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l Les victimes: les utilisateurs

160. La Commission européenne n'a pas pris spontanément l'initiative d'intervenir dans le domaine des paiements transfrontières en tant que gardienne des traités. Elle a été sollicitée par les parties qui subissent directement les inconvénients en cause, spécialement les clients qui utilisent les systèmes:

consommateurs au sens étroit et petites et moyennes entreprises. Depuis 506

507 ALLIX, carte de paiement, p. 58.

Conseil économique et social [France], Rapport, p. 69 ss. Voir aussi l'intéressante étude, quoi que déjà un peu ancienne (1986) pour un sujet qui évolue très vite, de BLAUROCK, Obstacles.

plusieurs années, la Commission reçoit des plaintes de ces utilisateurs (non publiées) et le Parlement européen enregistre de nombreuses questions écrites sur les carences des paiements transfrontaliers508.

161. Les organisations de consommateurs ont également été très actives pour mettre en évidence les problèmes qui se posent. En avril 1988, Le Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC) a publié une première étude sur les transferts d'argent à l'intérieur de la CEE, réalisée en 1987. Plus de 200 paiements transfrontières de 100 écus ont été effectués, en partie sous forme de virements et en partie par envois d'eurochèques, et des carences ont été relevées, en termes de coüts élevés, de manque d'information, de non-respect des ordres, de délais et de pertes509.

Quelques années plus tard, en aofit 1992, le BEUC a publié les résultats d'une nouvelle étude portant sur 160 virements bancaires transfrontières et l'envoi de 20 eurochèques tous d'environ 130 écus ("Cost Transparency in Cross-Border Financial Transfers")510. Premièrement, certains virements ne sont jamais arrivés à destination bien que leur montant ait été débité du compte du donneur d'ordre. Deuxièmement, les transferts à partir de et vers certains Etats ont pris en moyenne plus de temps que les autres (jusqu'à 22 jours ouvrables!). Troisièmement, les commissions prélevées ont été importantes, en atteignant en moyenne 15% du montant du virement si l'on y ajoute les frais de change.511, des frais étant également souvent imputés au bénéficiaire malgré une instruction contraire du donneur d'ordre. Quatrièmement, la transparence était insuffisante: l'information préalable était le plus souvent inexistante ou en tout cas très lacunaire; quant à l'information a posteriori, tant le donneur d'ordre que le bénéficiaire n'ont généralement pas été mis au courant de tous les détails de l'opération (commissions prélevées, taux de change, etc.). Cinquièmement, d'autres entraves aux paiements transfrontières ont encore été rencontrées (formalités administratives). Les résultats étaient plus satisfaisants pour les eurochèques, mais on doit rappeler que les risques sont encore grands en cas de perte ou d'interception des chèques.

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510 Sll

Voir par exemple (avec réponses de la Commission): question écrite no 2238/92 (MEGAHY), in: JOCE C 350 du 29.12.1993, p. 2 s.; question écrite no E-1236/93 (BEUMER), in: JOCE C 296 du 24.10.1994, p. 11 s.; question écrite no 1291/93 (LULLING), in: JOCE C 333 du 8.12.1993, p. 18 s.; question écrite no E-2265/96 (BERÈS), in: JOCE C 72 du 7.3.1997, p. 21. Pour les systèmes électroniques de paiement (recommandation 88/590/CEE): question écrite no E-740/95 (WILLOCKX), in:

JOCE C 190 du 24.7.1995, p. 22 s. (commentaire Alan DAVIS in: Consum.L.J. 1995, CS72 s.).

BEUC, Transferts, p. 5 ss.

BEUC, Transparency; Agence Europe, Bulletin no 5853, 7.11.1992, p. 13.

On a même relevé le cas d'un virement ayant cofité 51 écus pour une somme virée de 130 écus, soit 39% de la somme transférée!

Cette étude a fait dire au BEUC que: "Transférer de l'argent d'un Etat membre à l'autre est une opération lente, peu fiable, extrêmement onéreuse et jalonnées d'obstacles", qu'il serait utopique de croire que les consommateurs sont libres d'acheter des biens et des services où bon leur semble dans le marché unique de la Communauté tant que les transferts, même pour des petits montants, ne peuvent s'opérer en toute confiance512, Ces résultats peu satisfaisants étaient pour le moins étonnants puisqu'ils intervenaient après l'adoption de la recommandation 90/109/CEE du 14 février 1990 concernant la transparence des conditions de banque applicables aux transactions financières transfrontalières513. Les représentants des consommateurs ont alors estimé qu'une directive était devenue indispensable.

16 2. Ces études ont eu un certain impact, mais elles ne concernaient que les paiements transfrontières à distance. En matière de paiement face-à-face, le BEUC a également réalisé des études très intéressantes, mais qui sont curieusement passées plus inaperçues. Après des rapports de 1988 et 1991, le BEUC a publié en juin 1992 un important document consacré au "Holiday Mo11ey11514. Il s'agissait d'une analyse des systèmes de paiement transfrontière suivants: espèces, traveller's cheques, eurochèques, cartes de paiement internationales (Visa, Eurocard/Mastercard, American Express et Diners' Club) et Postchèques internationaux, cela sous l'angle de l'infonnation donnée a priori et a posteriori (transparence des coOts) et sous l'angle de leur degré d'acceptation. Là encore, un certain nombre de carences ont été relevées du point de vue de l'utilisation transfrontière de ces moyens de paiement face-à-face par les consommateurs.

16 3. Face à tous ces problèmes, de nombreux arguments ont été avancées tant par les représentants des consommateursSlS que par la doctrine516, On recense également des publications spécifiques relatives aux attentes des entreprises qui

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516

Les transferts d'argent dans la CE: les banques se sucrent, Communiqué de presse BEUC, réf. 92.16, 4.11.1992, p. l.

Cf. supra no 131.

BEUC, Holiday. Cf. aussi Europe, Paiement à la carte, in: J'achète mieux, no 6/1993, p. 34 SS.

Cf. BEUC, directive, p. 1 ss; Comité consultatif [France], Rapport 1993-1994, p. 127 ss; Consumers in the European Community Group (CECG), p. 16 ss; ; EAGLESHAM, p. 150 ss; GOYENS, Payer, p. 83 ss; MITCHELL, payments, p. 27 ss, et Banker's, p. 80 ss; MUNIER, paiements, p. 16 ss; HôRMANN, p. 203 ss. Plus généralement, sur les arguments de protection des consommateurs en matière de (nouveaux) moyens de paiement grand public, voir les références citées in FAVRE-BULLE, paiement, p. 34 s., note 151.

Nous ne pouvons citer ici l'ensemble des références; nous nous arrêterons sur les différentes positions de la doctrine pour chaque sujet, au fur et à mesure des prochains chapitres.

utilisent des systèmes de paiement517, sans parler bien sOr des mesures suggérées par le secteur bancaire lui-même518, Mais avant de parler de solutions - dont il sera question dans les chapitres ultérieurs -, l'on doit être sOr de la pertinence des problèmes dénoncés. Dans la mesure où les institutions financières ont souvent contesté celle-ci et les études réalisées par les organisations de consommateurs, la Commission européenne elle-même a souhaité mener ses propres travaux et études.

II. Les travaux et études de la Commission européenne

16 4. Le premier document juridique spécifiquement consacré aux paiements transfrontières a été la recommandation 90/109 sur la transparence. Ce texte a ceci de particulier qu'il définit de manière très précise - tout en étant non contraignant - des exigences en matière d'information, de répartition des coOts, de délais ou de traitement des plaintes, alors qu'à cette époque, la Commission européenne n'avait pas encore réalisé d'études de fond sur les problèmes particuliers des paiements transfrontières. Les principales dispositions de la recommandation ont ensuite été reprises dans la directive sur les virements transfrontières de 1997.

16 5. Les entraves aux paiements transfrontières ont été abordées pour la première fois dans le document de réflexion de septembre 1990 "Les paiements dans le marché intérieur e11ropée1111519, dans lequel la Commission définit les critères d'un système de paiement transfrontalier efficace afin de pouvoir évaluer les possibilités d'amélioration520, Ce rapport a cependant trait à de nombreux 517

518

519 520

Cf. par exemple: Conseil national du crédit [France], moyens de paiement, p. 65 ss et 87;

SIMON Pierre, Qu'attendent les entreprises d'un système de paiement intra-européen, in:

ECU, no 33, 1995/IV (systèmes de paiement intra-européens: le chantier), p. 50 ss;

GoULDJNG Nicolas, Requirements of a unified european payment system for Small and Medium sized businesses, in: ECU, no 33, 1995/IV (systèmes de paiement intra-européens: le chantier), p. 46 ss.

Voir notamment: ABB, paiements, p. 7 ss; AFB, Actualité bancaire, no 239, 17-23.10.1994, p. 1 s.; ASB, Rapport 1994/95, p. 124 ss; Comité consultatif [France], Rapport 1993-1994, p. 131 ss; WALKHOFF, p. 159 ss; IANNUCCI, directive, p. 13 ss, et infonnation, p. 5 ss; WRIGHT. Paiements, p. 68 s.; KOCH, p. 70 s.; BRARD, p. 114 ss;

SIMON, paiements, p. 1100 ss; Actualité bancaire no 214, 20.12.1993 (Pierre SIMON, Paiements transfrontaliers en Europe: ''La Commission doit laisser le marché apporter les réponses aux besoins réels"); Petits paiements transfrontières, in: bancatique, no 85, septembre 1992, p. 436 ss.

Supra no 134.

Dans le cadre de l'analyse des problèmes posés par l'utilisation transfrontière de différents moyens de paiement (espèces, virements, chèques et cartes) et des suggestions de solutions, on retiendra l'accent mis sur le coftt des opérations de change (en l'absence d'une monnaie unique), les inconvénients du système des correspondants pour les virements (coilts élevés et information insuffisante, notamment sur les cofits et les délais)

aspects techniques et le volet juridique est peu abordé. C'est par conséquent un autre document de travail de la Commission qui fait plutôt office de référence en doctrine et dans la pratique en tant que descriptif des obstacles aux paiements transfrontières et d'ébauche de certaines solutions juridiques: le rapport de mars 1992 "Faciliter les paiements transfrontaliers: éliminer les barrières". Ce texte constitue une sorte de synthèse des deux importants rapports publiés par le Groupe de développement technique des systèmes de paiement (PSTDG) et le Groupe de liaison des utilisateurs des systèmes de paiement (PSULG)521, qui eux-mêmes contiennent de précieuses informations. On peut dire que le maître mot de ces travaux était d'examiner les diverses mesures "pour augmenter la rapidité, la transparence et la fiabilité des paiements transjrontaliers et en diminuer le coût"522.

166. Nous allons nous arrêter plus en détail sur ces quatre premières catégories d'entraves (information insuffisante, coüt trop élevé, durée d'exécution trop longue et manque de fiabilité) et pour mieux les illustrer, nous nous référerons aux résultats des études menées sur le terrain par la Commission en 1993 et 1994523.

La première de ces études524 a porté sur l'information donnée dans plusieurs dizaines d'agences bancaires dans chaque Etat membre de la Communauté (280 au total) et sur l'exécution d'environ 1000 virements de 100 écus entre 34 banques. Quant à la deuxième étude réalisée en 1994525, elle a

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525

et les améliorations possibles (accès des institutions financières étrangères aux chambres de compensation informatisées nationales et interconnexion de celles-ci en Europe), la dématérialisation des chèques ou encore l'interopérabilité des cartes.

Cf. supra no 135.

Commission [UE], paiements transfrontaliers, para. 62.

On rappellera que la Commission a fait réaliser par un consultant indépendant deux études à une année d'intervalle sur la transparence et l'efficacité des paiements à distance transfrontaliers, études qui visaient en particulier à contrôler si les mesures d'autorégulation du secteur bancaire étaient suffisantes (Lignes directrices pour une information à la clientèle sur les paiements à distance transfrontaliers). Cf. supra no 136-138.

Remote cross-border payment services: Transparency in conditions offered and performance of transfers executed (Retail Banking Research Ltd.), Report prepared for the Commission of the European Communities (OO XV), Londres juillet 1993. Cf. aussi Transparenz und Leistungsflihigkeit bei grenzüberschreitenden Fernzahlungen, Eine Untersuchung der EG-Kommission, in: ZBB 1993, p. 275 ss; Transparence et efficacité des paiements à distance transfrontaliers: Une étude de la Commission des Communautés européennes, Information à la presse IP(93)670, 29.7.1993; The EC Times, 21.6.1993;

REOC 1993, p. 179; Agence Europe, Bulletins no 6032, 30.7.1993, p. 11, et no 6034, 2/3.8.1993, p. 7 s.; Communication de M. VANNI D'ARCHIRAFI et de Mme SCRIVENER à la Commission, Transparence et qualité d'exécution des paiements transfrontaliers, SEC(93) 1968 (non publiée), p. 2; HARRIS-BURLAND/DONÀ, p. 185 SS.

Study in the Area of Payment Systems into the Transparency of Conditions for Remote Cross-Border Payment Services and the Performance of Cross-Border Transfers (Retail

concerné cette fois 352 agences (de 165 banques différentes) pour l'examen de la transparence et environ 1200 virements (132 transferts de 130 écus "non urgents" et 1048 transferts de 100 écus portant la mention "urgents").

Par leur envergure et le fait que les résultats de la première étude aient pu en grande partie être corroborés par la deuxième un an plus tard, ces deux études sont extrêmement utiles pour mettre en évidence les différents problèmes qui se posent.

B. Le catalogue des entraves

1 L'information

167. La première étude de la Commission européenne au sujet de la transparence est arrivée à des conclusions très nombreuses et complètes qu'il serait difficile d'exposer ici en détail. On relèvera simplement à titre d'exemple que sur 280 agences bancaires, 68% ne fournissaient aucune information écrite sur les virements transfrontières, 2% proposaient un dépliant très général sur les services proposés, 5% offraient une infonnation plus spécifique permettant de choisir le mode de paiement le plus approprié, 21 % fournissaient des informations écrites limitées aux cotlts et seulement 4% disposaient de brochures avec des informations précises tant sur les services que sur le détail des frais, satisfaisant aux critères qui avaient été définis dans les Lignes directrices du secteur bancaire526. Quant aux délais d'exécution, des informations écrites n'étaient généralement pas données, mais la majorité des agences fournissaient des informations oralement, dont la précision et l'exactitude étaient toutefois très variables.

En 1994, il restait toujours 46% de 352 agences qui ne fournissaient aucune information écrite sur les virements transfrontières et seulement 14% des

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Banking Research Ltd.), Report for the Commission of the European Communîties (DG XV), Londres aoftt 1994. Cf. aussi Information à la presse IP(94)911, 3.10.1994, et Transparency and performance of remote cross-border payments, in: ECU, no 33, 1995/IV (systèmes de paiement intra-européens: le chantier), p. 57 ss; Agence Europe, Bulletin no 6241, 1.6.1994, p. 11; Business Law Europe, 27.6.1994, p. 4; Butterworths Journal of International Banking and Financial Law 1994, p. 364; L'Agefi, 4.10.1994; HARRIS-BURLAND/DoNÀ, p. 185 ss.

Pour un exemple de brochure - "Unsere Leistungen für private Kunden im grenzüberschreitenden Zahlungsverkehr" (Allemagne) -, cf. WM 1993, p. 626 ss, ainsi que les commentaires de VORTMANN, Bankdienstleistungen, p. 584, et WAND, Beratungspflîchten, p. 8 ss (avec une controverse entre ces deux auteurs quant à la question de savoir si en droit allemand un tel document s'inscrit dans le cadre d'une obligation d'information contraignante pour les banques).

agences qui donnaient une telle information écrite fournissaient des éléments suffisamment détaillés sur les services, les cofits et les délais, respectant ainsi les dispositions des Lignes directrices. Si l'on constatait donc une légère amélioration, celle-ci était toutefois bien loin des exigences posées par la Commission: pour "éviter" la mise en chantier d'une directive sur les virements transfrontières, deux tiers au moins des agences figurant dans l'échantillon auraient dü fournir à leur clientèle des informations écrites complètes, conformes aux Lignes directrices527.

Les services de paiement transfrontière se caractérisent donc par un manque de transparence important. Nous en développerons les conséquences juridiques dans le quatrième chapitre528.

Il. Le coût