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C Le rôle du droit de la concurrence

1 L'affaire Eurocheque

151. Premier volet: la société Eurocheque International avait obtenu en 1984 une décision d'exemption de la Commission au titre de l'art. 85 paragraphe 3 du traité CEE pour son accord relatif à l'utilisation et à la compensation internationales des eurochèques uniformes, accord dit "Package Deal" et cela pour une durée limitée correspondant à la durée initiale de l'accord lui-même, soit jusqu'au 30 avril 1986485. Malgré notamment la fixation d'une commission uniforme de 1.25% pour tout chèque tiré en monnaie locale à l'étranger, la Commission européenne a jugé que les quatre conditions requises pour l'exemption prévue par le Traité étaient remplies.

Premièrement, le système eurochèque contribue à améliorer les facilités de paiement à l'intérieur du Marché commun. Deuxièmement, les utilisateurs du système en retirent un profit équitable: les porteurs de chèque disposent en pratique de toutes les monnaies européennes, ils peuvent retirer de l'argent liquide, ils bénéficient d'une garantie émise par leur banque et d'un délai de recouvrement. Troisièmement, les restrictions imposées sont indispensables pour le bon fonctionnement du système eurochèque. Quatrièmement, les accords et décisions en cause ne donnent pas la possibilité aux banques émettrices d'eurochèques uniformes d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des moyens de paiement internationaux puisque toute personne se rendant à l'étranger garde le choix entre différents moyens de paiement.

Dans l'optique des consommateurs, on retiendra la constatation par la Commission que les accords et décisions en cause ne régissent pas les relations entre les banques tirées et leurs clients. Une possibilité de concurrence subsistait donc au niveau des relations entre chaque établissement émetteur et sa clientèle, 484

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EHLERMANN, p. 468 s. La Commission a elle-même précisé qu'elle publierait, au cours de l'année 1998, une communication pour clarifier les modalités d'application des règles de concurrence aux instruments de paiement électronique: Commission [UE], moyens électroniques de paiement, p. 3, et commerce électronique, para. 48; voir aussi l'avis du Comité économique et social [UE], moyens électroniques de paiement, para. 3.4.

Décision de la Commission du 10.12.1984, JOCE L 35 du 7.2.1985, p. 43 ss.

CRANSTON, Payment, p. 249 ss; BRIEN, p. 45 ss.

la mesure dans laquelle les commissions sont répercutées sur la clientèle étant laissée à l'appréciation de l'établissement tiré. En outre, pour assurer la transparence du marché et la liberté de choix des utilisateurs, la Commission a estimé nécessaire que ceux-ci soient exactement infonnés des modalités et du cofit d'utilisation des eurochèques unifonnes à l'étranger, par voie d'affichage aux guichets, de dépliants et de toute autre manière adéquate, de même que le décompte remis au client après chaque opération indique certains éléments. La Commission a donc formellement intégré dans sa décision une injonction aux associations bancaires de prescrire à leurs adhérents d'informer "très précisément" leur clientèle sur tous les frais d'utilisation des eurochèques à l'étranger.

En 1987, un nouvel accord a été conclu au sein de la communauté Eurocheque et notifié à la Commission. Seuls deux points importants ont été modifiés par rapport au "Package Deal" initial: le montant maximal de la commission interbancaire a été porté de 1.25% à 1.60% et un minimum a été introduit pour cette même commission interbancaire (contre-valeur approximative de 2 francs suisses par eurochèque)486. Aujourd'hui, on attend toujours la décision de renouvellement ou non de l'exemption générale487. Aux dernières nouvelles, la Commission serait prête à accorder une exemption à l'accord interbancaire eurochèque, à la condition notamment que la règle de non-discrimination appliquée aux commerçants soit abandonnée, mais les banques refusent cette proposition qui revient à renoncer à interdire contractuellement le

"dual pricing"488.

15 2. Deuxième volet - parallèle -: en 1992, à la suite de l'accord dit d"'Helsinki" entre Eurocheque International et le Groupement français des cartes bancaires "CB", ces deux sociétés ont été condamnées par la Commission européenne à de lourdes amendes489 pour violation de l'art. 85 para. 1 en raison 486

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DISHINGTON, p. 33; SOUSI-ROUBI, Droit bancaire, no 738 p. 361.

Le dossier est à l'étude depuis plusieurs années à la DG IV; une communication de griefs a déjà eu lieu et portait en particulier sur le manque d'information sur les différentes charges donnée à ceux qui tirent des chèques à l'étranger, l'imposition systématique d'une commission interbancaire maximum répercutée sur le consommateur, l'introduction d'une commission minimum, le montant peu élevé garanti par eurochèque, enfin le traitement des eurochèques par les détaillants français (ceux-ci étant les seuls dans la Communauté européenne à devoir payer une commission à leur banque - identique à un paiement par carte - sur les eurochèques étrangers qu'ils encaissent): REDC 1991, p. 44; WuW 1991, p. 31; INFO-C, septembre 1991, p. 5 s; Agence Europe, Bulletin no 5337, 27.9.1990, p. 7 s.; EHLERMANN, p. 464. La demande d'exemption a incidemment donné lieu à une décision du Tribunal de première instance des Communautés pour une question de procédure liée à une demande de renseignements adressée par la Commission à une banque membre de la communauté Eurocheque: arrêt du 8.3.1995, affaire T-34/93, Société Générale c. Commission, in: Rec. 1995, p. II-545 ss.

Institutions Européennes & Finance, no 42, 31.1.1997, p. 14; ainsi que les références citées supra note 483 sur la position de la Commission face à la tarification différenciée.

Respectivement 1 million et Smillions d'écus.

de l'entente tarifaire illicite sur les conditions d'acceptation des eurochèques étrangers dans le secteur du commerce en France490. Il s'agissait du premier cas d'amende pour le secteur bancaire. La Commission européenne a estimé que l'accord d'Helsinki constituait une restriction de concurrence "particulièrement grave", en tant qu'entente de prix, qui plus est applicable aux relations avec la clientèle. Elle a au surplus rejeté la demande d'application de l'art. 85 para. 3, aux motifs premièrement que l'accord n'a pas favorisé le développement des eurochèques en France mais l'a au contraire entravé, deuxièmement que les utilisateurs n'ont globalement pas tiré d'avantages de l'accord, troisièmement que ces restrictions n'étaient pas indispensables, quatrièmement qu'il n'y avait plus de possibilités de concurrence résiduelle.

Sur recours, le Tribunal de Première Instance des Communautés a cependant atténué considérablement cette sanction, dans un arrêt du 23 février 1994491, en annulant la décision pour des motifs de procédure en ce qui concerne Eurocheque et en réduisant de 5 à 2 millions d'écus l'amende infligée au groupement des cartes bancaires "CB", mais en ne confirmant pas moins la thèse de la Commission quant à la violation de l'art. 85 para. 1 et l'inapplicabilité de l'art. 85 para. 3 du traité492.

15 3. Le problème de base est en fait la distinction délicate entre accords de coopération et ententes cartellaires. Le domaine des systèmes de paiement se caractérise en effet par un besoin important de coopération entre les opérateurs, surtout lorsqu'on parle d'interopérabilité, d'interconnexion des systèmes. Les banquiers sont ainsi unanimes pour solliciter l'aide des autorités communautaires de la concurrence afin que des accords multilatéraux puissent être conclus, que ce soit dans le domaine technique, de la normalisation, ou pour définir des commissions interbancaires uniques493.

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Décision de la Commission du 25.3.1992, JOCE L 95 du 9.4.1992, p. 50 ss. VuR 1992, p. 205; DISHINGTON, p. 33 s.

Affaires jointes T-39/92 et T 40/92, Groupement des cartes bancaires «CB» et Europay International SA c. Commission, in: Rec. 1994, p. 11-49 ss. Cf. Revue de droit bancaire et de la bourse 1994, p. 120; Institutions Européennes & Finance, no 11, 28.2.1994, p. 1 SS.

Sur l'arrêt subséquent du Tribunal de première instance au sujet du paiement des intérêts afférents à cette amende: arrêt du 14.7.1995, affaire T-275/94, Groupement des cartes bancaires «CB» c. Commission, in: Rec. 1995, p. 11-2169 ss; SCHWERER François, Les recours contre les décisions de la Commission européenne, Régime applicable aux intérêts de retard (Arrêt du 14 juillet 1995: Groupement des cartes bancaires/Commission), in: Revue de droit bancaire et de la bourse 1995, p. 180 ss.

A noter que pour SOUSI-ROUBI, concurrence, p. 197 s., l'accord de prix entre banques sur des commissions interbancaires se caractérise par une absence de marché et donc d'une condition d'application du droit communautaire de la concurrence. L'art. 85 étant inapplicable, les commissions interbancaires devraient donc pouvoir être conclues tout à fait librement. Partant, cet auteur critique les décisions de la Commission européenne et du Tribunal de première instance basées sur une "doctrine Eurocheque" erronée. Voir aussi

15 4. Pourtant, certains accords interbancaires ne franchissent pas le cap de l'examen par la Commission européenne de leur compatibilité avec le droit européen de la concu1Tence. Il en est ainsi par exemple du "European Accord for Bank Card Usage" signé à Florence le 9 octobre 1987 sous l'égide du Conseil Européen des Systèmes de Paiement494. Cet accord-cadre visait à aboutir, dans les meilleurs délais, à la réciprocité des cartes de paiement émises par les différentes banques européennes. Le but était de permettre à chaque banque concernée de continuer à émettre sa propre carte, tout en l'obligeant à accepter les cartes des autres émetteurs. Etaient réglés dans la convention les termes de la coopération, entre banques et vis-à-vis des commerçants, au niveau technique et tarifaire, ainsi qu'au niveau de la sécurité, coopération touchant les opérations (électroniques ou non) de retrait d'espèces et de paiement de biens et services.

Une telle entente entre un nombre limité de banques (à l'exclusion d'autres institutions financières et des banques non européennes) était toutefois susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun au sens de l'art. 85 para. 1 du traité CEE495. Le "European Accord for Bank Card Usage" a donc été notifié à la Commission (DG IV) afin d'obtenir une exemption des règles de la concurrence (art. 85 para. 3 du traité)496, mais devant les importants griefs qui ont été formulés, le Conseil Européen des Systèmes de Paiement a tout simplement préféré renoncer à son accord, sans donc qu'une décision formelle ne soit finalement prise par la Commission européenne497.

15 5. Il semblerait malgré tout que l'on soit plus conciliant déso!Tflais à l'égard de certains accords tarifaires conclus par les banques, pour autant que ces accords réservent un certain profit aux utilisateurs, confo!Tflément aux conditions d'exemption de l'art. 85 para. 3. La Commission distingue entre les conditions appliquées aux clients et les relations interbancaires. Les premières ne devraient jamais donner lieu à des accords tarifaires alors que, pour les relations entre banques, un accord tarifaire pourrait être exempté, lorsqu'il s'inscrit dans le cadre d'un service pour lequel la collaboration de deux ou plusieurs banques est requise et que la fixation d'une commission interbancaire est absolument

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l'analyse approfondie de SCHWERER, virements, p. 435 ss, et marché, p. 3 ss, sur cette différence entre marché et système.

European Council for Payment Systems (ECPS). Cf. FAVRE-BULLE, paiement, p. 53 ss;

CRANSTON, Payment, p. 256 s.; ; MITCHELL, Banker's, p. 67 ss; ASE, Rapports 1989/90, p. 192 s., et 1990/91, p. 163, et 1991/92, p. 156. L'ECPS ne se limite pas aux seuls Etats de la Communauté mais inclut également des pays de l'AELE - dont la Suisse -. soit les représentants de 40 organisations bancaires de 17 Etats européens (VASSEUR, Droit, p. 1520; MITCHELL, services financiers, p. 253).

MITCHELL, Electronic Banking, p. 45 s., et services financiers, p. 253; BOURGOIGNIE, services financiers, p. 15.

Droit de !'Informatique & des télécoms 1989/1, p. 5 s.

Le Conseil Européen des Systèmes de Paiement aurait même été dissous en 1992.

nécessaire pour assurer le succès de cette coopération. En outre, seule la fixation de commissions maximales devrait être autorisée.

L'admissibilité d'accords sur les commissions interbancaires s'explique en pratique parce que des commissions variables d'une banque à l'autre impliquerait des négociations bilatérales entre les milliers d'établissements participants au système, ce qui n'est pas concevable. En revanche, comme la Commission l'a précisé dans sa décision "eurochèques uniformes" de 1984, il est bien clair que de telles commissions interbancaires ne doivent pas être systématiquement répercutées sur la clientèle à cause d'accords au niveau national régissant les relations banques-clients. Les banques d'un même pays ne doivent pas offrir le même service au même prix, les usagers doivent garder leur liberté de choix.