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Pour introduire au jeu littéraire, l’exemple des chaperons de toutes les couleurs

Lire, écrire et réécrire le conte

7.1. Pour introduire au jeu littéraire, l’exemple des chaperons de toutes les couleurs

L‟histoire du Chaperon Rouge (et de toute autre couleur) ne s‟arrête pas pour autant sur ce point : il ne s‟agit pas juste d‟essayer toutes les couleurs possibles des chaperons, et on assiste de nos jours à une vogue qui témoigne du goût de l‟innovation: dans les blogs diffusés sur l‟Internet, la même version potentielle d‟un chaperon est relue, modifiée, contournée, déclinée à l‟exemple d‟une autre, imprégnée par l‟humour de son auteur et sophistiquée d‟une façon à ce qu‟on se demande le plus souvent : qu‟a-t-elle à faire avec la notion même de « Chaperon » ?ou bien quel lien pourrait-on trouver entre ce texte tout à fait innové comme fruit de son temps, et celui qu‟on retrouve dans les éditions d‟autrefois ?

Du conte initial de PERRAULT et celui des GRIMM, passant par celui de SOLOTAREFF pour arriver à DUMAS et MOISSARD, on a eu une infinité de chaperons rouges, verts, bleus, jaunes et de différents pays, des deux sexes et de divers tempéraments : des chaperons naïfs, gentils, polis, violents, méchants, rusés, menteurs, impolis etc.

Deux versions se déclinent sur le modèle du conte initial, mais d‟une façon plus moderne que nous allons voir plus en détail : le Petit Chaperon Vert (SOLOTAREFF, 1983) et Le

Petit Chaperon Bleu Marine (DUMAS et MOISSARD, 1990).

Le Petit Chaperon Vert de SOLOTAREFF n‟exclut pas le Chaperon Rouge de ses

personnages mais fait apparaître d‟autres couleurs. L‟héroïne de ce conte est un Petit Chaperon Vert qui se pose le plus souvent en rivalité avec le Petit Chaperon Rouge. Elle est son ennemie la plus détestée « parce que c'était une menteuse »100. Sa meilleure amie porte un capuchon bleu et sa sœur un capuchon jaune. Comme la version originale où la grand-mère est malade, le Petit Chaperon Vert doit porter à sa grand-mère qu‟elle adore des médicaments et des délices. Dans la forêt, la fillette rencontre le Petit Chaperon Rouge, une fille impolie qu‟elle n‟aime guère et qui ne l‟a pas saluée. Cependant, le grand loup noir passe très vite près d‟elle sans même la regarder. Arrivée chez sa grand-mère qui avait un grand rhume, elle lui raconte cette aventure. De retour, elle croise de nouveau le Petit Chaperon Rouge et elle la met en garde contre le danger potentiel représenté par le

loup, mais cette dernière ne s‟en soucie pas. Dès qu‟elle arrive chez elle, elle raconte à sa mère ce qu‟elle a rencontré et celle-ci s‟inquiète beaucoup, parce que le loup mange tout ce qui est rouge. Elle lui demande d‟aller chercher la fille en rouge pour la raccompagner chez elle et lui avoue qu‟elle a choisi de l‟habiller en vert pour qu‟elle puisse se dissimuler parmi les hautes herbes au cas où elle pourrait se trouver en péril. Obéissante, la fillette en vert va pour rechercher le Petit Chaperon Rouge mais rencontre ainsi un convoi de chasseurs portant un loup mort. Le Petit Chaperon Rouge se moque de nouveau du Petit Chaperon Vert en chantant sa mort et son retour à la vie : le Chaperon Vert et sa mère savent bien que c‟est un mensonge, et se mettent toutes les deux à côté de la cheminée pour se chauffer.

Grâce à la présence du « Chaperon », le lecteur pourrait penser à une version plus ou moins apparentée à celle de PERRAULT ou des GRIMM, alors qu‟il s‟aperçoit pendant la lecture d‟un conte tout à fait différent. L‟héroïne de ce conte-ci est une fille vêtue en vert, obéissante qui comprend le danger que le loup représente et qui s‟en méfie. Le Petit Chaperon Rouge est cette fois non plus une fillette gentille et polie, mais une espèce de menteuse, impolie et idiote qui ne s‟intéresse pas aux périls du chemin et de la forêt. Elle va aussi chez sa grand-mère mais sans faire attention ou penser à ce qui pourrait lui arriver ou à sa grand-mère. La mise en garde du Petit Chaperon Vert la fait rire et lui paraît insignifiante et la présence du loup ne lui dit rien non plus.

Dans une autre version différente du Petit Chaperon Vert101, une pièce de théâtre qui joue sur la même histoire du Petit Chaperon Rouge et qui la reproduit, on se trouve devant une petite fille plus rusée que le Petit Chaperon Rouge. Certes, les actions ont place dans ce qui a été jadis la maison de la célèbre Petit Chaperon Rouge. Le Petit Chaperon Vert vit les mêmes circonstances mais affirme à ses parents qu‟elle est beaucoup plus rusée que son ancêtre. Arrivée chez sa grand-mère elle aussi, elle s‟aperçoit du loup couché dans son lit. Elle rejoue la scène mais s‟obstine à ne pas prononcer la phrase102 très connue du dialogue qui permettrait au loup de la dévorer. Cette fois, le loup sort furieux en s‟écriant : « Ah ! Où sont les enfants naïfs et faciles à dévorer d’autrefois ? » (CAMI, 1996)

101 Cf. annexe VII, p. 297.

102

Je fais référence à la célèbre phrase : « Mère-grand, que vous avez de grandes dents ! » de la version du

Le Petit Chaperon Vert vit avec ses parents dans un appartement de banlieue et va à l‟école comme tous les enfants de son temps : deux traces de la vie urbaine qui rendent le discours encore plus proche des lecteurs. C‟est une fille comme « tout le monde » qu‟on croise tous les jours. Elle connaît l‟histoire du Petit Chaperon Rouge qui finit mal comme la plupart des enfants. Cependant, une série de coïncidences la placent sur la voie de son prédécesseur. Mais, à cette époque, la fillette n‟est déjà plus une enfant naïve. Elle a grandi et elle sait très bien la leçon qu‟on tire du conte de PERRAULT. L‟histoire de ce

Petit Chaperon Vert est en quelque sorte une suite logique de la première histoire, plus

encore c‟est une modification de la situation en faveur de la victime. Tout est question d‟expérience ! Et on l‟entend de la bouche du loup lui-même : on n‟a plus les mêmes enfants d‟autrefois. De nos jours, les loups n‟effrayent plus les petites filles, et d‟ailleurs ils ne sont plus ces bêtes féroces qui les attendent dans les bois pour les dévorer. Il s‟agit encore d‟un type différent de loups « doucereux103

» qui peuvent se retrouver partout. L‟on retrouve dans certains cas des petites filles à l‟image d‟un méchant Chaperon Rouge, et des loups victimes, mais cela n‟empêche que le lecteur s‟amuse bien à découvrir ces nouvelles aventures avec les références culturelles qui lui rappellent le Petit Chaperon

Rouge de PERRAULT ou autres.

Dans une autre parodie, à la surprise du lecteur, les actions ne se passent pas dans une forêt mais dans le 13ème arrondissement de Paris, et l‟héroïne est une petite fille qui s‟appelle Lorette et qu‟on nomme le Petit Chaperon Bleu Marine. Telle est la base de cette version. Comme toutes les autres versions, Lorette est appelée telle à cause de ce qu‟elle porte, une sorte de « duffle-coat de cette couleur acheté en soldes aux Galeries

Lafayette »104. Comme les autres modèles, la petite fille doit rendre visite à sa grand-mère. Elle prend le bus mais elle descend à la ménagerie du Jardin des plantes. Là-bas, elle rencontre le loup qui est un descendant du célèbre loup qui jadis a dévoré la grand-mère dans le conte de PERRAULT et plus loin encore de celui qui a dévoré l‟agneau dans la fable de La Fontaine.

Lorette s‟engage dans un conte qui semble se décliner sur le même modèle du conte du

Petit Chaperon Rouge, et dont elle ne tardera pas à devenir l‟héroïne. Elle libère le loup et

lui rappelle l‟histoire passée avec sa grand-mère. Arrivée chez celle-ci, elle croit vraiment

103 Le terme est employé par PERRAULT dans la moralité où il met en garde les filles contre toute sorte de loups qu‟on pourrait même rencontrer dans les rues et les villes, et non pas seulement dans les bois.

que c‟est le loup couché à la place de sa grand-mère, et en la menaçant avec un grand couteau, elle la conduit pour l‟enfermer dans la cage du loup au Jardin des plantes. Le loup, plus sage, se met en route à la recherche de sa famille et de ses confrères sans tarder pour leur raconter l‟histoire de cette petite fille et les mettre en garde contre les petites filles de nos jours alors que le Petit Chaperon Bleu Marine est réprimandée par le « sous-secrétaire d'Etat aux Vieilles Gens ».

Au moment où on voit que l‟on n‟a plus peur des bêtes ou des fauves qui représentaient jadis toute la cruauté et concrétisaient toutes les craintes des gens, la moralité de ce conte est donnée encore une fois par le loup sous la forme suivante : «Certains hommes sont

plus dangereux que les loups ».

À partir de ce conte, on comprend comment la modernisation du conte de PERRAULT est prise au sérieux par les auteurs sans manquer à leur fonction ludique : un tel conte n‟est pas sans effet divertissant et cette version est d‟autant plus amusante qu‟elle opère un travail important qui porte plutôt sur la forme et la matière du texte sans négliger le fonds culturel. On joue encore une fois sur la bonne mémoire du lecteur pour susciter diverses réactions à la fin de la lecture.

Le conte du Petit Chaperon Bleu Marine paraît donc comme un conte du réel sans s‟arrêter à être un texte tout à fait fictif. Le jeu sur les références culturelles (le duffle-coat, les galeries Lafayette, le 13ème arrondissement, la gare d‟Austerlitz...) permet aux apprenants/lecteurs de se repérer toujours grâce à des repères de la vie réelle. On est bien conscient que chaque version conserve son originalité à sa manière et la reproduit dans une subtilité suffisante pour en faire un chef-d‟œuvre.

Ces deux œuvres sont représentatives de la dynamique intertextuelle parodique du Petit Chaperon Rouge dont rend compte avec de nombreux autres exemples l‟article de Pascale HELLEGOUARC‟H105

. Elles peuvent permettre de montrer aux apprenants les possibilités créatives d‟une réinvention qui fait appel aux connaissances du patrimoine culturel dans le monde d‟aujourd‟hui et en laissant s‟exercer la fantaisie.

105 “Lectures du Petit Chaperon rouge : didactique de l‟intertextualité” in Synergies n° 7, 2010, Revue du GERFLINT, Vitalité du conte à l‟aube du XXIe siècle : du pastiche à la parodie, coordonné par Myriam Tsimbidy & Dominique Ulma.