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1.2.4 Évaluation et assurance qualité de la formation

Les organismes de formation de l’animation – et plus généralement les métiers du social, du « travail sur autrui » comme le dit F. Dubet – se sont longtemps crus à l’écart et préservés des grands dispositifs de normalisation que sont par exemple les systèmes de certification de la qualité (norme ISO182 9001 dite de « management de la qualité », en particulier) ou de « responsabilité sociale des entreprises » (norme ISO 26000 « responsabilité sociétale »). Certains de leurs dirigeants et membres éminents prétendaient que, eu égard à la nature de leur activité, compte tenu selon eux de l’impossibilité de la formaliser183, ils ne relèveraient jamais de tels processus. Un procès en noblesse. C’était à la fois méconnaître la nature de ces dispositifs184 et les forces qui pouvaient les leur imposer. C’était également être fort peu conscient du caractère d’ores et déjà codifié de leur activité productive185. Ils ont été rattrapés par les exigences réglementaires dont il va être question, c’est-à-dire en réalité par les exigences du marché, ici de la formation professionnelle en général, et le fait que celui-ci n’a que faire, et de leur nature juridique d’association, et des spécificités supposées d’une activité qui vise à transformer des personnes. À nouveau, le marché met à mal ce qui pourrait être le programme institutionnel de cette activité de formation. Via une évolution réglementaire, nivelant les situations, ce même marché leur a fait savoir et imposé de voir leur caractère ordinaire, roturier.

181 Quelques mots de clarification. Le terme « évaluation » est particulièrement ambigu. Il renvoie immédiatement à

la question : qui évalue qui ? J’ai présenté brièvement ci-dessus les dispositifs d’évaluation des stagiaires par leurs formateurs ou par le biais d’épreuves certificatives, étapes menant à l’attribution du diplôme. Je traite dans l’annexe « Quand les stagiaires évaluent leur formation » de la question correspondante. J’aborde l’évaluation marchande des formations et des organismes dans la 2ème étape de mon exposé.

182 Organisation Internationale de Standardisation, dont la fonction est de produire des normes de validité mondiale. 183 C’est-à-dire à la fois de la formuler par écrit (« écrire ce qu’on fait ») mais aussi de stabiliser les organisations et

les modalités de fonctionnement (« faire ce qu’on a écrit »).

184 Dans les métiers de l’animation, sinon du social, prévaut un fort rejet de tout ce qui toucherait au management,

assimilé au repoussoir que sont les entreprises et le travail salarié. Il s’agit là d’une forme locale de la « critique artiste ». Il en résulte une ignorance manifeste du « monde des entreprises », comme le disent les intéressés, et des techniques et discours du management. Ceux-ci tiennent souvent à ce sujet des propos confondant d’idées reçues et de naïveté (cf. à ce sujet l’annexe « L’économie sociale et solidaire »).

185 Reste néanmoins, pour passer à un stade certifiable selon une des normes citées ou d’autres, telles que le système

proposé par l’Office Professionnel de Qualification des Organismes de Formation (OPQF), à formaliser l’essentiel du fonctionnement hors formation, ce qui constitue effectivement un très gros travail. Classiquement dans toutes les organisations qui se confrontent à cette tâche, il s’agit d’un investissement de forme dont l’utilité n’apparaît que très peu aux acteurs, lesquels ont dès lors un fort sentiment de perdre leur temps. Les réactions au sein des organismes de formation n’ont rien à envier à celles que l’on rencontre dans d’autres organisations professionnelles, entreprises ou administrations. Par ailleurs, même si la loi de 2014 porte sur la formation professionnelle, il est très difficile d’isoler complètement celle-ci de la formation volontaire, ce qui oblige de fait à faire porter les travaux sur l’ensemble de ces activités.

La loi de 2014 sur la formation professionnelle a mis en place le principe d’une exigence et d’un contrôle qualité (du type assurance qualité) des organismes de formation et a chargé les OPCA de ce contrôle qualité186. Outre les garanties supposées, il s’agit en même temps de mieux équiper le marché en mettant plus d’informations sur les organismes à la disposition des financeurs et des acheteurs de prestations de formation, institutions ou individus, c’est-à-dire de développer ce que L. Karpik nomme des « dispositifs de jugement ». Pour répondre, les OPCA ont dû faire face à l’obligation d’acquérir de nouvelles compétences et de se doter d’outils ad hoc. Voici quelques explications des responsables de ces questions chez Uniformation187.

« La formation professionnelle a une image de gabegie. De manque de transparence. De secteur très profitable mais de qualité médiocre. De risque sectaire. Le législateur, le Sénat en l’occurrence, a voulu faire quelque chose. Mais ensuite le gouvernement a rendu ce qui avait été prévu inodore et indolore sous la forme de six critères qualité de base. Ça veut dire que, en pratique, ça renvoie aux référentiels des financeurs188 mais il y en a

à tout le moins une quarantaine, sans compter ceux des OPCA et des OPACIF189 !

Pour l’instant, il n’est pas question de porter un regard pédagogique sur les formations. Mais dans le futur... La loi dit que pour qu’une formation soit financée, il faut qu’elle soit dans le catalogue d’un OPCA. Les organismes de formation ont donc intérêt à se mettre en conformité avec les indications qu’on leur donne. En fait, ils ont même intérêt à se conformer à un des référentiels de certification de la formation, comme ça ils évitent les contrôles de notre part. C’est l’organisme qui gère le référentiel, par exemple l’OPQF, qui s’en chargera.

Cela augmente la visibilité des organismes qui sont certifiés ou labellisés. Et la confiance réciproque organisme / acheteur. »190

Il faut pourtant observer que ni la loi de 2014 ni le décret d’application de 2015 « relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue » ne font état d’une visée d’amélioration. Les exigences potentielles des OPCA – la « montée en charge progressive de la qualité » – dépassent donc le cadre de la loi, ce qui est confirmé dans ce qu’ils appellent un « socle commun » d’indicateurs correspondant aux six critères réglementaires, où les OPCA prévoient :

186 Bien que les organismes de formation de l’animation affirment que leur marché est de plus en plus libéral, on voit

qu’il est aussi de plus en plus régulé par l’État, même si en l’occurrence ce n’est pas l’État lui-même qui prend en charge le contrôle de la qualité des organismes de formation.

187 Directeur général adjoint et cadre responsable de la mise en place du dispositif d’assurance qualité. Rappelons

qu’Uniformation est l’OPCA de l’animation.

188 On verra que les dispositifs de financement, en particulier ceux de la Région, font peu de cas des différences

pédagogiques entre organismes et tout particulièrement de l’un de leurs éléments importants de différenciation, leur position idéologique. Ils s’attachent à d’autres critères, efficacité en termes d’emploi, satisfaction des stagiaires, etc. et, bien sûr, à des critères classiques de marché, prix, conformité de la prestation.

189 Organisme Paritaire Agréé au titre du Congé Individuel de Formation.

190 Le site Internet d'Uniformation http://www.uniformation.fr/ indique : « L’objectif ? Améliorer la transparence de

l’offre de formation et favoriser une montée en charge progressive de la qualité des actions de formation. Il s’agit aussi de mettre en visibilité les caractéristiques des prestataires de formation, non seulement pour les acheteurs et financeurs mais aussi pour les acheteurs et bénéficiaires que sont les entreprises et les individus. ».

« Critères [sic] n° 6 du décret : La prise en compte des appréciations rendues par les stagiaires. [...] 6.3 Capacité de l’OF191 à partager les résultats des évaluations avec les parties prenantes (formateurs,

stagiaires, financeurs, prescripteurs) dans un processus d’amélioration continue. »192

La garantie de qualité des formations était jusqu’à présent essentiellement déclarative et auto- promotionnelle. On voit qu’elle ne se passera plus de certaines preuves et que, vraisemblablement, l’exigence ira croissant. On peut même penser que la comparaison ne se fera plus exclusivement entre organismes de formation de l’animation mais entre tous les organismes, instituant une forme d’alignement interprofessionnel193.

Ainsi, dans les modalités de la concurrence entre organismes de formation de l’animation, se renforcent des enjeux classiques des marchés194 – quelle que soit la nature de la prestation, s’entend – et pourraient perdre de l’importance les revendications identitaires, historiques, politiques des acteurs195. Les acheteurs du marché attendant un diplôme et un emploi contre l’argent qu’ils dépensent, le programme institutionnel des formations de l’animation en est d’autant nivelé.