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De l’invention collective à la rédaction

Lire, écrire et réécrire le conte

7.2. Des contes pour parler et … pour écrire ?

7.2.2. De l’invention collective à la rédaction

Si de telles voies d‟accès détournées vers le conte facilitent le passage à l‟écriture, ils ne résoudront pas néanmoins la question de l‟accès à l‟écriture en sa totalité. Les questions de l‟ordre du « Madame, j‟ai pas d‟idée ; qu‟est-ce que vous voulez que j‟écrive si j‟ai pas d‟idée ? Et il faut que ce soit long comment ? » ne trouvent donc pas forcément leurs réponses dans cette stratégie pédagogique autour du conte, ni celle de la question du scripteur : comment les apprenants peuvent-ils se projeter dans la posture de scripteur, eux qui n‟ont jamais été que des lecteurs.

Ainsi, leur demander d‟écrire un long texte et ce d‟une façon strictement personnelle, au moment où ils se sentent incapables de l‟accomplir, représente pour eux un vrai défi qui demande de réfléchir autour des processus d‟anticipation et de la projection au futur. Dès lors, comment impliquer et inscrire les apprenants dans un tel projet d‟écriture ? En quoi le conte peut-il aider l‟enseignant à faire écrire les apprenants, alors que nous avons déjà vu qu‟il ne s‟agit pas d‟un genre auquel des étudiants se réfèreraient spontanément ? Le conte présente un intérêt didactique important, celui d‟être strictement modélisé, et cette modélisation est connue par tous les élèves qui ont fréquenté les classes de collège. Mais dans ce projet d‟écriture, l‟enseignant va guider ses apprenants à un accès plus direct qui consiste à entrer par le sujet et non par le genre.

Si l‟on effectue une lecture oralisée de n‟importe quel texte de conte, voire même une lecture théâtralisée, ou bien si on fait raconter aux étudiants un conte dans ses différentes versions, cela peut mettre en évidence les points qui semblent problématiques pour les apprenants, c‟est-à-dire les ancrages pour l‟imagination. Ainsi, tous les apprenants, ou presque, connaissent la plupart des contes dans leurs grandes lignes, au moins nous pouvons dire dans la version de Disney largement diffusée ces années-ci à la télévision et au cinéma. C‟est pourquoi ils ne peuvent pas cacher leur surprise dès qu‟on leur lit en parallèle la version de PERRAULT et celle de GRIMM et que l‟on s‟arrête sur des points stratégiques.

Dès l‟incipit, l‟enseignant peut proposer à ses apprenants un bon axe d‟invention collective : comme les univers de PERRAULT et de GRIMM Ŕainsi que leurs versions-

sont assez différents, il ne sera pas difficile de proposer aux élèves l‟idée d‟une version nouvelle, qui vivrait à notre époque, et qui serait influencée par les modernités et les nouveautés de l‟époque. Différents univers envisageables sont proposés par les élèves, sous forme d‟un schéma heuristique tracé au tableau, et en divisant les élèves en groupes, chacun d‟entre eux pourrait approfondir un univers, en montrant en quoi il constitue un avatar moderne du conte choisi110.

Ensuite, et à partir de ce cadre moderne dans lequel le conte sera construit, il faut à l‟enseignant proposer des pistes pour la situation initiale et le déroulement qui va suivre. Inventer collectivement pourra poser des obstacles, particulièrement celui d‟accepter les propositions faites par les autres et de manière suffisamment ouverte pour pouvoir les aborder, mais aussi d‟avoir la confiance en soi-même qu‟on est capable d‟inventer seul. Il est répandu de voir dans un groupe un ou plusieurs élèves attendant patiemment que les autres, ou un seul bien souvent, trouvent l‟idée que le groupe va s‟approprier : pourquoi pas ? Ce pas peut s‟avérer très utile à condition que l‟enseignant s‟assure qu‟ensuite tous travaillent bien sur cette idée avancée.

En proposant par exemple une idée qui se rapproche d‟un des contes très connus (une belle-mère méchante, une fille abandonnée, un loup qui rôde dans la forêt, un roi sans héritier etc.) et qui séduira les apprenants, il est toutefois nécessaire à l‟enseignant de les accompagner afin de s‟assurer que le texte ne se réduira pas à une histoire différente du conte détourné : il est indispensable, à ce stade, de reprendre les principaux axes du conte à innover afin de ne pas déborder de l‟objectif essentiel, qui est l‟écriture d‟un conte et que cela ne se réduise pas à une simple écriture d‟un texte narratif. Un temps de retour aux textes est donc nécessaire pour étudier à la fois les invariants et les modifications possibles.

Si la piste émise par certains apprenants permet de réinvestir des éléments de l‟actualité, les situations initiales de PERRAULT et de GRIMM montreront rapidement qu‟il va falloir réorienter le début du récit capable de pointer le futur texte vers différentes directions. Pour rester dans le cadre fixé du conte choisi, le groupe va devoir reprendre le début du récit et choisir une situation qui, dans le cadre géographique choisi, peut faire intervenir l‟élément modificateur et retrouver le rail des événements.

Rien n‟empêche que les élèves fassent à ce point-là des recherches qui leur permettent de trouver la situation leur paraissant le mieux convenir à leur projet : plusieurs scénarios y seront possibles. Les discussions et les débats entamés en classe de langue seront donc une bonne occasion pour la pratique de l‟oral. Les élèves vont ainsi, collectivement et progressivement, élargir leur éventail d‟alternatives, et le thème choisi, qui aurait pu leur sembler au départ un peu puéril, se révèle alors porteur de problématiques qui forcent les élèves à se montrer rigoureux dans leur approche interculturelle.

Une fois terminé ce stade d‟invention collective, rassurant pour les élèves parce qu‟il leur donne l‟impression première qu‟ils ont beaucoup d‟idées, ce qui s‟avère intéressant en termes d‟apprentissage de la rigueur du raisonnement, l‟enseignant sera amené à mettre en place des stratégies qui permettent à chaque élève de se mettre à écrire. Même si nous savons bien que le processus de la rédaction joint le temps d‟invention et de révision, pour les élèves le temps difficile est celui où il leur faut trouver les phrases et les mots. Comment introduire la séance d‟écriture proprement dite?

Une des premières aides que peut proposer l‟enseignant est un embrayeur qui aide à dépasser le « trac » des premières lignes. C‟est le déclencheur atemporel « Il était une fois… », qui pourrait introduire une récurrence fantastique « La première fois que… », avant de fixer le cadre géographique de l‟histoire, et de placer un personnage au milieu des événements. Ce même processus permet en même temps d‟installer des temps verbaux, une structure syntaxique simple et des éléments de récit qui favoriseront l‟organisation et la cohésion du corps de texte qui commence à se construire petit à petit. Ces caractéristiques, clairement définies au départ de l‟histoire, dévoilent un double intérêt pour aider les élèves à jouer un véritable rôle d‟embrayeur d‟écriture, et de définir des critères de réussite pour leur auto-évaluation.

A partir de ce début, les élèves peuvent commencer à écrire, avant de passer aux péripéties puis à quelques récurrences suivant le modèle « La première fois que… ». L‟enseignant cherche, en accompagnant les temps de rédaction en classe, la fidélité à cette trame en interrogeant régulièrement les élèves sur l‟adéquation entre leur nouveau récit et les éléments de départ.

Le second pas vise à fixer la longueur du texte en fournissant aux jeunes écrivains des repères précis. En calibrant la quantité de parties matérielles à rédiger, l‟enseignant rassure

les apprenants au lieu de les agacer en limitant les scripts d‟une façon raisonnable. En effet, beaucoup plus d‟élèves sont déstabilisés par la longueur d‟un texte à écrire que par sa réduction. Plutôt que de fixer l‟attention des apprenants sur le nombre de lignes à produire, il sera judicieux de cadrer la partie du récit à rédiger en précisant ce qu‟il faut produire : la situation initiale, un élément modificateur et une complication.

Ainsi, à la fin de la séance de rédaction, chaque apprenant scripteur pourra déjà s‟auto-évaluer et réviser son texte écrit grâce à une fiche simple et précise, élaborée à la fin de la séance consacrée à l‟invention collective. Puis, à la séance suivante, l‟enseignant pourra proposer quelques essais de révision et/ou de récapitulation, soit collectifs (s‟il en vise un apprentissage), soit individuels (afin de remédier à certaines lacunes ou améliorer quelques structures de la langue). Par exemple, il pourra utiliser différents types de progression dans la construction des péripéties, donnant ainsi des explications théoriques sur le sujet de la progression thématique. Cette étape, qui entre sous le titre de révision, est une étape essentielle et constitutive de la rédaction. Elle peut gêner certains scripteurs ayant le souci de finir vite, mais qui sont plutôt rassurés quand ils découvrent qu‟ils ne seront ni évalués ni notés sur le script finalement produit, et qu‟ils auront le temps de l‟améliorer et de le modifier au fur et à mesure que la séance de rédaction avance.