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Des éléments clefs aux interprétations

Le Petit Chaperon Rouge : des variations à l’exploitation pédagogique

6.1.2. Des éléments clefs aux interprétations

Si on élit comme éléments-clés, non pas la trame narrative mais des éléments de la surface du récit (le rouge, le chaperon, le loup), on ne peut pas dire qu‟ils sont constants dans toutes les versions mais ils assurent pourtant l‟identité du conte sur un plan métonymique ou métaphorique et avec un fort potentiel symbolique en faisant système.

Parler d‟une petite fille vêtue en rouge, partie à la visite de sa grand-mère et de sa rencontre avec un être « méchant » comme l‟on trouve l‟adjectif très célèbre dans les

89 Nous faisons allusion à l‟œuvre de l‟artiste Fam EKMAN intitulée « Le Chapeau rouge » et publiée en 1985 et dans laquelle il s‟agit d‟un petit garçon qui porte un chapeau rouge et qui ira visiter sa grand-mère en lui apportant une robe qu‟il doit acheter à la ville. Certes, c‟est la ville qui est cette fois plus dangereuse que la forêt, et le loup ou plutôt la louve, déguisée en vendeuse de boutique, trompera le garçon afin d‟aller dévorer la grand-mère. Mais le garçon qui échappera au loup comprendra que ce dernier a dû avaler sa grand-mère et finit par attaquer le loup avec un couteau de fruits afin de la sauver. L‟œuvre se clôt sur ce que le loup devient plus petit (parce que le Chapeau Rouge et sa grand-mère mangeaient tout ce qui était dans le ventre du loup) et tenu par une laisse, il devient assez gentil qu‟un petit chien.

contes de fées, c‟est évoquer indubitablement le conte du Petit Chaperon Rouge. Il suffit parfois de représenter une fillette en rouge90 pour qu‟on ait l‟image du Chaperon Rouge. Mais pourquoi le choix de cette couleur précisément chez PERRAULT ? Certains affirment que c‟est le « rouge » qui dès le titre annoncera des faits inattendus et attirants. La fille apportera avec elle une bouteille de vin qui suggère encore une fois la couleur rouge. Les fleurs que la fillette se met à cueillir dans le bois, sont des fleurs rouges en partie et c‟est ce qu‟on trouve effectivement dans les albums où l‟on a illustré le célèbre conte de PERRAULT. Dans quelques unes des versions plus sanguinaires que celles de PERRAULT, telle la version nivernaise91, on évoquera le sang tout rouge.

Si on s‟arrête auprès de ce fait, c‟est qu‟il ne paraît pas négligeable : La couleur rouge est l‟une des couleurs les plus chaudes et les plus attirantes pour la vision. Que symbolise t-elle dans le conte de PERRAULT ? Le sang ? La mort ? Le désir insoulevable ? La chaleur ? L‟intensité du désir ?

Le chaperon est en lui-même un élément singulier. Il couvre la partie supérieure du corps de la fillette ainsi que sa tête et dissimule les détails de sa silhouette. Mais parler d‟un chaperon rouge, c‟est en quelque sorte parler des désirs dissimulés qui peuvent apparaître à n‟importe quel moment. C‟est bien la matérialisation de ces penchants qu‟on retrouve dans les éditions où c‟est la jeune fille qui avale le loup et non pas le contraire. Dans l‟une de ces versions on trouve effectivement une moralité qui pousse à prendre garde même des jeunes filles : « Craignez les jeunes filles parce que dans chacune bat le cœur d’un

loup »92.

Le loup est, lui, symbole du Mal et du danger. Il est de couleur noire, cruel, féroce, malin et il concrétise toutes les craintes et les peurs de la petite fille. La mère met en garde sa fille contre le loup avant toute autre chose. Mais la forêt est bien entendu peuplée par d‟autres dangers éventuels ! Si l‟on s‟arrête sur le fait que le loup est une concrétisation de la sexualité, la couleur rouge pourrait fournir quelques renseignements là-dessus. Certains

90 Dans un album sans texte illustré par Nicole CLAVELOUX et intitulé « Rouge, bien rouge », on représente sur la couverture une petite fille vêtue en rouge sans pour autant évoquer d‟autres éléments du conte du PETIT CHAPERON ROUGE. Cependant, le public de lecteurs reconnaît le PETIT CHAPERON ROUGE dans le portrait dressé de l‟héroïne.

91 Cf, annexe III, p. 282-284.

92 C‟est la moralité de l‟album « Mina je t’aime » de Patricia JOIRET, où l‟héroïne Carmina est une jeune fille qui semble être comme toutes les autres mais qui ne l‟est pas en fait. Elle a beaucoup de traits qui la rapprochent d‟un loup ou d‟une louve : « petits crocs pointus », « crinière fauve », « pas de loup » etc. Le Petit Chaperon Rouge incarne dans cette histoire par excellence le rôle de la séductrice dangereuse qui amène les garçons à leur fin, une certaine « Lorelei » qui par son charme cause la perte des hommes.

vont jusqu‟à dire que le rouge dans ce conte fait une référence à la menstruation et que cette expérience que doit vivre la fillette n‟est rien que son expérience au début de sa puberté. Une épreuve qui ne se passe pas sans dureté et sans souffrance, et qui dévore l‟enfance de la fille. Le rouge peut évoquer la chaleur des émotions et des désirs. Ne symbolise-t-on pas toujours l‟amour par le dessin d‟un cœur coloré en rouge ? On voit que ces éléments-clés sont marqués par l‟ambivalence.

On lit ou on écoute ce conte « pour le divertissement », mais la gamme des interprétations est très riche, comme nous allons le montrer en ouvrant vers des perspectives mythologiques et religieuses qui augmentent encore l‟intérêt transculturel. À la fois conte folklorique et texte littéraire, le récit du Petit Chaperon Rouge a un statut ambigu et riche : ancré dans la tradition mythologique et celle du christianisme, il a une dimension symbolique susceptible de rencontrer lecteurs et auditeurs d‟âges différents et de conditions différentes.

Une dimension morale peut être attribuée à ce conte. Comme c‟est le cas dans les contes christianisés, le monde du Petit Chaperon Rouge s'ordonne lui aussi autour de deux pôles antagonistes qui incarnent le Bien et le Mal, et dont le conflit anime l‟histoire. Le conte renferme quelques éléments qui permettent de le lire à la lumière de la religion. Il est parfois interprété comme une histoire liée à l'initiation et à l‟édification des filles.

Au premier regard, on s‟étonne de croire que le Petit Chaperon Rouge n‟a rien de mythique : rien en une jeune fille qui porte des délices à sa grand-mère et qui finit par être avalée par un loup à cause de sa légèreté. PERRAULT avait lui-même signalé dans la moralité:

« On voit ici que (...) de jeunes filles

(...) Font très mal d’écouter toute sorte de gens, Et que ce n’est pas chose étrange,

S’il en est tant que le Loup mange. »93

Sur un plan métaphorique la galette et le vin que la petite fille apporte à sa grand-mère pourraient être des symboles du pain et du vin sacrés pour les chrétiens, et ce chaperon une représentation de l‟auréole qu‟on voit au-dessus des têtes des Saints.

Mais cette fillette coiffée en rouge peut prendre une dimension mythique antique. Certains considèrent que cette petite fille qui porte un gâteau est « l‟aurore », et que la grand-mère est la personnification des vieilles aurores que chaque jeune aube rejoindrait. Finalement, le loup incarne la férocité et les astuces, et il est soit le soleil qui se lève pour dévorer l‟aurore aux teintes brillantes et rosées, soit le nuage et la pluie. Les lueurs du jour naissant ressemblent donc à la fin sanglante de l‟aurore, fin qu‟on retrouve dans la version de PERRAULT, mais il semble que c‟est probablement l‟image du soleil qui est symbolisée par le loup :

« Cette image du loup pour figurer le soleil, dit M. Hyacinthe Husson, peut d‟abord paraître d‟un choix invraisemblable. Elle est cependant conforme à une très ancienne conception aryenne. Une légende védique fait changer le soleil en loup (vrika) pour s‟unir à Saranyu » (LEFÈVRE, 1875 : LXV).

Encore plus loin, on noterait même que le loup était un animal emblématique pour quelques-uns des dieux grecs (on peut citer Apollon, le dieu solaire par exemple et autres). Ainsi, on remarque qu‟il y a une sorte d‟association entre l‟image du loup et l‟idée de la lumière.

La version des GRIMM est, elle aussi, interprétable du point de vue de la mythologie. Le « happy end » du conte des GRIMM qui s‟achève sur la délivrance de la fillette et de sa grand-mère ressemble à l‟un des mythes où Héraclès sauve un personnage du ventre d‟un monstre et où celui-ci s‟écrit : « Oh ! que j’ai eu de frayeur, dit l’enfant, et qu’il faisait

noir là-dedans ! » (LEFÈVRE, 1875 : LXVI)

Dans la version du conte qui s‟achève sur la délivrance de la fillette du loup éventré, nous pouvons nous rappeler l'histoire biblique de Jonas dans le ventre de la baleine, symbole de la mort réelle ou initiatique, et qui a été sauvé grâce au salut divin. Les deux personnages sont engloutis par une bête (le loup et le poisson) et se retrouvent dans le noir. Tous les deux y demeurent quelque temps comme s‟ils attendaient la délivrance : une grâce divine pour Jonas et une sorte de « missionnaire » concrétisé par le chasseur qui était à la recherche du loup et qui venait délivrer la fillette et sa grand-mère.

Dans la plupart des mythes et des légendes d‟origine arabe, le héros est le plus souvent tenté par des faits qui le séduisent et qui le mènent à être en fin de compte avalé par un monstre quelconque. Si dans les aventures d‟Héraclès, on le voit tout le temps faire face à des monstres, des hydres et d‟autres espèces de bêtes inconnues, les aventures de Sindbad

le marin très répandues en Orient, représentent dans ce cas-là une richesse inouïe. On le voit se combattre avec toutes sortes de monstres et de bêtes, un grand nombre de « loups » et de fauves et traverser maintes fois des chemins qui le conduisent à des « moulins » ou à des maisons de « vieilles bonnes femmes », parsemés par toute sorte de tentations maléfiques. Un des récits raconte une aventure sur le dos d‟un poisson (ou d‟une tortue marine) géant(e) pris(e) comme une île au milieu de la mer, et qui engloutirait après ses compagnons. C‟est donc une des traces des origines initiatiques de l‟histoire.

La version du conte où le ventre du loup est rempli par des pierres se rattache au mythe de Chronos: le dieu du Temps. Ce dieu cruel, Chronos, avalait ses enfants, mais ceux-ci étaient remplacés par des pierres sans qu‟il s‟en aperçoive.

D‟autre part, dans le registre fantastique cette fois, nous pourrons évoquer la transformation en loups-garous quand la lune est pleine, et qui a été investie longtemps dans la littérature ainsi que dans les médias. Ce motif revient dans la plupart des films d‟horreur, où le loup reste l‟un des ennemis les plus haïs parmi les fauves. On revient de nouveau à l‟idée que chacun a un loup en soi et qu‟il pourrait s‟éveiller à n‟importe quel moment (PERROT, 1998 : 367). PERRAULT a bien écrit :

« Je dis le Loup, car tous les Loups Ne sont pas de la même sorte ; Il en est d’une humeur accorte »94

.

On pourrait dire en fait que le Petit Chaperon Rouge n‟est pas un personnage né du hasard, ni juste d‟une imagination fertile d‟un PERRAULT ou d‟un GRIMM, mais rejoint un imaginaire universel. Il a une dimension plus profonde qui en fait un modèle de conduite, et un prototype humain dans tout ce que la vie humaine et les épreuves de l‟existence peuvent présenter de surprenant ou de cruel et de saillant dans les yeux des êtres qui les endurent.