• Aucun résultat trouvé

2.4.3 La formation est-elle un bien non rival ?

Une formation comporte des aspects matériels (locaux, documents, outillages etc.) et immatériels. Ces derniers ne sont pas appropriables, ils sont « non rivaux ». En première analyse, le fait qu’une personne participe à une session ne diminue pas l’utilité de celle-ci pour une autre personne. Il est même possible d’affirmer le contraire : former en même temps un certain nombre de personnes ajoute à l’utilité de la formation pour chacun. Le travail collectif permet de s’enrichir de la diversité, des réflexions, des idées et de l’expérience des autres, ainsi que de se constituer un réseau professionnel. Il s’agit de l’un des fondamentaux de la formation, qui ne se conçoit guère autrement que collectivement. À la condition que l’individu se fonde en partie dans ce collectif.

Pourtant, examinée plus largement, la situation est plus ambivalente, selon que l’on examine la formation ou le marché du travail et selon le point de vue que l’on adopte pour l’étudier, celui du formateur ou celui du stagiaire.

Pris dans son ensemble, le processus de formation alterne des phases rivales et d’autres non rivales. Au moment des épreuves de sélection initiale, les candidats sont en situation de concurrence pour l’entrée en formation, et parfois pour l’obtention d’un lieu d’alternance. À l’issue de leur cursus, ils le sont également dans la recherche d’un emploi572. Pendant la formation elle-même, il n’y a pas rivalité et, selon mes observations, les relations entre stagiaires ne sont pas marquées par les situations antérieures et futures de concurrence.

En raison des caractéristiques économiques des formations, dont le coût marginal est faible573, les organismes ont intérêt à avoir le plus grand nombre possible de stagiaires compatible avec les conditions matérielles de la formation, pourvu que ceux-ci ne soient pas ensuite en excédent sur le marché du travail. Mais ce même marché du travail ne fournit que peu d’informations en retour : le caractère local des emplois, à propos desquels l’information circule peu, leur segmentation en temps partiels et à durée déterminée, la rotation des animateurs dans ces emplois ne lui donnent guère de lisibilité. Ceci nous ramène au constat déjà fait d’un mécanisme de « flux poussé », où la Région finance des formations sur les bases d’une information quelque peu incomplète et incertaine, et où

572 La réalité est un peu plus subtile. Les emplois de l’animation sont locaux et les stagiaires les recherchent près de

chez eux. En pratique sont concurrents pour un poste deux stagiaires en fin de formation qui habitent la même agglomération.

573 C’est le modèle très général de la série productive. Le prix de revient de la formation étant principalement

constitué de frais fixes, l’augmentation du nombre de participants ne le fait pas croître de manière importante alors que le chiffre d’affaires est proportionnel à ce nombre. Cf. l’annexe « « Analyse budgétaire de l’activité de formation ».

les organismes programment et la Jeunesse et Sport habilite des formations en réalité sans égard pour le marché du travail dans sa réalité.

Par ailleurs, la non rivalité suppose que le bien profite de manière équitable à tous, indépendamment des préférences individuelles. Sur le plan pédagogique, il y a donc une tension entre non rivalité et individualisation de la formation. L’individualisation, d’une part est contradictoire avec les fondements mêmes du dispositif pédagogique de toute formation ; d’autre part risque de mobiliser l’attention et l’énergie du formateur au détriment des attentes d’autres participants. Cet équilibre est l’un des enjeux importants d’une formation574 : à la fois entre programme collectif et demandes individuelles ; à la fois pour éviter que certains stagiaires imposent leurs desiderata au détriment d’autres moins influents. Pour le formateur, la prise en compte des demandes individuelles est compliquée par leur nombre et leur diversité, et vient donc se heurter à l’intérêt économique de l’organisme575. Ce sont aussi les conditions de la transmission et de l’apprentissage qui sont influencées par cette tension. En ce domaine, les arbitrages se font en pratique toujours sur la base de la recherche du meilleur intérêt économique pour l’organisme, la souplesse de la pédagogie comme des argumentations qui la soutiennent permettant aux formateurs de faire face aux situations de formation576.

574 Remarquons d’ailleurs que, dans les exigences du marché du financement de la formation professionnelle,

confirmées par le Président de la Commission correspondante, l’individualisation de la formation figure en bonne place : capacité de l’organisme à répondre aux attentes des personnes mais aussi sa capacité à prendre en compte des situations potentiellement très diverses les amenant à s’inscrire en formation.

575 Ainsi qu’à son économie propre, celle de son temps et de son énergie, voire de sa santé. Ceci n’est également pas

sans conséquence sur les conditions de production.

576 L’une des manifestations les plus subtiles de cette argumentation est un discours à usage interne (des organismes)

sur la différence entre « le dispositif et le projet ». Il y aurait ce que le dispositif, ici le marché, impose et auquel on répond formellement, et ce qu’on en fait, avec une liberté recouvrée une fois gagné l’appel d’offre. Tout ce que je développe ici démontre au contraire que, pour reprendre la même terminologie, volontairement comme involontairement, le dispositif influenceprofondément le projet. Cf. l’annexe « Le dispositif et le projet ».