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Pour aborder les interactions verbales en classe

1.6. L’interaction didactique

Francine CICUREL définit l‟interaction didactique comme « un dialogue finalisé dont le

début est l’apprentissage » (1993 : 95).Ainsi, les échanges verbaux qui s‟y construisent

sont motivés par ce but (avec très peu d‟exceptions) et qui vise à améliorer l‟interlangue de l‟apprenant et à faire évoluer sa compétence communicative, l‟interlangue étant le stade intermédiaire dans lequel se situe la langue étrangère que l‟apprenant cherche à s‟approprier, au moment où il y fait ses premiers pas mais qu‟il est encore loin de maîtriser. Les apprenants trouvent toujours nécessaire de rester distants de la langue qu‟ils apprennent. La langue étrangère est l‟objet même du dialogue qui s‟établit.

Ainsi, nous relevons deux caractéristiques essentielles de l‟interaction didactique : 1- La finalité externe de l‟interaction ;

2- L‟inégalité de la relation entre les participants, cœur de la communication en classe de langue étrangère, qui fait que les activités cherchant à reproduire des interactions naturelles de type conversationnel risquent d‟échouer.

Tout d‟abord il y a deux positions interactionnelles identifiables dans le discours didactique : celle de l‟enseignante, et celle des étudiants. L‟enseignant occupe une place

11 CODLEANU Mioara et VLAD Monica. « Les mécanismes de la négociation dans les interactions en

français langue étrangère sur le chat. »,Signes, Discours et Sociétés [en ligne], N° 3. Perspectives croisées

sur le dialogue, 31 juillet 2009.http://www.revue-signes.info/document.php?id=1057 [Consulté le 15 juillet 2010].

dominante et tous les étudiants sont égaux, ayant les mêmes devoirs et responsabilités. Mais, par une « fiction » institutionnelle, chaque étudiant est considéré comme un « autre » locuteur pour son collègue, et avec cet « autre » il co-élabore un discours et le co-construit de sorte que, dans certaines situations et sous certaines conditions, il donne la réponse à cet autre au lieu de la donner à l‟enseignant.

Si l‟interaction en classe ne ressemble pas à une conversation ordinaire, c‟est parce que la parole de l‟autre est reprise constamment et surtout parce que le rôle fictionnel des apprenants y est toujours négocié. Les changements énonciatifs et identitaires constitutifs de la communication didactique dans l‟enseignement d‟une langue en classe s‟effectuent dans une certaine continuité discursive. Le rôle énonciatif donne lieu à une négociation relativement rapide et sans que cela ne semble rompre le rythme communicatif. CICUREL traite la dimension fictionnelle du discours en classe de langue en même temps qu‟elle parle d‟une instabilité énonciative :

« Si on parle de fiction en classe de langue ou d‟énonciation de fiction, ceci est à rapporter au cadre communicatif de l‟enseignement d‟une langue étrangère. Pour apprendre, il faut communiquer : or la communication ne s‟établit pas de façon spontanée. On instaure donc, dans le vide originel de la classe de langue, des instruments à produire du discours, une „machinerie langagière‟ ».12

Dans une interaction en classe de langues, l‟apprenant est face à deux tâches qu‟il doit entretenir simultanément : parler en langue étrangère et de la langue étrangère. Et ce qui est beaucoup plus complexe dans ce cas-là, c‟est qu‟il faut à l‟apprenant apprendre en même temps à parler et à négocier sa parole, au moment où il n‟y a pas vraiment nécessité pour parler. Donc, dire pour rien dire, en langue étrangère et à propos de la langue étrangère, voilà une des questions devant lesquelles s‟arrête l‟enseignant. Que faire dans un tel cas ? Et comment franchir ce dédale ? Communiquer oralement (ou plus exactement converser) en classe de langue étrangère demeure t-il un mythe ou peut-il se concrétiser en réalité ?

Malgré les contraintes qui contrôlent l‟organisation de la conversation didactique dans la classe, le naturel, l‟authentique ainsi que la spontanéité d‟échanges ne seront pas absents. Ainsi, le discours didactique de l‟enseignant comprend une dimension communicationnelle à ne pas négliger. Ce n‟est pas que l‟interaction en classe de langue

12

CICUREL F., « L’Instabilité énonciative en classe de langue », Les Carnets du Cediscor [En ligne], N°4, 1996, mis en ligne le 26 août 2009. URL : http://cediscor.revues.org/393 [consulté le 6 avril 2010]

étrangère n‟a pas de but, mais au contraire, qu‟il faut bien y introduire, en recourant à toute sorte de stratégies, tactiques ou astuces pédagogiques, une éventuelle multitude d‟échanges langagiers qui n‟ont pas la vocation de naître de façon spontanée et naturelle. Les échanges verbaux en classe de langue étrangère ne correspondent pas vraiment à des actions réelles, ce qui s‟explique par la relative stagnation de la communication didactique : en classe de langue, on parle pour parler et faire parler. En effet, F. CICUREL (1994) trouve que :

« Étant donné que l‟apprentissage-appropriation d‟une langue requiert la production verbale des apprenants en langue cible, la thématisation du dialogue se fait aussi sur le dire des apprenants (corrections, reprises, reformulations) de telle sorte que le dialogue oscille entre une interaction rigide, où les positions et les discours sont pré-formatés et une interaction plus proche de la conversation ordinaire dans laquelle il y a une plus grande liberté de prise de parole. »

Donc, il s‟agit de s‟exercer dans la langue étrangère, de se corriger et d‟améliorer sa réalisation personnelle de la langue à apprendre. L‟enseignant, quant à lui, entretient dans ce processus d‟enseignement/apprentissage, situé dès lors dans un cadre interactionnel, un rôle spécifique. La tâche interactionnelle qui lui est normalement dévolue le place dans un statut relativement supérieur aux apprenants. Ainsi, la possibilité d‟interrompre leurs propos et de rediriger parfois le développement thématique et discursif de l‟interaction, les intrusions métalinguistiques constituent, en somme, une importante prérogative. Chaque fois qu‟il intervient, il rappelle son rôle interactionnel bien spécifique et il se tient en distance avec les autres participants sans que cela leur soit nécessairement menaçant, parce qu‟ils acceptent ce contrat didactique et poursuivent l‟objectif qu‟ils (enseignant et apprenants) se sont fixés dès le début de l‟apprentissage.

Comme il s‟agit d‟un dialogue finalisé ayant comme objectif l‟apprentissage de la langue étrangère par les étudiants (contrairement à la conversation qui n‟a pas forcément un but préétabli), et que la transmission doit se faire du locuteur savant (enseignant) à l‟autre (étudiant), il y a donc prise en compte du destinataire récepteur du savoir. Cette prise en compte existe toujours dans une instance communicative, mais quand il s‟agit de la transmission d‟une langue, l‟enseignant est obligé de mettre au centre de l‟interaction les procédures par lesquelles il parvient à se faire comprendre de l‟autre. Il s‟agit toujours d‟un échange dans lequel il y a un déphasage codique.

Une collaboration énonciative est donc observée entre les participants/interactants ayant des positions interactionnelles bien délimitées et précises, afin de produire un discours en co-construction : chaque interactant (enseignant et étudiant) reste soi en s‟exprimant mais il devient aussi co-producteur et co-responsable du discours collectif échangé en classe de langue.

Guy BROUSSEAU a introduit le concept de « contrat didactique » en didactique des mathématiques en le définissant comme suit :

« Nous appelons contrat didactique l‟ensemble des comportements spécifiques de l‟enseignant qui sont attendus de l‟élève et l‟ensemble des comportements de l‟élève qui sont attendus de l‟enseignant. Ce contrat est donc ce qui détermine, explicitement pour une petite part mais surtout implicitement ce que chaque partenaire va avoir à gérer et dont il sera comptable devant l‟autre. » (1986 : 36)

C‟est l‟ensemble des comportements de l‟enseignant qui sont attendus de l‟élève, et l‟ensemble des comportements de l‟élève qui sont attendus de l‟enseignant. Donc, il ne s‟agit pas d‟un véritable contrat, parce qu‟il s‟agit d‟implicite et de non négocié. C‟est pourquoi, les intentions de l‟enseignant doivent être claires pour les étudiants. Lors des mises en œuvre de projets ou lors des activités de classe, l‟attitude de l‟enseignant est importante.

De plus, l‟enseignant organise l‟interaction et gère le cadre des échanges entre les participants. L‟interaction didactique se caractérise par le fait que l‟enseignant impose les structures des séquences didactiques sans les négocier avec les apprenants, parce que c‟est à lui de voir s‟il s‟agit de les raccourcir ou de les rallonger en fonction de plusieurs variantes qui conditionnent l‟apprentissage : le temps, le degré d‟assimilation, la motivation, la sensibilisation au sujet, la diversification des structures linguistiques et morphosyntaxiques dans les énoncés, la dominante discursive étudiée etc. Par exemple, l‟absence de motivation chez les étudiants ou la sensibilisation insuffisante de l‟enseignant peuvent imposer à ce dernier la ré-exploitation du contenu d‟une séquence pédagogique ou l‟insistance sur des structures grammaticales et morphosyntaxiques. Le temps peut obliger l‟enseignant également à raccourcir des cours, supprimer certaines activités ou en ajouter d‟autres.

Nous pouvons conclure qu‟il existe beaucoup de facteurs qui peuvent influencer l‟interaction didactique et qui, des fois, l‟orientent vers une certaine direction imprévue.