD auquel j’ai participé, y a deux dossiers qui posaient problème, et les deux fois mon binôme, qui est quelqu’un qui a la solidité, la compétence, l’expérience, l’archétype du formateur évaluateur jury, les deux fois il a dit “je vois pas quel directeur ou quelle

directrice elle est cette personne”. C’était vraiment là-dessus. C’est-à-dire c’était pas “je vois pas les compétences” […]. L’être et pas le faire. Pas le faire directeur mais l’être directeur. Et, cette idée du BAFD qui

accompagne, qui permet aux personnes de devenir directeur, je pense qu’il y a effectivement quelque chose de vrai. On est même quasiment sur une forme d’acculturation. »

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Il est un autre type d’attente saillant, qu’il convient de signaler dès à présent. Celui d’être écouté, valorisé ; d’être mis en situation de réfléchir à soi, sur soi ; et, même si le mot est fort, d’être « subjugué » : par ce qui se passe en formation, pour eux et autour d’eux ; par leurs formateurs. Paradoxalement, il s’agit d’une attente commune aux stagiaires expérimentés. À leur première formation, quant à eux, les stagiaires du BAFA ne savent pas à quoi s’attendre ; cela fait partie de leurs grandes découvertes. Dans la manière dont les anciens stagiaires parlent de leur expérience, cette facette de la formation prend plus d’importance que l’attente d’apprentissages, au point de l’occulter.

Virginie M., 36 ans, participante d’une formation DEJEPS, interrogée quelques mois après la fin de sa formation : « L’image collective que les autres rapportaient, c’était que souvent le formateur qu’ils avaient eu avant, dans les autres formations, c’était celui qui avait bousculé et éveillé des choses chez eux. Des personnes qui se positionnent en maîtres du savoir [!]. Limite gourou. Et ils voulaient retrouver la même chose dans notre formation. Mais le gourou, en fait, il est infantilisant. »357

356 Je n’ai pas eu la possibilité de vérifier si cette formule est une allusion mais mon interlocutrice reprend là presque

exactement le titre d’un article de Olivier Douard, 2002. Cela témoigne au moins d’une convergence de pensée… et de vocabulaire.

« Ce que je voulais, moi, c’est prendre du recul. Le stage théorique, ça sert à ça, à s’ouvrir, à réfléchir aux raisons de faire. Ce sont des responsabilités éducatives, pédagogiques, sociales, morales ! C’est ma priorité en formation. Après les deux trois premiers jours, j’ai compris que c’était ça la formation, c’est bien ce qu’il fallait faire, ce que je recherchais. La compta, tu peux l’apprendre avec le comptable de ta structure. »

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Enfin, dans une vision plus large, non pas centrée sur les individus stagiaires mais sur la raison d’être sociale des formations de l’animation, voici un point de vue souvent partagé par les différents acteurs :

Pierre B., directeur adjoint de la DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale) de la Sarthe : « On ne fait pas que produire des animateurs, au sens productif et marchand : il y a une plus-value pour la société, en relation avec un idéal humaniste, y compris dans sa facette confessionnelle. L’animation et la formation, c’est un gisement de sens social. »358

« Une plus-value sociale », pour reprendre la formule d’un autre de mes informateurs. *

(Se) former pour apprendre à animer ; former pour transformer, être formé pour être transformé ; former pour transformer la société. Si la première modalité est partagée par tous les acteurs et constitue la demande consciente des clients de la formation, les autres composent des dimensions fort présentes mais souvent occultées par les formateurs.