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2.3.1 Marchés emboîtés

Il convient de se demander pourquoi, tout simplement, il est possible de vendre des formations, du moins dans de telles quantités. Pour l’expliquer, commençons donc par dresser un tableau d’ensemble des différents marchés dans lesquels se situent les organismes de formation et de leur intrication : on peut y recenser les marchés des prestations de l’animation, de l’emploi des animateurs, des formations de l’animation volontaire et professionnelle, du financement de la formation professionnelle, de l’emploi des formateurs.

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Il existe une demande sociale d’animation445, émanant essentiellement de parents de mineurs et de responsables municipaux, qui engendre la réalisation de prestations en ce domaine. Des acteurs sociaux sont donc prêts à acheter ces prestations d’animation : pour l’essentiel, ce sont des associations et, surtout, des municipalités446. Historiquement, le centre de gravité de l’animation volontaire a été successivement les centres de vacances, puis les accueils de loisirs pour se placer tout récemment dans les activités péri-scolaires447. Évolution de la société comme évolution des « produits » de l’animation, le péri-scolaire est nettement marqué par une logique de consommation de la part des familles, dans un quasi rapport marchand avec la périphérie immédiate de l’école448.

445 Pour une analyse à ce sujet, cf. le § 4.6 « Rôles sociaux de l’animation » de l’annexe (de la 1ère étape)

« L’animation dans son contexte historique, politique et économique et social » .

446 Les centres de vacances sont aujourd’hui aux deux tiers (en nombre de séjours) organisés par des associations, le

reste très majoritairement par des municipalités ; les comités d’entreprise, importants acteurs historiques, ont quasiment disparu du paysage. Les accueils de loisirs, de leur côté, sont surtout produits par les municipalités ou les centres sociaux qui leur sont presque toujours liés. L’animation péri-scolaire est entièrement sous la responsabilité des collectivités territoriales. Cependant, sur le plan formel, l’activité municipale peut aussi être assurée par des associations para-municipales, sous contrat (après appel d’offre) ou disposant d’une délégation de service public.

447 Ma formulation, le « centre de gravité », veut rappeler que les centres de vacances et les accueils de loisirs n’ont

nullement disparu. Par exemple, les premiers, en incontestable déclin, accueillent tout de même plus d’un million d’enfants chaque année (ils étaient quatre millions dans les années 1960) et emploient plus de cent-mille animateurs. Le péri-scolaire a pris une place essentielle dans l’animation (du moins jusqu’à l’été 2017) parce qu’il constitue une obligation réglementaire, donc une priorité, contrairement aux centres de loisirs. Il mobilise un nombre considérable d’animateurs, constitue au dire des professionnels « une autre manière de faire de l’animation », a une influence notable sur l’animation professionnelle, les parcours biographiques, les emplois, les processus de professionnalisation. Il est par contre pour l’instant très faiblement pris en compte par les dispositifs de formation. Je traite de l’histoire récente de l’animation péri-scolaire dans le § 3 « Quelques éléments d’histoire de l’animation » de l’annexe (de la 1ère étape) « L’animation dans son contexte historique, politique et économique et social ».

448 Dans la plupart des communes (environ 80%), le péri-scolaire est gratuit. Mais le plus souvent la garderie prend

Ces prestations d’animation ne sont pas, sauf exception449 et sous réserve d’évolutions émergentes, directement réalisées auprès des publics concernés par des personnes physiques ou morales (associations, entreprise) ayant des contrats commerciaux. Elles passent par diverses formes d’emplois et sont plutôt assurées par des bénévoles, des volontaires et des salariés recrutés à cette fin par les organisateurs de loisirs, comme on l’a dit avant tout des associations et des municipalités. Ce qui semble en première approche un marché des prestations s’actualise donc en un marché du travail450.

Le fonctionnement de ce dernier est marqué par plusieurs aspects majeurs. D’une part, les emplois sont « précaires », ils engendrent une grande instabilité et une intense circulation des individus ; d’autre part, les caractéristiques sociales des animateurs ne sont en rien le fait du hasard451 ; enfin, il constitue ce qui apparaît aux pouvoirs publics comme une source d’emploi et une solution, partielle et temporaire, pour le traitement social du chômage. Ces caractéristiques influencent fortement l’activité de formation : et le flux qui marque celle-ci, et ses possibilités de financement, et le déroulement des formations elles-mêmes, et le recrutement des formateurs, là aussi socialement déterminé.

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De la quasi obligation réglementaire d’un brevet452 pour exercer des fonctions d’animation résulte une demande de formation diplômante et un marché de la formation. Le nombre d’organismes de formation habilités par la Jeunesse et Sports, leurs « capacités de production » de formations, leurs besoins d’activité rémunératrice pour équilibrer leurs comptes ainsi que leurs ambitions d’influence sur la société en font un marché concurrentiel.

Ces organismes ont, de leur côté, besoin de formateurs pour assurer leurs activités. Dans la mesure où aucun organisme à caractère lucratif n’a pour l’instant obtenu d’habilitation, les formateurs sont bénévoles ou plus souvent faiblement rémunérés pour l’animation volontaire, salariés pour l’animation professionnelle, avec de fréquents aller-retour entre les deux situations. Il en résulte ce que l’on peut à nouveau considérer comme un marché du travail, celui des formateurs. On peut même parler, on le verra, au moins pour partie d’un marché du travail « privatif ». En effet, tout organisme ayant une certaine ancienneté historique, c’est-à-dire les plus importants en volume

449 Il arrive, chez les animateurs spécialisés, que ceux-ci se soient constitués en auto-entrepreneurs. Leurs prestations

sont alors régies par des contrats entre entités juridiques et non par des contrats de travail.

450 Il faut prendre la notion dans un sens large car le recrutement des stagiaires, des (quasi) bénévoles et des

volontaires (services civiques) ne relève pas de la notion classique de marché du travail.

451 Cf. à ce sujet les § 4.5 « Un monde de flux », § 4.15 « Employeurs et emplois », 4.16 « Professionnalisation ou dé-

professionnalisation » et § 4.4 « Un tamis social » dans l’annexe (de la 1ère étape) « L’animation dans son contexte historique, politique et économique et social ».

452 BAFA, BAFD, BPJEPS, trois des quatre diplômes délivrés par les formations étudiées se nomment « brevet » et le

d’activité, est environné d’un réseau de formateurs potentiels que leur situation de transition parfois prolongée entre les études et l’emploi rend disponibles.

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Hors de ce qui précède, les organismes de formation se livrent à une intense recherche de sources de financement, qui prend diverses formes. La plus significative concerne les formations professionnelles, qui peuvent être financées par la puissance publique453 dans le cadre du traitement social du chômage. Ces aides sont attribuées à la suite d’appels d’offre relevant des marchés publics, donc eux aussi concurrentiels. Les organismes dont les stagiaires bénéficient de ces aides ont plus de facilité à remplir les promotions de leurs formations, donc à en équilibrer les comptes ou à rendre comptablement bénéficiaires ces activités454. Ils sont par voie de conséquence relativement dépendants de ces aides.

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De fait ces différents marchés sont loin de fonctionner, conformément à l’idéal-type de la théorie économique, selon les mécanismes de l’appariement et de la régulation entre offre et demande par l’ajustement des prix, même s’il n’est pas exempt de situations de concurrence.

Si cela avait été le cas, la disponibilité d’emplois à pourvoir, en aval, engendrerait la demande de formation, en amont ; dans l’industrie, on parlerait de « flux tiré ». Or une part importante des inscriptions dans tous les types de formation de l’animation volontaire est indépendante des emplois disponibles ; il en est de même du financement des formations professionnelles, basé sur des affirmations autorisées455 à propos du marché de l’emploi lequel, en réalité, est très approximativement connu456 ; enfin, les organismes de formation mettent sur le marché des formations dont la programmation est motivée essentiellement par leurs besoins financiers et la volonté de ne pas laisser la place à leur concurrence. Ce « flux poussé » rend fragile ou aléatoire la pérennité de l’activité des organismes de formation.

453 Essentiellement le Conseil régional, éventuellement la CAF, parfois via des aides spécifiques de Pôle emploi ou

des Missions locales (et même du Fonds social européen). Précisément, ce sont les formations des stagiaires et non directement les organismes qui sont financés. La différence apparaît lorsqu’un stagiaire abandonne sa formation en cours de déroulement. Pour les organismes qui ont gagné l’appel d’offre portant sur le financement des formations, ce dernier peut concerner entre un et deux tiers de leurs stagiaires de la formation professionnelle (pour les formations financées). Autant dire que cela constitue un enjeu économique qui permet, tout simplement, à cette activité d’exister ou non.

454 Inversement, il est très difficile pour un organisme de maintenir ses activités de formation professionnelle lorsqu’il

n’a pas été retenu par le marché public.

455 De Pôle Emploi, de grands employeurs, de représentants d’organismes de formation. 456 Cf. l’annexe « Que sait-on des emplois ? ».