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Le Liban, un contexte propice pour l’exploitation pédagogique du conte

5.4. Importance du conte au Liban

Pourquoi assistons-nous à une nouvelle fascination pour le conte ? Parce qu‟il a reculé comme forme d‟expression pendant une certaine époque. Ce recul était dû à des mouvements sociaux bouleversants tels l‟exode vers les grandes villes, ce qui secouait la structure des familles et des quartiers sur lesquels le conte s‟appuyait. Comme les familles qui se déplaçaient vers les villes pour chercher du travail ne se déplaçaient pas en entier, il s‟ensuit que les personnes âgées s‟éloignaient des petits-enfants, neveux ou nièces qui constituaient la partie majoritaire de l‟auditoire. Ainsi, la disparition de l‟auditoire entraîna celle du conteur, puisque le conte ne pouvait exister qu‟en tant que réponse à une demande ou nécessité. Abdel Fattah KILITO, dit à ce propos, dans une étude sur Kalîla

wa Dîmnah :

« Le discours vise, dans Kalîla, à établir la justesse d‟un point de vue, d‟une cause, à persuader du bien-fondé d‟une action. Encore faut-il que l‟interlocuteur veuille bien prêter l‟oreille. Comment l‟amener à le faire ? En lui racontant une histoire. A elle seule, l‟assertion ne suffit pas ; elle ne peut agir avec un maximum d‟efficacité que lorsqu‟elle est accompagnée et étayée par un discours indirect, le récit. » (KILITO, 2007 : 233) Quoique le développement de l‟éducation a eu un rôle reculant pour le conte oral, mais il a favorisé également sa prospérité plus tard. En effet, le conte jouait traditionnellement un rôle de divertissement mais aussi et surtout d‟enseignement et de lien social et identitaire. Nos parents, nos grands-parents nous racontaient souvent des contes sur le bien et le mal, les défauts du mensonge ou l‟importance de la vérité mais c‟était pour que l‟exemple soit bien reçu : un enfant n‟écoute pas forcément les directives de sa mère mais il comprenait sans doute que les défauts sont toujours punis et le bon caractère est toujours récompensé. L‟enfant restera sourd, peut-être, aux interdictions de sa mère de s‟éloigner de chez lui ou d‟aller tout seul à la forêt mais il recevra très bien le message grâce au conte du Petit

Chaperon Rouge.

Bien que le livre ait été considéré comme plus sérieux et plus sûr que le conte oral parce qu‟il était écrit donc conservé, cependant le conte a exercé sa magie même à l‟école. Nous savons tous que dans les petites classes de la maternelle ou des « jardins des enfants » les enfants apprennent surtout les chiffres, lettres, formes et couleurs mais ils écoutent le plus souvent des contes.

Comme au Liban les dispositifs d‟enseignement sont bilingues dès l‟entrée de l‟enfant à l‟école à l‟âge de trois ans, il est donc important de savoir que les enfants apprennent à

écouter des contes dans leur langue maternelle aussi bien que dans leur langue seconde (majoritairement le français jusqu‟à il y a sept à dix ans où on a commencé à enseigner l‟anglais aussi). Nous savons surtout que le remède d‟un enfant ennuyé ou ayant sommeil est d‟écouter un conte. Le conte est surtout la récompense des enfants « sages », mais il est également l‟outil le plus effectif pour calmer les enfants turbulents ou super-actifs.

5.4.1. Le conte et la religion

Nous sommes, à ne pas oublier, dans une région qui a vu la naissance de l‟écrit et où les régions pratiquées (l‟Islam et le Christianisme, avec de rares pratiquants du Judaïsme) sont des religions du Livre. Mais il ne faut pas oublier non plus que ce sont aussi ces religions qui ont permis au conte de perpétuer avec le temps. Dans une région à majorité musulmane, le Coran a une importance et une valeur incomparables.

Toutefois, c‟est ce même Coran qui est basé sur les histoires des prophètes pour prêcher aux gens les bonnes moralités et pour diffuser la parole et les ordres d‟Allah. Il en va de même pour la Bible chez les Chrétiens de l‟Orient. Ainsi, même les personnes illettrées ont une bonne connaissance de ces livres Saints et de leur contenu vu qu‟ils renferment un nombre énorme d‟histoires.

Comme le Coran forme surtout une partie importante du quotidien des Orientaux et des Libanais, il a joué et continue à jouer en faveur du conte. Il est cependant dommage que l‟envie de rattraper la modernité de l‟Occident s‟est traduite par un rejet d‟un patrimoine assez riche et de sa fabuleuse magie sous prétexte de rationalité.

5.4.2. Le conte et l’histoire

Le Liban, situé au carrefour des trois continents de l‟Ancien Monde, l‟Asie et l‟Afrique, microcosme social et confessionnel, foyer florissant, où les vieilles civilisations du Proche-Orient, fut une terre où l‟humanité a laissé une de ses premières traces. Ce pays, au site lumineux, à la configuration si caractéristique, par sa Montagne qui domine la Méditerranée par une masse calcaire assombrie par sa végétation arbustive, aux plaines côtières étroites, et au plateau intérieur verdoyant, a vécu toute l‟histoire de l'humanité depuis l‟âge paléolithique.

D‟un point de vue historique, nous savons que parmi les pays du Moyen-Orient, c‟est surtout le Liban qui a vécu d‟innombrables histoires d‟occupation mais qui n‟en est pas sorti sans profits. Des Phéniciens à l‟Empire Ottoman, ce peuple de marins de langue

sémitique, y fonda des cités-Etats (Tyr, Sidon, Byblos) connues chacune par son histoire. C‟est vers 1300 av. J.-C. que l‟alphabet phénicien est né au Liban, sur le sarcophage du roi Ahiram, roi de Byblos82, composé de vingt-deux signes et puis s‟est répandu dans le monde méditerranéen.

A la même époque, ces cités sont devenues des « protectorats » égyptiens puis sont passées sous la domination babylonienne, puis perse. Le Liban, intégré dans une vaste surface appelée « syrienne », est soumis à la domination du royaume hellénistique des Séleucides, avant d‟être conquis par les légions de Pompée et intégré à la Provincia Syria, fondée par les Romains en 64 av. J.-C. En 395, lors du partage de l‟Empire romain, la Syrie83, devenue chrétienne, fut rattachée à l‟Empire byzantin, mais c‟est à partir de l‟année 636 qu‟elle était devenue une partie intégrante de l‟Empire arabe.

Ainsi, nous comprenons que le Liban est un pays très spécial qui a une histoire très riche et qui garde un patrimoine d‟histoires et de contes assez diversifiés, datant de l‟époque des Phéniciens passant par les différentes occupations avant de passer par l‟occupation française peu après la Première Guerre Mondiale en 1920 jusqu‟à nos jours où il continue à se battre contre l‟occupation israélienne d‟une partie de son territoire. Si cet aperçu très bref du parcours historique du Liban témoigne d‟un fait, c‟est sûrement la richesse historique et le patrimoine gigantesque, ce qui induit une richesse dans le patrimoine des contes transmis par les gens.

5.4.3. Le métier du conteur

Au Liban, le métier de conteur était exercé par des hommes dans les cafés de certaines villes, et ces conteurs transmettaient souvent leur savoir de père en fils et puisaient leur répertoire dans les épopées et les gestes des héros comme Antara, Abou Zayd Al-Hîlalî, etc. où se mélangeaient les grands thèmes qui préoccupent les humains depuis la nuit du temps : la guerre, l‟amour, la haine, la trahison, la bravoure …

Le conteur racontait avec une parole qui alternait prose et poésie, dialecte et langue classique, sobriété et déclamation. Il s‟installait sur une estrade qui pouvait être élevée, ce qui lui permettait de voir et d‟être vu par tout son public, et racontait en général un épisode par veillée afin de laisser son public en haleine.

82 Byblos est le nom phénicien de la ville de Jbeil, une ville qui donne sur la mer à environ 37 kilomètres au nord de Beyrouth, et qui occupe un promontoire au bord de la mer.

Il existe cependant des personnes qui « connaissent des contes » et les transmettent généralement dans la famille et sont majoritairement des femmes, mais aussi des hommes. La plupart de ces conteurs ou conteuses détiennent l‟essentiel de leur répertoire de leur mère, grand-mère ou leur père. Ce sont surtout des contes traditionnels où le merveilleux est très souvent présent. On trouve souvent plusieurs variantes du même conte, dans le même village, ou bien dans les villages voisins et les régions éloignées parfois l‟une de l‟autre.

En effet, il n‟est pas étrange de trouver le même conte raconté par une conteuse libanaise, syrienne, palestinienne, ou égyptienne et transmis avec des variantes dues inévitablement à l‟adaptation personnelle de chacun, que ce soit un phénomène conscient ou inconscient mais aussi à la différence du milieu socioculturel ou religieux dans lequel il est transmis (une mosquée devient une église dans une autre version etc.)

Aucun obstacle concernant l‟heure ou la saison ne pose problème au conteur. Normalement, on raconte l‟après-midi et le soir, devant la maison s‟il fait beau temps ou autour du feu les soirs d‟hiver. Cette pratique qui a disparu pendant une certaine période (les années 70) a fait son retour récemment et les réunions autour du feu (en été en plein air ou même en hiver à l‟intérieur de la maison) célèbrent de nouveau ce genre de récits charmants pour les filles et les garçons, les jeunes et les vieux.

Le conte n‟est pas une simple histoire racontée par nos grands-mères pour nous divertir. C‟est plutôt une leçon sur la vie, pour nous instruire, nous les jeunes ayant la tête pleine de certitudes sur la vie, le monde et les êtres humains. Quand nous prétendons comprendre les gens et les mentalités, nos grands-mères nous disaient toujours que nous connaissons des gens et non pas les gens !