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Le Petit Chaperon Rouge : des variations à l’exploitation pédagogique

6.2. Au service de l’oral

6.2.1. Le culturel et l’interculturel

Le conte de base peut être travaillé en menant les apprenants à s‟engager dans les interprétations et les relectures. En effet, la discussion qui tourne autour du conte peut revêtir plusieurs formes :

- soit que les apprenants participent à un débat où ils doivent exprimer leurs préférences au niveau des différentes versions d'un même conte, et justifier leurs choix ;

Notons que l‟intégration du conte dépend des niveaux des apprenants. Si les deux activités générales proposées ci-dessus conviennent plutôt au cycle secondaire ou parfois élémentaire (niveau intermédiaire), d‟autres conviennent plus au cycle primaire : par ex., nous pourrons procéder à des études comparatives simples ou complexifiées selon les niveaux des apprenants en traitant plusieurs éléments du conte : caractéristiques des personnages dans tel ou tel conte, ou des lieux et des temps évoqués...

Il est toujours possible de travailler les éléments du schéma quinaire ou actantiel ainsi que la reconstitution de la structure du récit. Dans les textes qui alternent différents modes de narration, nous pourrons procéder à un repérage des événements produits et les classer par l‟ordre de leur réalisation réelle. Dans le cas de différentes versions culturelles, nous pourrons élaborer des études comparatives pour travailler sur les différents aspects interculturels différents.

Les contes sont des éléments porteurs de la culture commune/spécifique de tous les peuples. Nous pouvons penser à un exercice de repérage des marques culturelles qui parsèment les contes et que l‟enseignant présenterait aux apprenants : repérage des champs lexicaux et des détails sur les personnages, lieux, temps, habitudes et mœurs des

sociétés. Nous pourrions aussi procéder à l‟étude comparative des différentes versions traduites en langue étrangère qui proviennent de différents pays, et qui portent la trace de la langue d‟origine du pays. Cependant, il est nécessaire de retrouver la face unique de l‟histoire et les valeurs morales dans les différents costumes qu‟elle peut revêtir. Après tout, « les contes participent d'un discours culturel global qu'une société tient sur

elle-même »95.

Notons que nous pouvons avoir deux types de classes de langue :

a- Une classe de langue qui renferme des apprenants issus tous de la même langue maternelle ou de la même culture ;

b- Une classe de langue qui regroupe une diversité d‟apprenants, locuteurs de langues issues de diverses familles.

Nous ne pensons pas pour autant que le conte exige un certain bain culturel ou un certain public : dans les deux cas, le conte serait un élément unifiant pour le groupe des apprenants.

Le Petit Chaperon Rouge écrit par PERRAULT est connu d‟ailleurs par l‟ensemble des

apprenants dans une version plus ou moins uniqueŔ et qu‟on entendra différemment des bouches des apprenants de la même langue maternelle. On demande à des groupes d‟apprenants de raconter le conte oralement, ou de le jouer devant les autres groupes, en langue étrangère, activité exigeante qui va stimuler les échanges verbaux. Le conte Ŕ quoiqu‟il soit toujours le même- n‟est jamais conté ni joué de la même façon. Nous pourrons nous arrêter auprès de ces représentations orales afin de les faire analyser par les différents groupes et par les personnes qui les ont présentées elles-mêmes (KRAMSCH, 1984).

Les apprenants sont amenés à parler le plus spontanément possible de leur propre vision de ce conte et de leur lecture personnelle de son contenu : pourquoi ont-ils choisi de le « dire »96 de cette façon ? Comment comprennent-ils la moralité donnée par

95 Cette citation est publiée dans le n° 274 de la revue Fenêtres sur cours, 3 OCTOBRE 2005, dossier intitulé « Les Clés d’une culture commune », p.p.18-19.

96 Nous nous basons sur le fait qu‟un tel échange verbal induit que l‟énoncé produit soit en quelque sorte « dit » et non pas seulement raconté. Cette précision enrichit le processus verbal mis en œuvre parce qu‟elle induit une implication directe du public de locuteurs qui devraient réagir en fonction de l‟échange et qui amèneront le groupe à réagir d‟une façon ou d‟une autre.

PERRAULT ? Connaissent-ils d‟autres versions ? Sur quelle tonalité le jouent-ils ? Un grand nombre de questions pourra solliciter la participation de tout le groupe classe. A chaque cycle de base des activités qui lui conviennent.

Dans les cycles supérieurs, l‟apprenant pourra s‟efforcer de devenir un conteur. L‟univers du conte lui permet de plonger dans les mémoires de tout le groupe, de redescendre en soi pour présenter une partie de sa culture et de son histoire.

À ce stade, l‟enseignant trouvera possible d‟explorer la gestuelle, l‟attitude, la musicalité et la densité de la parole dans cet acte de langage (raconter une histoire, rapporter un conte etc.) en langue étrangère. Tels les acteurs au théâtre, il les guide dans cette recherche de la langue bien parlée non par simple souci linguistique et grammatical mais en leur montrant l‟importance de la prosodie et de l‟intonation dans l‟émission des énoncés.

Le même conte peut être rapporté par les différents groupes d‟apprenants, suivant différentes tonalités : s‟il nous paraît que le Petit Chaperon Rouge est un conte enfantin, il n‟empêchera pas qu‟on le voie comme un conte beaucoup plus profond qu‟un récit puéril, un récit qui mène à des débats portant sur la vie et la mort. Il pourrait être rapporté comme une blague et tout un travail linguistique et paraverbal est dès lors mis en place. On peut l‟imaginer comme un rêve fait par la petite fille en rouge qui ne cesse de désobéir à sa mère. On peut le lire comme un souvenir du loup ou comme un cauchemar de la grand-mère. En effet, il suffit juste de changer le point de vue adopté par l‟auteur ou bien l‟ordre de la narration pour qu‟on puisse le découvrir autrement.

Prenons le conte du Petit Chaperon Rouge dans la version commune aux apprenants et selon les spécificités de leur culture. Si on le décline en français, on pourrait voir comment certaines structures ne peuvent pas rester telles qu‟elles étaient dans la version d‟origine de la langue maternelle des apprenants.

Le conte lu, conté, reformulé, commenté, théâtralisé, analysé, recréé constitue un support précieux pour les échanges oraux et l‟enseignant rendra les apprenants sensibles à cette qualité d‟échange où le public aide le locuteur à construire son conte autant qu‟il y participe également. On aidera l‟apprenant/locuteur à devenir lui-même le maître de sa parole. Ces exercices ont la vertu d‟aider les apprenants à se construire une expression et une voix qui sonne et qui donne ; le récit produit livre à son auditoire une voix qui ne

cesse de s‟adapter aux diverses situations dans lesquelles elle doit se retrouver avec ses multiples tonalités : sentence, prière, naïveté, légèreté, humour, horreur... Les apostrophes et onomatopées, les clichés et les passages descriptifs longs ou les dialogues, tout est prétexte à lier le public au locuteur/conteur.

b- Une classe de langue qui regroupe une diversité d‟apprenants, locuteurs de langues issues de diverses familles : quoique la classe de langue étrangère soit dans ce cas un espace en quelque sorte hétérogène parce que les apprenants proviennent de cultures différentes et ne se partagent pas le même fonds folklorique de leur langue maternelle, le conte s‟avère un élément unifiant.

Le Petit Chaperon Rouge, on l‟a déjà remarqué, est un conte universel qui est répandu dans beaucoup des pays du monde avec des modifications qui dépendent de la culture d‟origine. Il est donc connu par l‟ensemble des apprenants dans une version ou dans une autre, mais il faut surtout tenter de retrouver ses éléments et de les rassembler dans les récits différents qui témoignent des cultures différentes.

Ainsi, demander aux apprenants venant chacun d‟un arrière-plan linguistique et culturel différent de raconter ce simple conte comme il est connu chez lui est un travail bénéfique. Il montre comment les éléments qui paraissent les plus banals pour une population peuvent se combiner dans une version ou dans une autre et comment ils joueront le même rôle que remplit quelque chose de beaucoup plus prestigieux chez une autre population. La richesse civilisationnelle est révélée à partir des traits singuliers des modes de vie qui diffèrent.

L‟enseignant peut suggérer une lecture comparative de ce conte, c‟est-à-dire rassembler les traits les plus saillants et pertinents de chaque version pour les comparer à d‟autres : établir une sorte d‟étude comparative à plusieurs sens pour expliquer le symbolique des divers constituants du conte pour les diverses cultures que les apprenants représentent. Une autre piste serait de tenter de créer une version unique ou du moins hybride. Un conte transculturel qui s‟applique partout et qui relève de la culture de chacun en mariant les éléments d‟une culture à ceux d‟une autre. Prendre par deux la version du Petit Chaperon Rouge et associer le début de l‟une à la fin de l‟autre : voilà un nouveau chaperon qui naît! Ou encore placer l‟action en Asie en tenant compte des données culturelles. C‟est sans doute un travail qui n‟est pas sans complexité mais qui peut être proposé en

explorant particulièrement les combinaisons possibles de telle ou telle circonstance à une situation donnée et les conséquences des choix en termes d‟effets de sens.

L‟enseignant pourrait aussi travailler sur les valeurs symboliques des éléments du conte chez les différents peuples : si, par exemple, le loup représente la férocité et la cruauté dans une culture donnée, ce n‟est pas le cas dans une autre qui lui réserve une valeur religieuse ou idéologique plus ou moins importante. Le loup est un animal saint chez certains peuples, il n‟existe pas dans certains pays. Il est moins dangereux qu‟on le croit chez d‟autres. Dès lors, l‟interprétation de ce conte parce qu‟elle diffère d‟un apprenant à un autre amène à des discussions plus ou moins chaudes. La parole est donnée à tous les apprenants, et à chacun de se justifier en fonction de ses propres connaissances et de sa propre culture.

L‟inversion des rôles peut être pratiquée: demandons à un apprenant d‟une culture donnée de raconter la version d‟un autre apprenant qui vient d‟une autre culture pour déceler le point de vue qu‟il porte sur cette nouvelle culture. Discuter les emplois de tel ou tel élément du conte à tel ou tel stade de l‟histoire ouvre tout un champ de discussion.

C‟est ainsi qu‟on peut remarquer que le conte est vraiment un support pédagogique qui offre une infinité d‟activités orales et qui implique le groupe des apprenants linguistiquement dans la langue étrangère et culturellement dans leur propre histoire et leur propre expérience.

6.2.2. L’expression orale facilitée par le conte : du récit à l’illustration et