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La littérature de jeunesse et le conte

3.3. Le conte : Définition et caractéristiques

3.3.5. La fonction psychologique du conte

« Il était une fois, trois fois rien… », «Au temps où les tigres fumaient la pipe… », « Dans un pays, par-delà huit épaisseurs de nuées blanches… » « Où nul n’ose aller, où pas un corbeau ne veut voler… » (SAUVAGE, 2002 : 7)

Les mêmes formules ou presque dans le monde entier inaugurent l‟espace de la parole et du silence. Lire, écouter, dire des contes, ce n‟est pas uniquement s‟enfoncer dans une époque révolue, heureuse ou malheureuse, l‟enfance. C‟est relier cet espace àla partie la plus intime et profonde de nous-mêmes, la plus authentique, la plus compliquée aussi, celle de silence intérieur. Les contes nous parlent vrai, nous parlent de nous-mêmes. Une magie qui nous ensorcelle, une alchimique combinaison de sens, un exotisme de rêve : les contes parlent une langue que notre cœur et notre sensibilité comprennent, à défaut, parfois, de notre raison. Enfants, ils nous ont aidés à comprendre le pourquoi de l‟apprentissage et des épreuves qui jalonnent toute existence. Leur langue dépasse les siècles et les civilisations. Les morales passent, s‟oublient, mais l‟enseignement transmis par les contes s‟immortalise.

D‟où viennent les contes ? Paul DELARUE, folkloriste français, remarquait qu‟

« un grand nombre de contes se disaient déjà il y a des siècles et des siècles, parfois des millénaires, parfois dans un insondable passé qui échappe à nos investigations… […] Ainsi les empires ont croulé, les civilisations ont disparu, des révolutions politiques, religieuses, économiques et sociales ont bouleversé les États, mais les histoires qui charmaient le menu peuple et parfois les grands […] ces histoires venues on ne sait d‟où ont volé de lèvre en lèvre à travers le temps et à travers l‟espace et vivent encore dans la mémoire de certains conteurs français.» (POSTIC, 1997 : 14)

Paul DELARUE commente dans Le Catalogue raisonné du conte populaire français (Maisonneuve et Larose, 1951) différentes versions françaises de contes folkloriques.

Avant sa disparition, il avait effectué le dépouillement des contes français suivant la classification Aarne-Thompson. La tâche de sa fidèle collaboratrice Marie-Louise TENÈZE (DELARUE ; TENÈZE, 2002)a été de décomposer en éléments des contes-types et d‟analyser les versions en fonction de cette décomposition. Cette analyse lui permet de faire apparaître à des niveaux différents deux sortes de motifs : les « scènes » qui sont les motifs successifs apparaissant dans toutes les versions et les « éléments » qui sont les motifs alternatifs où se révèlent les variantes.

Comment se fait-il que certains (par exemple le conte de Peau d’Âne dérivé d‟un mythe préhistorique semblable à celui de la femme-cygne) rappellent les mémoires d‟anciens mythes refoulés par les religions ou l‟évolution de la pensée ? D‟autres se relient à notre inconscient collectif (par exemple le conte de Neige Blanche et Rose Rouge) (VON FRANZ, 1995) …

Certes, il est très intéressant de considérer cette fonction psychologique d‟enseignement inconscient du conte qui se joue au niveau inconscient de la pensée donc implicitement. Les contes concrétisent quelquefois des images et des symboles mythiques dont le système d‟interprétation reste propre à chaque communauté culturelle.

En effet, FREUD voit que les contes possèdent la propriété essentielle de figurer des fantasmes inconscients et de transporter les fantasmes originaires (scène primitive, castration, séduction …) Dans l‟un de ses principaux articles qu‟il a consacré au conte, il met en évidence comment les matériaux des contes de fées constituent les restes diurnes de certains rêves en montrant comment les contes eux-mêmes peuvent être mis en place de souvenirs-écrans :

« Chez quelques personnes, le souvenir de leurs contes préférés a pris la place de leurs propres souvenirs d‟enfance ; ils ont élevé les contes au rang de souvenir-écran. »

(FREUD, 1913 : 214)

Le plus souvent un rêve est raconté plus ou moins comme un récit, et c‟est grâce au conte que les signes et les symboles de l‟inconscient se défoulent et entraînent leur plus grande matérialisation : les contes représentent les éléments qui s‟attachent aux problèmes inconscients qui touchent les personnes dans leur société et leurs relations les uns avec les autres.

Production singulière de l'imaginaire collectif, le conte est un premier lieu de rencontres et de passages. Le conte se dit et s‟écoute pour le plaisir, mais cet espace de transmission permet aussi de donner des figures à l‟irreprésentable. L'écoute des contes par les psychanalystes est une écoute de l‟inconscient comme à travers la narration des rêves. Les contes comme les rêves nous apprennent surtout que l‟univers est hostile, souvent, et que le dire, c‟est déjà l‟apprivoiser, en cerner les contours, limiter ses dangers.

Le conte objective le rêve et concerne les parties le plus primitives du psychisme. Tous les mécanismes de formation du rêve se retrouvent dans la composition du conte. En effet, figuration, condensation, déplacement, représentation par un symbole et élaborations secondaires sont opérant dans la construction de ces récits fictifs que sont les contes. L‟autre monde, le monde réel est là, qui guette, et le conte en témoigne. Le conte offre ainsi à l‟enfant la possibilité d‟extérioriser ses conflits internes et de les identifier à des personnages (fées, sorcières, ogres, monstres …) ce qui lui permet à terme de mettre l‟ordre dans ses tendances contradictoires et de sortir du chaos. En fait, le conte permet à l‟enfant de vivre ses peurs, ses désirs et de trouver des solutions possibles.

Ainsi, les contes constituent une dynamisation des problèmes difficiles à affronter dans l‟état conscient et de leurs solutions : en dramatisant les fantasmes et les craintes, ils permettent de surmonter les peurs et de former la personnalité. Ils peuvent revêtir ainsi une fonction initiatique. Jacques CHEVRIER écrit :

« La fonction ludique de la littérature orale, n‟exclut pas pourtant d‟autres fonctions au nombre desquelles nous rangeons la fonction pédagogique, la fonction politique et la fonction initiatique ». (1992 : 25)

En effet, le conte merveilleux représente un récit initiatique par excellence puisqu‟il raconte le parcours d‟un jeune héros / héroïne qui se transforme sous l‟effet des épreuves qu‟il affronte en chemin. Mircéa ELIADE explique, dans Aspects du mythe(1988) que le conte est devenu littérature d‟amusement en Occident, et, ce, pour les enfants et les paysans. Toutefois, il présente la structure d‟une aventure infiniment grave et responsable, car il se réduit, en somme, à un scénario initiatique. On retrouve toujours les épreuves initiatiques dans les contes : lutte contre le monstre, obstacles en apparence insurmontables, énigmes à résoudre, travaux impossibles à accomplir ; la descente aux Enfers ou l‟ascension au Ciel, ou encore la mort et la résurrection, le mariage avec la princesse. Les contes offrent bien un parcours initiatique et valorisent certes des qualités

propres à la société du lecteur mais sont aisément transposables à d‟autres époques, ce qui permet aux contes d‟être toujours d‟actualité.

La fonction initiatique du conte se manifeste essentiellement à travers un langage métaphorique. On la trouve même dans les vieux contes de fées. Celui de la Belle au Bois

Dormant, par exemple, raconte dans un langage pour enfants comment l‟âme admirable,

endormie depuis si longtemps dans le donjon d‟orgueil, au cœur de la forêt d‟épines de tous les dangers de la vie terrestre, peut être un jour éveillée par le baiser d‟amour du prince audacieux, le chercheur de vérité. Et l‟histoire de Peau d’âne est construite sur le même schéma général.

Beaucoup de ces récits ne sont pas inventés simplement pour distraire. Ils nous transmettent une image symbolique menant à la révélation initiatique enseignée par la sagesse traditionnelle. Ils représentent le destin de l‟homme car il recherche son double intérieur et secret.

L‟initiation dont il s‟agit consiste essentiellement à passer de l‟enfance à l‟âge adulte, à travers des situations archétypales dans lesquelles tout lecteur peut se reconnaître car elles touchent la sensibilité et l‟inconscient aussi bien individuel que collectif.